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Décisions

Cass. com., 27 février 2001, n° 99-15.730

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Carrières de Saint-Martin (SARL)

Défendeur :

Carrières de Bayssan (SA), Société les grands travaux du biterrois (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

Mme Mouillard

Avocat général :

M. Viricelle

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Waquet, Farge, Hazan.

T. com. Béziers, du 24 août 1998

24 août 1998

LA COUR : - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué (Montpellier, 29 avril 1999) que la Société les grands travaux du biterrois (SGTB) a demandé la résolution du contrat de location-gérance du fonds d'exploitation d'une carrière, consenti le 30 mars 1981 jusqu'en 2005 à la société Carrières de Saint-Martin (CSM), en lui reprochant d'avoir failli à son obligation d'exploiter le fonds en bon père de famille ; que la société Carrières de Bayssan, devenue propriétaire, par suite d'un apport partiel d'actifs, du fonds de la SGTB, est intervenue volontairement à l'instance ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société CSM fait grief à l'arrêt de ne pas faire la preuve de la régularité de la composition de la chambre à l'audience des plaidoiries du 4 mars 1999 ni de l'identité du magistrat ayant présidé les débats alors, selon le moyen, que le plumitif d'audience fait apparaître que M. Ottavy, président, était aussi présent à l'audience, ce qui est exact et n'appelait pas de protestation, de sorte que la mention de l'arrêt selon laquelle les débats auraient eu lieu "avec l'accord des parties" le 4 mars 1999 à 14 heures 30 devant M. Prouzat Jean-Luc, conseiller, ne permet pas de vérifier, ni la composition de la cour, ni l'identité de la personne qui exerçait les fonctions de président et empêche la décision de faire la preuve de sa propre régularité aux différents stades de son élaboration en violation des articles 430 et 945-1 du nouveau Code de procédure civile et l'article L. 272-2 du Code de l'organisation judiciaire ;

Mais attendu que n'étant pas contesté que les débats se sont déroulés, en application de l'article 945-1 du nouveau Code de procédure civile, avec l'accord des parties, devant deux magistrats membres de la cour d'appel, il n'importe que, par suite d'une erreur matérielle, l'arrêt ne mentionne la présence que d'un seul d'entre eux ; que le moyen est inopérant ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que la société CSM reproche à l'arrêt d'avoir accueilli la demande alors, selon le moyen : 1°) que les conventions doivent être exécutées de bonne foi et la résiliation du contrat ne peut être prononcée si elle a été demandée par un créancier de mauvaise foi et que tel est le cas du bailleur qui, comme en l'espèce, a souscrit, d'une part avec un tiers une convention, dissimulée au locataire-gérant et au terme de laquelle, il s'engageait à lui céder l'exploitation de la carrière aussitôt obtenue l'éviction du locataire-gérant et en stipulant même une prime si celle-ci était obtenue avant le 31 décembre 2000, d'autre part en 1997, un protocole au terme duquel, le tiers devenait dominus litis dans l'action engagée contre le locataire gérant et prenait en charge le coût du procès ; qu'en s'abstenant de s'expliquer, comme elle y était invitée, sur la mauvaise foi du bailleur qui avait lancé en 1997, sans aucune mise en demeure et sans révéler l'existence de ces accords, une action en résiliation fondée sur des faits remontant à plus de sept ans, la cour d'appel a privé sa décision de base légale tant au regard des articles 1134 et 1184 du Code civil que des articles 1er et suivants de la loi du 20 mars 1956 ; 2°) que viole l'article 455 du nouveau Code de procédure civile l'arrêt attaqué qui laisse dépourvues de toute réponse les conclusions qui faisaient valoir (p74) que la manœuvre ourdie entre la SGTB et le groupe Guintoli caractérisait la mauvaise foi non seulement au stade de la rupture mais également en cours d'exécution du contrat dès lors que, en tant que bailleur, SGTB était tenue de garantir à la société Carrières de Saint-Martin une jouissance paisible de la carrière mise à sa disposition ; 3°) qu'aux termes du contrat de location-gérance, le bailleur était tenu "d'informer par lettre recommandée avec accusé de réception, la société preneuse de la vente de tout ou partie de l'actif mis à sa disposition pour lui permettre de se porter acquéreur du ou des éléments vendus" (contrat p4 6) ; que prive à nouveau sa décision de toute base légale au regard de l'article 1134, alinéa 3 du Code Civil et de la loi du 20 mars 1956 l'arrêt qui s'abstient de s'expliquer comme il y était invité (conclusions p37, 50 et s) sur la circonstance que la société Carrières de Saint-Martin n'a découvert la cession de la carrière à un de ses concurrents qu'en cause d'appel (novembre 1998) (conclusions p57) et qu'elle a été ainsi privée, par la mauvaise foi du bailleur, de la possibilité d'acquérir la carrière litigieuse aux conditions faites à son concurrent et indépendamment de toute résiliation ;

Mais attendu qu'ayant relevé à la charge de la société CSM des manquements graves à son obligation d'exploiter le fonds en bon père de famille, de nature à rendre impossible la poursuite des relations contractuelles, la cour d'appel n'était pas tenue de répondre aux conclusions invoquées qui, se bornant à invoquer la mauvaise foi de la société SGTB pour conclure au rejet de la demande, ne lui sont pas apparues de nature à influer sur la solution du litige ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses trois branches ;

