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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. A, 11 juillet 2001, n° 00-01125

MONTPELLIER

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pintre

Défendeur :

Etablissement Combes (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ottavy

Conseillers :

MM. Derdeyn, Bruyère

Avoués :

SCP Argellies-Travier-Watremet, SCP Jougla-Jougla

Avocats :

Mes Monestier, Bernigaud, Poupelain, Mora.

T. com. Millau, du 30 nov. 1999

30 novembre 1999

Faits et procédure

La SA Combes Menuiserie a pour activité principale la fabrication et la commercialisation de menuiseries industrielles bois, aluminium et PVC.

Suivant contrat d'agent commercial du 1er septembre 1992, elle a confié à M. Jean-Pierre Pintre la commercialisation de ses produits auprès des souscripteurs et adjudicataires de chantiers et négociants, sur les départements 11-12-34-48-66 et 81.

La rémunération de M. Jean-Pierre Pintre était constituée de commissions d'un taux variant suivant celui de la remise consentie par l'agent commercial.

Le 30 novembre 1995, un avenant a été conclu, modifiant notamment le secteur, limité aux départements 30-34 et 11, et les taux des commissions applicables.

Après que les relations entre les parties se soient dégradées, la SA Combes Menuiserie a, par lettre recommandée avec A.R. du 7 novembre 1996, notifié à M. Jean-Pierre Pintre la rupture du contrat pour faute grave.

Par acte du 14 octobre 1997, M. Jean-Pierre Pintre a saisi le juge des référés du Tribunal de commerce de Milan qui, par ordonnance du 14 octobre 1997, a :

1. Condamné la SA Combes Menuiserie à payer à M. Jean-Pierre Pintre la somme de 50.330,93 F HT en contrepartie de la facture avec mention de la TVA que ce dernier devra lui adresser,

2. Désigné comme expert M. Trabé avec mission de :

prendre connaissance des accords des parties, chiffrer le montant des commissions restant dues à M. Jean-Pierre Pintre, dire qui a pris l'initiative de la rupture du contrat d'agent commercial, rechercher pour les exercices 1995 et 1996, par tous moyens, notamment par vérification des documents comptables et fiscaux, des relevés bancaires et autres, les noms des fabricants de menuiserie bois, alu et PVC dont M. Jean-Pierre Pintre aurait commercialisé les produits, en violation de l'article 5 de son contrat d'agent commercial, chiffrer le montant du chiffre d'affaires réalisé avec ces derniers, faire le compte entre les parties.

L'expert a accompli sa mission et a établi son rapport le 17 septembre 1998.

Par acte du 26 février 1999, M. Jean-Pierre Pintre a alors fait assigner la SA Combes Menuiserie devant le Tribunal de commerce de Millau qui, par jugement du 30 novembre 1999 :

1. Sur la recevabilité de la demande, a dit que M. Jean-Pierre Pintre est recevable en sa demande de dommages et intérêts, celle-ci étant formulée dans les délais,

2. Sur le fond

- a dit que la rupture du contrat d'agent commercial de M. Jean-Pierre Pintre repose sur une faute grave exclusive de toute indemnité de toute nature,

- a rejeté la demande de M. Jean-Pierre Pintre de dommages et intérêts pour réparation du préjudice subi,

- a condamné M. Jean-Pierre Pintre à payer à la SA Combes Menuiserie la somme de 27.195,24 F H.T. en réparation du préjudice qu'elle a subi,

- n'a pas retenu le mode de détermination du taux de remise adopté par la SA Combes Menuiserie,

- a condamné cette dernière à payer à M. Jean-Pierre Pintre la somme de 33 212,17 F,

- a ordonné l'exécution provisoire,

a condamné M. Jean-Pierre Pintre à payer à la S.A. Combes Menuiserie la somme de 10.000 F au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- a condamné M. Jean-Pierre Pintre aux dépens.

