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Décisions

CA Paris, 14e ch. A, 2 mai 2001, n° 2001-03183

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Association des Franchisés de l'Optique

Défendeur :

Les Frères Lissac (Sté), Lissac

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lacabarats

Conseillers :

Mmes Charoy, M. Pellegrin

Avoués :

SCP Roblin-Chaix de Lavarène, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Meresse, Faizant.

T. com. Paris, prés., du 14 déc. 2000

14 décembre 2000

Créée en 1919, la société Les Frères Lissac (la société Lissac) dont la présidente est actuellement Evelyne Odenthal épouse Lissac, commercialise des produits d'optique-lunetterie par l'intermédiaire d'un réseau de succursales et de magasins franchisés.

A la suite de l'annonce du rapprochement de la société Lissac avec le groupe Alain Afflelou, un certain nombre de franchisés Lissac a constitué au mois de juillet 2000 l'Association des Franchisés de l'Optique (l'AFO).

Celle-ci et différents franchisés adhérents ont fait assigner, le 1er décembre 2000, la société Lissac devant le président du tribunal de commerce de Paris pour obtenir la désignation d'un mandataire ad hoc investi de la mission suivante :

- se faire communiquer tous documents ; entendre tous sachants et se faire assister de toute personne qu'il jugera utile à l'accomplissement de sa mission,

- administrer le réseau de franchise Lissac et gérer les relations commerciales, juridiques et financières entre la société Les Frères Lissac et les sociétés franchisées du réseau Lissac dans le cadre des contrats de franchise existant,

- prendre toutes les décisions nécessaires pour assurer la pérennité commerciale du réseau des entreprises franchisées, et notamment mettre en œuvre sans tarder la politique de commission Lissac pour l'année 2001, en concertation avec la commission publicité du réseau ; auditer les comptes du budget publicité en déterminant l'origine des ressources et leurs usages,

- s'efforcer de renouer des relations de confiance avec les fournisseurs en général, et notamment la société Essilor et le distributeur du produit multifonctions Lissac, pour que les produits et conditions commerciales nécessaires à l'exploitation de la franchise Lissac soient maintenus. Auditer les paiements, par les franchisés, des factures Essilor, vérifier si les prélèvements effectués par la société Les Frères Lissac en qualité de centrale de paiement, ont bien été reversés à la société Essilor pour le compte des franchisés, et s'assurer que dans la dette Lissac à l'égard d'Essilor, ne figurent pas de factures déjà payées par prélèvements par les franchisés,

- rétablir la concertation et le dialogue entre le réseau des entreprises franchisées d'une part, et le franchiseur d'autre part, pour que des solutions concrètes aux difficultés rencontrées par la société Les Frères Lissac soient mises en œuvre en concertation avec le réseau des entreprises franchisées, et dans l'intérêt commun des parties,

Par ordonnance du 14 décembre 2000, le président du tribunal de commerce a rejeté cette demande.

L'AFO a interjeté appel de l'ordonnance le 29 janvier 2001.

Par ses dernières écritures du 26 mars 2001, l'AFO demande à la cour

- d'infirmer l'ordonnance,

- de dire irrecevable la demande d'Evelyne Lissac, de débouter en tout état de cause les intimés de leurs prétentions,

- de désigner un mandataire ad hoc afin de représenter les opticiens franchisés Lissac membres de l'AFO auprès du franchiseur, la société Lissac, avec mission de :

- organiser avec le franchiseur une structure de dialogue et de concertation,

- mettre en œuvre par tous moyens appropriés les solutions de conciliation qui puissent permettre aux franchisés et au franchiseur de collaborer ensemble afin de pérenniser et développer le réseau des franchisés Lissac, dans leur intérêt commun,

- obtenir pour le compte des franchisés des informations précises sur la stratégie commerciale de la société Les Frères Lissac pour l'année 2001 et pour les années à venir,