Sur le troisième moyen, pris en ses six branches : - Attendu que la société CSM fait aussi grief à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait alors, selon le moyen : 1°) que le contrat conclu le 30 mars 1981 entre la société les Carrières de Saint-Martin et la Société les grands travaux du biterrois permettait à l'exploitant d'extraire et de vendre les matériaux au rythme qui lui convenait, "la société preneuse (s'étant) engagée à réaliser les travaux indispensables pour la mise en service de tout ou partie de cette carrière" (contrat p 4) ; qu'en affirmant cependant qu'en décidant "d'abandonner provisoirement l'exploitation du gisement nord" et en regroupant ses activités au sud le locataire gérant se serait livré à une "sous-exploitation volontaire" et donc fautive à partir de 1987, l'arrêt attaqué a violé l'article 1134 du Code civil et les articles 1er et suivants de la loi du 20 mars 1956 ; 2°) qu'au surplus, en reprochant à la société les Carrières de Saint-Martin de s'être contentée de verser, entre 1989 et 1997, la redevance minimale calculée sur la base contractuelle de 150 000 tonnes par an (contrat p9), ce qui correspondait à l'exécution de la convention, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; 3°) que, subsidiairement, en s'abstenant de rechercher si le nombre d'années à courir jusqu'à la fin de la location gérance et les capacités du gisement demeurant au nord n'étaient pas de nature à préserver l'équilibre économique de la convention, nonobstant la phase transitoire pendant laquelle la redevance minimale avait été seule réglée, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1134 du Code civil et 1er et suivants de la loi du 20 mars 1956 ; 4°) qu'en se bornant à énoncer que les Carrières de Saint-Martin avaient abandonné "provisoirement" le gisement nord pour regrouper l'activité sur le secteur sud, limitrophe de celui de la société Carrière de la Galiberte, la première finançant le matériel et le personnel utilisés par la seconde, la cour d'appel, qui ne relève aucune anomalie comptable et aucune confusion entre les personnes morales et leurs patrimoines respectifs ne caractérise qu'un regroupement temporaire des moyens de production correspondant à une bonne gestion au regard du programme d'exploitation en cours, et nullement une disparition des moyens d'exploitation ou de la clientèle au détriment de la seule Carrières de Saint-Martin, sur lesquels elle prétend se fonder (p16 all) ; qu'en statuant de la sorte l'arrêt attaqué se trouve privé de base légale au regard des articles 1184 et 1134, alinéa 3 et 1719 du Code civil ainsi que des articles 1er et suivants de la loi du 20 mars 1956 ; 5°) que la cour d'appel laisse dépourvues de réponse, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, les conclusions récapitulatives qui faisaient précisément valoir que, s'agissant d'un processus industriel consistant à achever l'exploitation des gisements sud avant de commencer celle des gisements nord (p56), une simple coopération avec l'exploitation voisine ne réalisait aucune confusion des patrimoines dès lors que les prestations d'une société à l'autre étaient facturées (p59), que les bons de commandes et les tarifs des matériaux étaient distincts et préservaient l'identité de la clientèle (p62) et ne constituait donc pas un obstacle à la restitution du fonds loué au terme du contrat ; 6°) qu'après avoir déclaré que la clientèle "potentielle" de la société Carrières de Saint-Martin, constituée par des entreprises du bâtiment et de travaux publics, est nécessairement attachée au "secteur géographique", pour leur approvisionnement en granulats calcaires (p. 16), la cour d'appel ne pouvait, sans priver à nouveau sa décision de toute base légale au regard des articles 1184 et 1719 du Code civil et 1er et suivants de la loi du 20 mars 1956, reprocher à cette société d'avoir détourné ladite cliente du seul fait de l'utilisation de moyens de production communs avec la carrière limitrophe ;

Mais attendu qu'ayant relevé, d'une part, que la société CSM a choisi délibérément de laisser inexploité une partie du gisement de la carrière de Saint-Martin, objet de la location-gérance, en vertu d'une stratégie définie avec la société Carrière de la Galiberte, qui exploite une zone limitrophe du même nom, est détenue par les mêmes actionnaires et a les mêmes dirigeants qu'elle, d'autre part, que la carrière de Saint-Martin ne forme plus désormais une unité de production distincte de la carrière de la Galiberte, les deux carrières étant exploitées en commun avec un matériel unique de traitement des matériaux et de pesage installé sur le carrière de la Galiberte, et le financement de l'acquisition d'une installation de concassage-criblage ayant été supporté par la société CSM, qui emploie en outre son personnel à l'exploitation de la carrière de la Galiberte, l'arrêt retient que le fait que la carrière de Saint-Martin soit sous-exploitée depuis 1989 à raison de l'abandon, au nom d'une stratégie incompatible avec les intérêts propres du propriétaire du fonds, de l'exploitation d'une partie du gisement et la situation de fait créée par les sociétés CSM et de la Galiberte, qui ont constitué une exploitation unique entraînant la perte de la clientèle du fonds loué, procèdent d'une inexécution manifeste par la société CSM de son obligation d'exploiter le fonds en bon père de famille et constituent une violation de la clause selon laquelle elle s'était engagée à exploiter le fonds en bon commerçant de façon à lui conserver sa clientèle et l'achalandage qui y sont attachés et même à les augmenter si possible et à veiller à ne rien faire ni laisser faire qui puisse avoir pour conséquence d'entraîner la dépréciation, la diminution du rendement, la cessation d'exploitation, même provisoire, du fonds ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, exemptes de contradiction et déduites de son appréciation souveraine des faits de la cause, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu les termes du contrat et n'était pas tenue de procéder à des recherches inopérantes ou qui ne lui étaient pas demandées, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses six branches ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.