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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 31 janvier 2001, n° 1998-26662

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Opel France (SA)

Défendeur :

Sadra (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard-Payen

Conseillers :

Mmes Jaubert, Percheron

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, Roblin-Chaix de Lavarène

Avocats :

Mes Le Douarin, Bourgeon.

T. com. Paris, 1re ch., du 16 nov. 1998

16 novembre 1998

LA COUR est saisie de l'appel interjeté par la société Opel France à l'encontre du jugement rendu le 16 novembre 1998 par le tribunal de commerce de Paris qui l'a condamnée à payer à titre de dommages et intérêts à la société de Diffusion et de Réparation Automobiles - Sadra - les sommes de 3.750.000 F soit deux fois la marge brute annuelle, 1.500.000 F pour frais de restructuration, 4.700.000 F correspondant à 1/3 de la valeur patrimoniale évaluée pour le fonds de commerce, a ordonné l'exécution provisoire à hauteur de 1.500.000 F contre remise d'une caution bancaire et l'a condamnée au paiement d'une somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a mis les dépens à sa charge.

Sur ce,

Vu les écritures par lesquelles la société Opel France poursuivant la réformation de ce jugement, demande à la Cour de dire que c'est légitimement qu'elle a résilié le contrat de concession litigieux et que le préavis dont a bénéficié la société Sadra est suffisant et de débouter cette société de l'ensemble de ses demandes ;

Vu les écritures par lesquelles la société Sadra prie la Cour, faisant droit à son appel incident, de :

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a retenu que :

* la société Opel France a rompu abusivement, par courrier du 15 octobre 1997, les relations de concession exclusive qu'elle entretenait avec la société Sadra,

* n'a pas exécuté de bonne foi le protocole d'accord conclu à la suite de l'ordonnance de référé du 28 octobre 1997,

- dire qu'elle est recevable à actualiser ses demandes indemnitaires eu égard à l'évolution du litige et condamner en conséquence la société Opel France à lui payer à titre de dommages et intérêts, les sommes de :

* 5.130.000 F en compensation de l'absence de préavis dont elle aurait dû bénéficier en application de l'article 5.2 du règlement CEE 1475-95, dans le cadre duquel les parties étaient convenues d'inscrire leurs relations contractuelles,

* 7.920.000 F en contrepartie de la dévalorisation du fonds de commerce,

- condamner la société Opel France à titre de complément de dommages et intérêts, aux intérêts légaux sur les deux sommes susmentionnées à compter du 30 avril 1998, subsidiairement, à compter 25 juin 1998, date de l'introduction de l'instance, plus subsidiairement, à compter du jugement,

- lui allouer la somme complémentaire de 60.000 F au titre de ses frais ;

LA COUR,

Considérant qu'il convient de rappeler que la société Sadra était depuis 1975, concessionnaire de la marque Opel à Palaiseau pour une partie du département de l'Essonne, que le dernier contrat de concession en vigueur entre les parties depuis le 1er janvier 1992, avait pris fin le 31 décembre 1996, et alors que celles-ci étaient en discussion pour régulariser le nouveau contrat de concession à effet du 1er janvier 1997, proposé par le concédant à la société Sadra à la suite du nouveau règlement d'exemption de la commission européenne, la société Opel a appris par un article paru le 12 septembre 1997, dans l'édition " Essonne Matin " du " Parisien ", que Monsieur Azzaro, dirigeant de Sadra, avait été condamné par le tribunal correctionnel d'Evry pour tromperie sur la qualité substantielle de deux véhicules d'occasion, que le 23 septembre, elle lui a demandé de convenir d'un rendez-vous pour évoquer ces faits, mais que les parties n'ayant pu utilement se rencontrer, la société Opel, par courrier recommandé du 15 octobre 1997, a notifié à la société Sadra la résiliation de son contrat de concession avec préavis de dix jours pour non-respect par le concessionnaire de ses obligations fondamentales ;