- se faire remettre par le franchiseur Lissac les informations relatives aux comptes de publicité de l'année 2000, (rétablir et mettre en place la commission de travail publicité pour que les décisions soient prises dans l'intérêt général du réseau sans tarder),

- obtenir du franchiseur Lissac des explications sur les conditions d'achat discriminatoires entre les magasins franchisés d'une part, et les magasins succursales d'autre part, auprès des fournisseurs référencés,

- obtenir du franchiseur Lissac toute information sur la situation des relations commerciales et financières avec Essilor (origine des impayés, diminution des ristournes, etc...) ;

- subsidiairement de donner acte à l'AFO de son accord de principe si la cour entendait proposer la désignation d'un médiateur,

- de condamner la société Lissac au paiement de la somme de 100.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Pour justifier ces demandes, l'AFO fait valoir que les intimés ont abusé le juge des référés quant au prétendu abandon du projet d'association avec le groupe Alain Afflelou, que la situation de la société Lissac est délicate depuis plusieurs années, que les franchisés ont une inquiétude légitime sur la réalité des moyens dont dispose la société pour mettre en œuvre l'objet même des contrats de franchise, qu'un dialogue et une concertation sont nécessaires pour favoriser toute mesure de nature à sauvegarder l'avenir du réseau des entreprises franchisées, que l'AFO est recevable à demander à cette fin la désignation d'un mandataire ad hoc dont la mission n'est pas de dessaisir de leurs prérogatives les organes sociaux de la société Lissac, que sa demande s'inscrit dans le cadre des principes fondamentaux de la franchise, tels qu'ils résultent du Code déontologique de la franchise, qu'elle répond au souci légitime de sauvegarde et de développement du réseau et est aussi justifiée au regard de l'article 1134 du Code Civil.

Par leurs dernières écritures du 20 mars 2001, la société Lissac et Evelyne Lissac demandent à la cour :

- à titre principal de dire l'AFO irrecevable en son appel,

- à titre subsidiaire de dire l'AFO irrecevable en sa demande de nomination d'un mandataire ad hoc pour défaut de qualité à agir,

- de confirmer l'ordonnance,

- de condamner l'AFO à payer tant à la société Lissac qu'à Evelyne Lissac la somme de 50.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Les intimés font valoir que seule une décision de l'assemblée générale de l'AFO aurait pu autoriser l'appel de l'ordonnance, qu'au surplus la déclaration d'appel est irrégulière car elle ne désigne pas l'organe qui représente l'AFO, qu'en toute hypothèse la demande de l'AFO est irrecevable à défaut de caractériser une atteinte aux intérêts collectifs de ses membres, que cette demande aurait pour effet de priver Evelyne Lissac d'une partie de ses prérogatives alors que les conditions de la désignation d'un mandataire ad hoc ne sont pas en l'espèce réunies.

Sur la recevabilité de l'appel et des demandes

Considérant que, malgré une rédaction incomplète de la déclaration d'appel qui se borne à indiquer que la voie de recours a été exercée par l'AFO " agissant poursuites et diligences en la personnes de ses représentants légaux ", il est établi grâce aux écritures produites au débat que l'action en référé a été engagée et poursuivie devant la cour au nom de l'AFO par son président ;

Considérant qu'à défaut de stipulation statutaire ou de délibération de l'assemblée générale contraire, le pouvoir conféré au président par les statuts de représenter le groupement en justice lui donne également celui d'agir au nom de celui-ci et d'apprécier si un recours doit être formé contre une décision qu'il estime défavorable aux intérêts dont il a la charge ;

Considérant en outre que toute association régulièrement déclarée peut, dans les limites de son objet social, agir en justice pour la défense des intérêts collectifs de ses membres ;