M. Jean-Pierre Pintre a interjeté appel de cette décision.

Prétentions des parties

Par conclusions du 28 mai 2001. M. Jean-Pierre Pintre fait valoir que :

- sa réclamation a été formée dans l'année de la rupture du contrat par l'action en référé et se trouve donc recevable.

- la rupture du contrat est imputable à la SA Combes Menuiserie qui a manqué à ses obligations concernant notamment le paiement des commissions et a ensuite invoqué des faits inexacts ou non démontrés pour officialiser la rupture,

- il a droit au rappel de commission comme établi par l'expert ainsi qu'à l'indemnité de clientèle qui peut être évalué à deux ans de commissions.

Il demande donc à la Cour de :

- infirmer le jugement entrepris,

- dire et juger recevable sa demande d'indemnité de clientèle,

- condamner la SA Combes Menuiserie à lui payer les sommes de :

- 428.188 F HT augmentée de la TVA à titre d'indemnité de clientèle,

- 82.015 F HT augmentée de la TVA au titre des commissions dues jusqu'à la rupture du contrat d'agent commercial,

- 15.000 F au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par conclusions du 5 juin 2001, la SA Combes Menuiserie fait valoir que :

la demande de dommages et intérêts de M. Jean-Pierre Pintre est irrecevable car elle n'a pas été notifiée dans l'année de la rupture du contrat, cette rupture est fondée sur une faute grave de l'agent qui a notamment exercé des activités concurrentes à son détriment, alors qu'elle- même n'a pas manqué à ses obligations, il lui est dû réparation pour le préjudice subi du fait des agissements de M. Jean-Pierre Pintre et que les premiers juges ont sous-évalué.

Elle demande en conséquence à la Cour de :

- débouter M. Jean-Pierre Pintre de son appel, la recevoir en son appel incident,

- déclarer irrecevable la demande en dommages et intérêts de M. Jean-Pierre Pintre,

- condamner M. Jean-Pierre Pintre à lui verser la somme de 500.000 F en réparation du préjudice subi du fait de la concurrence déloyale développée par M. Jean-Pierre Pintre à l'occasion de son mandat, confirmer le jugement pour le surplus, condamner M. Jean-Pierre Pintre à lui payer la somme de 20.000 F au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs

Selon l'article 12 alinéa 2 de la loi du 25 juin 1991, l'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits.

En l'occurrence, M. Jean-Pierre Pintre a fait assigner la SA Combes Menuiserie devant le juge des référés par exploit du 14 octobre 1997 ; il y demandait une mesure d'expertise aux fins, notamment, de déterminer les conditions de la rupture du contrat d'agent commercial.

En sollicitant ainsi le recours à une mesure d'instruction englobant les circonstances de la rupture du contrat, M. Jean-Pierre Pintre a clairement et nécessairement notifié à la SA Combes Menuiserie qu'il entendait faire valoir ses droits consécutifs à cette rupture.

Cette notification étant intervenue dans le délai d'un an suivant celle de la rupture à l'initiative de l'employeur, faite par lettre recommandée avec AR du 6 novembre 1996, il s'ensuit que M. Jean-Pierre Pintre n'a pas laissé s'éteindre sa créance indemnitaire et que les premiers juges ont à juste titre déclaré sa demande recevable.

En vertu de l'article 13 a) de la loi du 25 juin 1991, ce droit à réparation est également exclu lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.

La SA Combes Menuiserie se prévaut d'une telle faute grave de son agent commercial reposant sur trois griefs : difficultés à joindre M. Jean-Pierre Pintre, absence de commandes de sa part depuis juillet 1996, et actes de concurrence déloyale.

Cependant, l'ensemble des faits qui lui sont reprochés sont postérieurs au courtier de M. Jean- Pierre Pintre du 2 avril 1996 et à son fax du 5 avril suivant, dans lequel il déplore à juste titre que ses commissions ne lui sont plus versées et annonce qu'il suspend ses commandes jusqu'au déblocage de cette situation.

Après avoir examiné l'ensemble des documents comptables depuis 1995, l'expert a confirmé que des commisssions restaient dues à M. Jean-Pierre Pintre et a évalué ce reliquat à 82.015,98 F H.T..