Que saisi par la société Sadra d'une demande tendant à voir enjoindre, sous astreinte, à Opel de reprendre les relations de concession exclusive qu'elle entretenait avec elle aux conditions appliquées depuis le 1er janvier 1997, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, a, par ordonnance du 28 octobre 1997, enjoint aux parties de se rencontrer dans un délai de dix jours et, dans l'attente, a enjoint à Opel de reprendre les relations de concession exclusive sous astreinte de 100.000 F par jour de retard ;

Que les parties en exécution de cette décision se sont rapprochées et ont conclu un protocole d'accord, le 9 décembre 1997, par lequel d'une part, Opel acceptait de suspendre les effets de la résiliation jusqu'au 30 avril 1998, et d'autre part, elles convenaient de résoudre leurs différends au travers de la cession de l'entreprise concessionnaire à un repreneur agréé par Opel à des conditions équitables tenant compte de la valeur effective de l'affaire ;

Qu'aucune cession n'ayant pu intervenir et les relations ayant pris fin comme prévu le 30 avril 1998, la société Sadra qui estimait qu'Opel avait rompu abusivement les relations de concession exclusive et n'avait pas exécuté de bonne foi le protocole d'accord, a saisi au fond le tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices, action à laquelle Opel s'est opposée en invoquant la gravité des faits reprochés à son concessionnaire qui n'avait pas daigné venir s'en expliquer et en soutenant qu'elle n'avait contracté aux termes du protocole d'accord, quant à la cession de l'entreprise, qu'une obligation de moyen ; que c'est dans ces conditions qu'a été rendu le jugement déféré à la Cour par lequel le tribunal a fait droit à l'intégralité des prétentions de la société Sadra, aux motifs que la décision de résiliation était abusive par la disproportion manifeste entre les causes de cette décision pour Opel et les conséquences pratiques pour Sadra très préjudiciables pour son activité et qu'Opel n'avait pris que peu d'intérêt à la réalisation du protocole d'accord ;

Considérant que la société Opel France qui prétend que, bien que non signé le contrat à effet au 1er janvier 1997, était bien entré en vigueur entre les parties, et qu'elle était donc bien fondée en application de la clause résolutoire insérée à l'article 6.1.2 du contrat, similaire à celle figurant à l'article 4.1.2 du contrat du 1er janvier 1992, de résilier de plein droit le contrat de concession exclusive en raison de la condamnation pénale prononcée contre son dirigeant pour des faits de tromperie sur la qualité substantielle de deux véhicules d'occasion ; qu'elle précise que la décision de résiliation n'était pas fondée sur la condamnation prononcée par le tribunal correctionnel d'Evry en tant que telle mais par les faits poursuivis qui étaient établis au moment de la résiliation et d'ailleurs non contestés par le concessionnaire ; qu'elle souligne que la résiliation était la seule sanction prévue au contrat et nulle autre ne pouvait se concevoir dans une telle situation ;

Considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats qu'après avoir appris par la presse, la condamnation du dirigeant de la société Sadra, son concessionnaire exclusif depuis plus de 20 ans, Opel France par courrier du 23 septembre 1997 lui a demandé de prendre contact avec elle pour s'expliquer sur ces faits avec son directeur du réseau ;

Qu'il résulte des correspondances échangées entre les parties, fin septembre et début octobre 1997, que ni l'une ni l'autre n'a facilité une rencontre et une explication pourtant nécessaire compte tenu de la gravité de la situation; que c'est dans ces conditions que trois semaines après avoir appris la condamnation pénale non définitive de son concessionnaire qui avait fait appel de cette décision, que par courrier recommandé du 15 octobre 1997, sans avoir pu rencontrer Jean Luc Azzaro, la société Opel France a notifié à la société Sadra sa décision de résilier le contrat par application de l'article 6.1.2 avec prise d'effet 10 jours après réception de ce courrier ;

