CA Paris, 5e ch. A, 27 octobre 1993, n° 10627-92
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Fina France (SA)
Défendeur :
Pasquiet (Époux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chavanac (conseiller faisant fonction)
Conseillers :
Mmes Briottet, Vigneron
Avoués :
SCP Goirand, Me Ribaut
Avocats :
Mes Regniez, Jourdan.
Par déclaration remise au Secrétariat Greffe le 3 avril 1992, la SA Fina France (ci-après dénommée Société Fina) a interjeté appel du jugement du 3 mars 1992 par lequel le Tribunal de Commerce de Paris a :
- prononcé la nullité du contrat qu'elle a conclu le 17 janvier 1989 avec les époux Pasquiet,
- débouté ceux-ci de leur demande de provision,
- et avant dire droit ordonné une expertise confiée à M. Jean Le Saout avec mission de chiffrer la valeur du travail fourni par les époux Pasquiet en heures normales et supplémentaires (y compris charges sociales) au regard de la convention collective étendue aux stations-service CNPA, en déduire les montants qu'ils ont prélevés (y compris les cotisations sociales) sur les disponibilités de la station-service, y ajouter éventuellement les sommes qu'ils ont payées personnellement au titre du loyer du logement qu'ils ont dû prendre en raison de l'indisponibilité de celui de la station-service, vérifier les montants réclamés par la Société Fina au titre des livraisons de carburant non réglées en le corrigeant le cas échéant pour tenir compte de l'objection soulevée concernant les volumes, enfin de donner son avis sur les comptes des parties.
La Société Fina fait grief au Tribunal d'avoir prononcé la nullité du contrat la liant aux époux Pasquiet au motif que ceux-ci ont souscrit une obligation indéterminée au sens des articles 1129 et 1591 du Code civil en s'engageant à s'approvisionner exclusivement auprès d'elle alors que ce contrat est conforme aux accords interprofessionnels.
En conséquence, la Société Fina demande d'infirmer le jugement déféré, de condamner les époux Pasquiet à lui payer la somme de 906.924,23 F avec intérêt légal à compter du 7 mars 1990 et la somme de 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC enfin de rejeter leur demande d'expertise qui ne repose sur aucune pièce.
Les époux Pasquiet répliquent que les accords interprofessionnels qu'ils n'ont pas personnellement ratifiés, leurs sont inopposables.
Ils concluent à la confirmation du jugement, demandent de faire une juste application de la jurisprudence de la Cour de cassation en ce qui concerne la nullité du contrat au regard du compte des marchandises qui doit être établi sur la base des prix de revient et sollicitent la condamnation de la Société Fina à lui payer la somme de 50.000 F au titre des frais non répétibles.
SUR LE FOND DU LITIGE
Considérant que par acte sous seing privé daté du 17 janvier 1989, la Société Fina France a donné en location-gérance aux époux Pasquiet une station-service exploitée à Cap d'Ail pendant une durée d'une année à compter du 1er décembre 1988 ;
Que par acte sous seing privé daté du 30 novembre 1989, la Société Fina a conclu avec les époux Pasquiet un nouveau contrat de location-gérance de la même station-service pendant une durée d'une année à compter du 1er janvier 1990 ;
Qu'en vertu du premier contrat, les époux Pasquiet devaient s'approvisionner exclusivement en produits pétroliers et assimilés auprès de la Société Fina, au prix du tarif de cette société en vigueur lors de chaque livraison ;
Que le deuxième contrat contient la même clause d'approvisionnement exclusif en produits pétroliers mais que seuls les lubrifiants et spécialités de marque Fina sont vendus au prix du tarif de la Société Fina en vigueur lors de chaque livraison ;
Considérant tout d'abord que ces clauses d'approvisionnement exclusif au tarif du fournisseur ne figurent pas dans l'accord interprofessionnel du 6 mars 1986 conclu entre la Chambre Syndicale Nationale du Commerce et de la Réparation de l'automobile et la Chambre Syndicale de la Distribution des Produits Pétroliers ;
Que la Société Fina ne saurait donc l'invoquer utilement ;
