CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 29 mars 2001, n° 98-08815
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Boisset (ès qual.), Richelieu Restauration Rapide (SARL)
Défendeur :
Compagnie de Restaurants et Cafétérias (SA), Tarte Julie Diffusion (SA), Gira Sic (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Canivet
Conseillers :
MM. Raffejeaud, Dragne
Avoués :
SCP Fievet-Rochette-Lafon, SCP Lissarrague-Dupuis & Boccon-Gibod
Avocats :
Mes Boyer, Bensoussan.
Le 2 août 1994, la société Compagnie de Restaurants et Cafétérias (ci-après CRC) a concédé à Mlle Gautier aux droits de laquelle est venue la société Richelieu Restauration Rapide (ci-après 3R), l'utilisation, en qualité de franchisée, de la formule "Tarte Julie" sous toutes ses formes, la société Tarte Julie Diffusion intervenant à l'acte pour donner son accord.
Imputant à la société CRC sa situation catastrophique, la société 3R l'a alors assignée devant le tribunal de commerce de Nanterre, en compagnie de la société Tarte Julie Diffusion, quelques jours avant que fût prononcée sa liquidation judiciaire.
La procédure a été reprise par son liquidateur, Maître Monique Boisset, et les défenderesses ont appelé en garantie la société RJH Associés qui avait établi un "avis sur site" préalablement à la signature du contrat de franchise.
C'est dans ces circonstances que le tribunal de commerce de Nanterre a rendu le 28 avril 1998 un jugement aux termes duquel, après avoir constaté que les sociétés CRC et Tarte Julie diffusion avaient rempli leurs obligations et que la faiblesse du chiffre d'affaires enregistré par la société 3R avait une cause étrangère aux prestations du franchiseur, il a débouté Maître Boisset ès qualités de toutes ses demandes et a condamné la société CRC à verser à la société RJH Associés la somme de 10.000 F par application de l'article 700 du NCPC.
Maître Boisset ès qualités a interjeté appel de ce jugement le 10 novembre 1998.
La société RJH Associés, aujourd'hui dénommée Gira Sic, a conclu à l'irrecevabilité de son appel, au motif qu'elle lui avait notifié le jugement, ainsi qu'aux autres parties, les 7 et 10 août 1998.
Maître Boisset ès qualités a répliqué que son appel restait néanmoins recevable vis-à-vis des sociétés CRC et Tarte Julie Diffusion.
Sur le fond, elle a fait valoir que l'étude de marché qui avait été remise à la société 3R par la société CRC était erronée et trompeuse ; qu'en particulier, il n'avait pas été pris en considération la concurrence sur le site, il n'avait pas été tenu compte des horaires et jours de travail de la clientèle potentielle, le nombre de couverts avait été surestimé, des travaux non prévus avaient dû être exécutés et le montant du loyer était exorbitant.
Elle a également soutenu que le site et les locaux étaient totalement inadaptés, que la société CRC n'avait nullement justifié de l'existence d'un savoir-faire ou d'une connaissance présentant un caractère substantiel, que celle-ci avait été incapable d'ouvrir des restaurants- boutiques et qu'enfin, les comptes et "prévisionnels" communiqués par la société CRC étaient trompeurs.
Elle s'est en revanche élevée contre les reproches faits à son administrée.
Elle a sollicité, en définitive, la nullité du contrat et de ses avenants pour dol, subsidiairement leur résolution pour inexécution et le paiement par la société CRC d'une somme de 5,976.342 F à titre de dommages et intérêts, outre 100.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Les sociétés CRC et Tarte Julie ont également conclu à l'irrecevabilité de l'appel.
Sur le fond, elles se sont attachées à réfuter les griefs articulés par l'appelante et ont expliqué la déconfiture de la société 3R par la carence de ses dirigeants, et notamment le non-respect du concept Tarte Julie, ainsi qu'une forme de mépris manifestée à l'égard de la clientèle.
Elles ont donc conclu à la confirmation du jugement entrepris et ont sollicité une somme de 8.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
A titre subsidiaire, elles ont conclu à la réduction des prétentions de l'appelante et demandé la garantie de la société Gira Sic à l'encontre de laquelle elles restaient recevables à former appel provoqué.
Quant à la société Gira Sic, elle a demandé, au cas où l'appel serait jugé recevable, la confirmation du jugement déféré aux motifs qu'elle n'avait commis aucune faute dans la mission qui lui avait été confiée et qu'elle n'avait pas d'obligation de résultat.