Considérant que sans minimiser la gravité des faits reprochés au dirigeant de la société Sadra, dont la culpabilité a été confirmée par la Cour qui a cependant modéré la sanction, il n'en demeure pas moins que l'absence de dialogue entre les parties et compte tenu de l'incidence d'une telle décision, prise sans explications préalables, sur la pérennité de l'entreprise de son concessionnaire, les conditions de précipitation et de brutalité de cette résiliation visant le jugement prononcé le 9 septembre 1994 dont elle a été informée par la presse le 12 septembre, notifiée le 15 octobre suivant alors que les parties entretenaient des relations commerciales depuis plus de 20 ans, doivent être tenues pour abusives;

Considérant que si Opel soutient aujourd'hui que ce n'était pas la condamnation à l'époque non définitive, qui aurait été la cause de sa décision mais les faits qu'elle sanctionnait susceptibles de jeter le discrédit sur l'ensemble de son réseau, il n'en demeure pas moins qu'il n'est pas admissible de se séparer de son concessionnaire dans ces conditions sans avoir pu l'entendre auparavant, ce qui démontre pour le moins que les relations entre les parties étaient à l'époque tendues vraisemblablement, comme le prétend Sadra, du fait des discussions en cours entre elles sur certaines clauses du nouveau contrat de concession qu'elles devaient régulariser;

Considérant, toutefois, que Sadra qui n'a pas régularisé ce nouveau contrat mais qui avait cependant poursuivi depuis le 1er janvier 1997, ses relations avec Opel France jusqu'à la décision de résiliation susvisée, ne saurait valablement prétendre que ce contrat ne serait pas entré en vigueur entre les parties alors que par sa saisine du juge de référé du tribunal de commerce de Paris, juridiction à laquelle le contrat attribuait compétence, elle avait implicitement mais nécessairement reconnu que les relations de parties étaient régies par ce contrat dont elle avait d'ailleurs accepté la majorité des clauses ;

Considérant, en ce qui concerne l'exécution du protocole d'accord signé par les parties à la suite de l'ordonnance de référé qui prévoyait la reprise du fonds par un acquéreur agréé par le concédant, que s'il ne peut être contesté par Opel que la réussite d'une telle cession dépendait de l'agrément qu'elle seule pouvait donner au repreneur, il n'en demeure pas moins que la cession d'une entreprise de cette valeur en un délai de 4 mois alors que son contrat de concession venait d'être résilié, était une opération d'une difficulté extrême voire impossible ; qu'il n'est nullement démontré que l'échec de cette cession soit imputable au seul concédant dont il ne suffit pas d'invoquer la mauvaise foi mais encore faut-il la prouver ce qui n'est pas le cas ;

Considérant que les conditions de brutalité dans lesquelles a été notifiée la résiliation du contrat ayant été jugées abusives, la société Sadra est fondée à obtenir la réparation du préjudice qui lui a été causé de ce chef et qui est constitué par le perte de valeur de son fonds de commerce correspondant à l'activité véhicules neufs;

Que la Cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour évaluer cette perte eu égard aux documents comptables produits par la société Sadra et à la valeur patrimoniale de son fonds au moment de la résiliation, à la somme de 4.700.000 F, correspondant à un tiers de la valeur patrimoniale évaluée pour le fonds, représentant l'activité de vente de véhicules neufs perdues ;

Considérant qu'il n'est pas contraire à l'équité de laisser à la société Sadra la charge des frais non compris dans les dépens qu'elle a dû exposer à l'occasion de la procédure ;

Par ces motifs, LA COUR, Réforme le jugement dont appel et statuant à nouveau, Condamne la Société Opel France à payer à la société Sadra la somme de 4.700.000 F à titre de dommages et intérêts, Déboute les parties de leurs autres demandes, Condamne la société Opel France aux dépens de première instance et d'appel, Admet l'avoué concerné au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.