Selon le contrat, la rémunération de M. Jean-Pierre Pintre consistait en une " commission variable selon le taux de remise qu'il accordera à chaque affaire ". En l'absence d'autres précisions dans le mandat sur cette notion de remise, le taux de celle-ci ne pouvait qu'être celui " accordé par l'agent " figurant sur les factures ou les bons de confirmation de commande transmis par lui et non un taux " réel " autrement déterminé par le mandant. Le calcul opéré par l'expert suivant ce principe mérite donc d'être approuvé.

La SA Combes Menuiserie n'est pas fondée à invoquer de prétendues difficultés d'interprétation du contrat, qu'elle a elle-même rédigé, pour prétendre s'exonérer de son obligation essentielle de payer, au moins à titre provisionnel, les commissions, exigibles, selon l'article 9 alinéa 3 de la loi du 25 juin 1991, le dernier jour du mois qui suit le trimestre au cours duquel elles étaient acquises.

La faute première, dans l'ordre chronologique et dans celui des principes, commise par le mandant justifie la rétention par l'agent des commandes enregistrées après sa mise en demeure, explicite et demeurée infructueuse. L'ayant privé de ressources, tandis que ses charges continuaient à être exigibles, elle excuse également les démarchages qu'il a pu effectuer pour le compte d'entreprises concurrentes de son cocontractant, bien que de tels actes lui aient été interdits par le mandat.

Elle rend la rupture du contrat imputable à la SA Combes Menuiserie, même si c'est elle qui en a pris l'initiative, et ouvre droit au profit de M. Jean-Pierre Pintre à l'indemnité prévue à l'article 12 susvisé.

De mars à décembre 1995, M. Jean-Pierre Pintre a perçu 132.079 F H.T. de commissions. A cela s'ajoutent les commissions évaluées à 82.015,98 F H.T. par l'expert restant dues depuis 1994 à juin 1996, aucun justificatif de droit à commission pour la période postérieure jusqu'à la rupture n'étant fourni. Au cours des deux ans précédant la rupture, M. Jean-Pierre Pintre justifie donc avoir effectivement perçu environ 215.000 F H.T.

Cependant, M. Jean-Pierre Pintre avait, avant que la rupture du mandat soit concrétisée, trouvé de nouveaux partenaires au profit desquels il exerçait ses talents d'agent commercial. La SA Combes Menuiserie produit en effet un témoignage d'un client accompagné d'un devis établi par M. Jean-Pierre Pintre au profit d'un concurrent ; l'expert a d'autre part relevé, dans la comptabilité de M. Jean-Pierre Pintre de novembre et décembre 1996, des versements de commissions par des concurrents de la SA Combes Menuiserie pour un total de 53.234 F, qui correspondent nécessairement à des commandes enregistrées avant la rupture du mandat.

Dans ces conditions, le préjudice réellement subi par M. Jean-Pierre Pintre ne saurait excéder la somme de 80.000 F qu'il convient de lui allouer à titre d'indemnité compensatrice.

La SA Combes Menuiserie ne saurait quant à elle sérieusement prétendre à des dommages et intérêts pour des actes de concurrence à l'origine desquels elle se trouve et que sa propre faute a provoqué.

Le jugement déféré sera en conséquence réformé, sauf en ce qu'il a déclaré recevable la demande de M. Jean-Pierre Pintre et en ce qui concerne le rappel de commission alloué à M. Jean-Pierre Pintre tenant compte d'un règlement de 50.330,93 F non discuté.

Partie succombante du procès, la SA Combes Menuiserie en supportera les dépens.

II n'y aura pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, réforme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a déclaré la demande M. Jean-Pierre Pintre recevable et en ce qui concerne le rappel de commission alloué à M. Jean-Pierre Pintre, statuant à nouveau, condamne la SA Combes Menuiserie à payer à M. Jean-Pierre Pintre la somme de 80.000 F, rejette le surplus des demandes, dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, condamne la SA Combes Menuiserie aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.