Elle a sollicité, en outre, une somme de 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Sur ce
Sur la recevabilité de l'appel :
Considérant que selon l'article 529 alinéa 2 du NCPC, dans le cas où un jugement profite solidairement ou indivisiblement à plusieurs parties, chacune peut se prévaloir de la notification faite par l'une d'elles ;
Qu'il s'en déduit a contrario que, hors les cas de solidarité et d'indivisibilité, l'appel irrecevable à l'égard d'une partie qui a notifié le jugement à l'appelant reste néanmoins recevable à l'égard des parties qui ne le lui ont pas signifié ;
Qu'en l'espèce, il n'existe aucune solidarité ou indivisibilité entre l'action principale dirigée contre les sociétés CRC et Tarte Julie et l'appel en garantie de la société Gira Sic par ses dernières ;
Qu'en conséquence, si l'appel de Maître Boisset ès qualités, interjeté trois mois après la signification du jugement à elle faite par la société CIRA SIC, est bien irrecevable à l'encontre de cette dernière, il reste en revanche recevable en ce qu'il est dirigé contre les sociétés CRC et Tarte Julie ;
Et considérant que, par application des dispositions de l'article 550 du NCPC, celles-ci sont recevables en leur appel provoqué à l'égard de la société Gira Sic ;
Sur le fond :
Considérant que la société CRC a fourni à Melle Gautier l'ensemble des informations auxquelles elle était tenue aux termes de la loi n° 89-1008 du 31 décembre 1989 ;
Que préalablement, elle avait fait réaliser par la Société RJH Associés un "avis sur site" qui, quoique succinct, contenait des renseignements suffisants pour permettre d'apprécier les risques de l'opération ;
Que les informations reportées en annexe du contrat de franchise retranscrivent l'essentiel de l' "avis sur site";
Que le franchiseur n'est pas tenu à une obligation de résultat et n'engage pas sa responsabilité du seul fait que les prévisions qu'il avait faites ne se sont pas réalisées ;
Que, contrairement à ce qui est prétendu par l'appelante, la concurrence sur le site a été prise en considération, puisqu'il a été noté dans les informations remises à Melle Gautier qu'elle était " forte " ;
Qu'il n'est pas démontré que la société CRC ait surestimé la clientèle potentielle, alors qu'il est établi par ailleurs, par les mises en garde adressées à la société 3R et des attestations de clients, que tant l'accueil de la clientèle que la qualité des produits vendus étaient peu satisfaisants ;
Qu'il n'est pas justifié d'un dépassement anormal du coût des travaux prévus à l'origine ;
Qu'il en est de même d'un prétendu "coût exorbitant du loyer", dont rien ne prouve qu'il n'ait pas correspondu à la valeur locative et aux prix couramment pratiqués dans le voisinage ;
Considérant d'autre part, que l'appelante se plaint du caractère inadapté du site et des locaux ;
Mais que s'il est vrai que la galerie du passage des Princes s'est révélée être à l'expérience d'une faible commercialité, rien ne permettait de supposer à son ouverture en septembre 1994 son échec ;
Qu'au demeurant, la société 3R bénéficiait d'un accès sur la rue Richelieu, rue très fréquentée, qui devait lui permettre de ne pas être trop concernée par la désaffection du passage des Princes ;
Que l'inadaptation des locaux et les "problèmes de signalétique" dont la société 3R se plaint sont de sa seule responsabilité de commerçante indépendante ;
Considérant que l'appelante reproche ensuite à la société CRC une absence de savoir-faire "substantiel", en développant des arguments inopérants ;
Qu'ainsi, la société CRC n'était pas chargée de procéder au remplacement des employés malades, ni de régler les problèmes de l'installation électrique de la société 3R ;
Que ce grief est d'autant plus injustifié que Melle Gautier elle-même, dans son dossier de candidature, forte de son expérience de chef de publicité et de sa formation dispensée par Tarte Julie, vantait l'"expérience" de la société CRC, "sa connaissance du marché et du produit", "le sérieux reconnu de son groupe" et "un concept qui avait fait ses preuves" ;
Que les obligations du franchiseur pendant la durée du contrat étaient celles énumérées à l'article 6 B du contrat et qu'il n'apparaît pas que la société CRC ne les aient pas remplies ;
Qu'au contraire, il ressort des pièces versées aux débats, et notamment de l'attestation de M. Besnard, qui l'assistait dans son exploitation, que Melle Gautier n'entendait pas suivre les conseils qui lui étaient prodigués par son franchiseur ;
Considérant que l'absence d'ouverture de restaurants-boutiques reprochée à la société CRC est inopérante, dès lors qu'il ne s'agissait pas d'une condition de l'engagement contractuel ;
Considérant qu'il est fait grief au franchiseur d'une tromperie relative aux comptes communiqués, au motif que les documents remis incluaient les enseignes Tarte Julie et Melodine, alors que Melle Gautier n'ignorait pas que la société CRC exploitait les deux enseignes et qu'elle ne justifie d'aucun vice du consentement de ce chef ;
Considérant qu'il est enfin mis en cause le chiffre d'affaires prévisionnel, dont il est de fait qu'il était trois fois supérieur au chiffre d'affaires effectivement réalisé ;
Mais considérant que ce chiffre d'affaires prévisionnel a été établi après une étude dont rien ne permet de douter du caractère sérieux ;
Que le chiffre d'affaires annoncé de trois millions de francs n'apparaissait pas en lui-même irréaliste, alors que, quelques années plus tôt, la société CRC réalisait, pour un établissement de même type situé à proximité, un chiffre d'affaires de 1.500.000 F ;
Considérant qu'en définitive, il n'existe aucune manœuvre dolosive, ni aucune faute prouvée de la société CRC ;
Qu'il apparaît, en fait, que la déconfiture de la société 3R est certes due à l'échec de la galerie du passage des Princes, que toutefois rien ne permettait d'envisager à son ouverture en 1994 compte tenu de son emplacement exceptionnel au centre de Paris mais également aux insuffisances de la société 3R et de ses dirigeants, dénoncées par les attestations de clients ou de préposés versées aux débats et maintes fois signalées par le franchiseur dans ses mises en garde ;
Considérant qu'il convient, en Conséquence, de confirmer le jugement entrepris ;
Considérant qu'en raison de la situation économique de l'appelante, il n'y a lieu à versement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du NCPC ;
Qu'en revanche, la condamnation de la société CRC au bénéfice de la société Gira Sic est maintenue ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement : Déclare Maître Boisset, ès qualités de liquidateur de la société 3R, recevable en son appel, seulement en ce qu'il est dirigé à l'encontre des sociétés CRC et Tarte Julie diffusion, Déclare recevable l'appel provoqué de la société Gira Sic, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Déboute les parties de toutes autres demandes, Condamne Maître Boisset, ès qualités de liquidateur de la société 3R, aux dépens qui seront recouvrés par les SCP Lissarrague-Dupuis & Boccon-Gibod et Merle & Carena-Doron, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.