Considérant que les statuts de l'AFO prévoient que cette association a notamment pour but de défendre les intérêts professionnels de ses membres, de favoriser la concertation et le dialogue avec le franchiseur, de formuler toutes propositions ayant pour objet la défense de leurs réseaux de franchise ;qu'ils lui donnent aussi le pouvoir, afin d'assurer la réalisation de son objet, d'engager toutes actions de quelque nature que ce soit ;

Considérant que la demande de désignation d'un mandataire ad hoc, telle qu'elle a été présentée et précisée devant la cour, n'excède nullement les limites de l'objet pour lequel l'AFO a été constituée ;que les fins de non-recevoir opposées à la recevabilité de l'appel et des demandes de l'appelante doivent dès lors êtres rejetées ;

Sur le bien-fondé de l'appel

Considérant que, <stong>même si elle ne tend pas à dessaisir les dirigeants légaux de la société Lissac de leur pouvoir de gestion des intérêts sociaux ou, comme celle présentée en première instance, à confier à un tiers l'administration du réseau de franchise, la demande formulée par l'AFO devant la cour ne saurait néanmoins être accueillie ;

Considérant en effet que toute demande de désignation d'un mandataire ad hoc présentée dans le cadre d'une procédure de référé doit, à défaut de disposition législative particulière applicable au contrat de franchise, être justifiée au regard des articles 872 et 873 du nouveau code de procédure civile ;

Considérant qu'en l'espèce l'AFO se borne à citer ces textes dans le dispositif de ses dernières écritures, sans toutefois expliquer en quoi leurs conditions d'application seraient réunies ;

Considérant que la référence au Code de déontologie européen de la franchise contenue dans les contrats conclu par la société Lissac avec ses franchisés de même que les engagements souscrits par chacune des parties au titre de ces conventions, la collaboration et le dialogue permanent qu'elles impliquent ne suffisent pas à permettre une immixtion du juge dans l'exécution des contrats et ne dispensaient pas l'AFO de l'obligation de caractériser spécialement, soit l'urgence de la mesure sollicitée, requise par l'article 872 du nouveau code de procédure civile, soit l'existence d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent, au sens de l'article 873 du même code, qu'il conviendrait de faire cesser ou prévenir ;

Considérant que les membres de l'AFO n'ont nullement besoin de l'autorisation d'un juge pour désigner une personne habilitée à les représenter auprès de leur franchiseur ;qu'ils disposent déjà, grâce aux documents comptables, financiers, sociaux ou commerciaux diffusés et communiqués aux débats par la société Lissac, de divers éléments d'appréciation relatifs à la situation de la société, aux opérations promotionnelles déjà menées, à celles qui étaient ou qui sont envisagées pour l'année 2001, aux rapports avec les fournisseurs ; qu'ils sont ainsi en mesure d'apprécier par eux-mêmes si leurs relations avec le franchiseur se déroulent et se développent dans des conditions conformes aux prévisions de contrats ; que même si la société Lissac n'a pas répondu à toutes les demandes d'explications dont elle a été saisie, l'AFO n'établit pas l'évidence ou l'imminence d'un péril auquel ses affiliés seraient exposés ou une défaillance manifeste du franchiseur dans l'exécution de ses obligations d'assistance, de formation, et d'information des franchisés ainsi que dans celle tendant à assurer le dynamisme du réseau ; que la décision ayant rejeté la demande de désignation d'un mandataire doit dès lors être confirmée, étant précisé qu'aucun accord n'a été donné par les intimés à la mesure de médiation subsidiairement demandé par l'appelante ;

Considérant que l'AFO, qui succombe à son appel, doit être condamnée aux dépens et au paiement à la société Lissac d'une indemnité pour ses frais de procédure non compris dans les dépens ; qu'aucune circonstance ne justifie en revanche l'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile au profit d'Evelyne Lissac ;

Par ces motifs, rejette les fins de non recevoir soulevées, confirme en toutes ses dispositions la décision déférée, condamne l'AFO à payer à la société Lissac la somme de 10.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette toutes autres demandes, condamne l'AFO aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.