Considérant que par application des articles 1129 et 1591 du Code civil, ces clauses sont nulles compte tenu que le prix des marchandises susvisées n'est pas déterminé ou déterminable indépendamment de la volonté du fournisseur;
Considérant que ces clauses sont des éléments essentiels des contrats successifs de location-gérance;
Qu'en effet, les carburants et les lubrifiants qui sont indispensables au fonctionnement des véhicules automobiles, doivent être nécessairement commercialisés dans les stations service ;
Considérant que la nullité desdites clauses entraîne la nullité des contrats de location-gérance et par voie de conséquence, la nullité des ventes successives de produits pétroliers réalisés en exécution des contrats de location-gérance;
Considérant que les parties doivent être replacées dans la situation où elles se seraient trouvées si la location-gérance n'avait pas existé ;
Que la Société Fina doit donc restituer le prix des marchandises qu'elle a encaissé tandis que les époux Pasquiet doivent restituer les marchandises effectivement livrées ou à défaut leur valeur marchande conformément aux prix usuels de vente aux détaillants ;
Que les époux Pasquiet sont également en droit de réclamer à la Société Fina une rémunération pour leur gestion de la station-service ;
Qu'en l'absence d'éléments suffisants pour déterminer le montant des droits respectifs des parties, le Tribunal a justement ordonné une mesure d'expertise ;
Que néanmoins, il convient de modifier et de compléter la mission de l'expert et de dire que les frais d'expertise doivent être avancés par la Société Fina demanderesse à l'action ;
Considérant qu'eu égard aux circonstances de la cause, il paraît inéquitable de laisser à la charge des époux Pasquiet leurs frais non répétibles exposés en appel à concurrence de la somme de 5.000 F ;
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat de location-gérance conclu entre la SA Fina France et les époux Pasquiet le 17 janvier 1989 et en ce qu'il a ordonné une expertise aux fins de faire le compte des parties ; Y ajoutant : Déclare nul le contrat de location-gérance conclu entre les parties le 30 novembre 1989 ainsi que les ventes successives de produits pétroliers réalisées en exécution de ces contrats nuls ; En conséquence : Dit que la SA Fina France doit restituer aux époux Pasquiet le prix des marchandises qu'elle a encaissé ; Dit que les époux Pasquiet doivent restituer à la SA Fina France les marchandises réellement livrées ou à défaut leur valeur marchande conformément aux prix usuels de vente aux détaillants ; Confirme l'expertise confiée à M. Jean Le Saout en ce qu'il a pour mission de chiffrer la valeur de travail fourni pour les époux Pasquiet en heures normales et supplémentaires (y compris charges sociales) au regard des usages de la profession et notamment de la convention collective étendue aux stations-service CNPA Modifie et complète la mission de l'expert comme suit : Dit que l'expert doit fixer le montant du prix des marchandises encaissé par la Société Fina France, le montant de la valeur marchande des marchandises restituées éventuellement, par les époux Pasquiet à la date de leur restitution, le montant de la valeur marchande actuelle des autres marchandises effectivement livrées aux époux Pasquiet selon les usages de la profession et non restituées en fixant cette valeur conformément aux prix usuels de vente aux détaillants, le bénéfice net ou éventuellement la perte nette résultant de l'exploitation du fonds de commerce par les époux Pasquiet enfin de faire le compte des parties ; Dit que les frais d'expertise doivent être avancés par la Société Fina France, demanderesse à l'action ; Porte à 20.000 F le montant de la provision qui doit être consignée par la Société Fina France au Secrétariat Greffe du Tribunal avant le 15 décembre 1993 ; Dit que le rapport d'expertise devra être déposé au Secrétariat Greffe du Tribunal dans un délai de six mois à compter de la consignation ; Condamne la SA Fina France à payer aux époux Pasquiet la somme de 5.000 F au titre des frais non répétibles exposés en appel ; Condamne la SA Fina France aux dépens d'appel ; Accorde un droit de recouvrement direct au profit de Me Ribaut, avoué.