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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 16 novembre 1993, n° 1171-91

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Peyrouton

Défendeur :

Esquarade (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lebreuil (conseiller faisant fonction)

Conseillers :

Mme Mettas, M. Milhet

Avoués :

SCP Sorel Dessart, Me De Lamy

Avocats :

Me Cassin, SCP Lassus-Ndome-Manga.

T. com. Saint-Gaudens, du 8 mars 1991

8 mars 1991

Attendu que M. Jean Peyrouton a créé le 1er avril 1977, dans un immeuble dont il était propriétaire avec son ex-épouse Gisèle Pujo un fonds de commerce d'hôtel restaurant qu'il a donné le 27 juin 1981 en location-gérance à la SARL L'Esquarade ;

Que cette location-gérance a pris fin le 30 juin 1984 et que M. Jean Peyrouton a repris le fonds pour, semble-t-il l'exploiter personnellement du 1er juin au 30 septembre 1985 ;

Que suivant acte notarié du 22 novembre 1985 il l'a de nouveau loué à la SARL L'Esquarade à compter du 1er mai 1986 ;

Que le 1er juin 1987 l'immeuble dans lequel était exploité l'hôtel restaurant a été vendu sur licitation à la société Immo 2000 qui le 2 octobre 1987 a consenti à la société L'Esquarade un bail commercial de 9 ans ayant commencé à courir le 1er juillet 1987 ;

Que le 29 juillet 1988 ledit immeuble a été vendu par la société Immo 2000 à M. Alain Peyrouton, fils de Jean Peyrouton et gérant de la SARL L'Esquarade ;

Attendu que suivant exploit du 20 juillet 1990 la SARL L'Esquarade a saisi le Tribunal de commerce de St Gaudens d'une demande tendant à voir dire et juger que du fait de l'adjudication le fonds a été démembré et n'a plus d'existence, voir constater la cessation totale de l'activité commerciale de Jean Peyrouton et voir ordonner la radiation de son inscription au registre du commerce et des sociétés de St Gaudens ;

Attendu que les premiers juges ont fait droit à cette assignation aux motifs :

- d'une part que le contrat de location-gérance du 22 novembre 1985 était postérieur au commandement de saisie du 22 septembre 1982 et qu'il devait être annulé par application de l'article 684 du CPC ;

- d'autre part que la disparition du droit au bail, consécutive à la vente de l'immeuble sur licitation, avait forcément entraîné la disparition du fonds de commerce.

Attendu qu'ils ont de surcroît condamné M. Jean Peyrouton à payer à la SARL L'Esquarade la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC ;

Attendu que l'appelant leur fait grief de s'être ainsi prononcé alors pourtant que l'article 684 du CPC n'avait pas d'autre objet que de protéger les créanciers et qu'il n'était pas applicable en matière de location-gérance mais uniquement en matière de baux d'immeubles ; que de plus le fonds de commerce était une universalité juridique dont le droit au bail n'était que l'un des éléments et que le fonds de commerce qu'il avait créé n'était jamais sorti de son patrimoine ; que sa disparition ne saurait résulter ni de l'absence du droit au bail ni d'un quelconque défaut d'exploitation car il l'avait toujours exploité soit par lui-même soit par son locataire-gérant ;

Attendu qu'il conclut à la réformation de la décision déférée et à la condamnation de la SARL L'Esquarade au paiement des redevances dues à titre de location-gérance soit :

- 426 690 F pour la période du 1er janvier 1981 au 31 décembre 1983

- 36 359 F pour l'année 1987

- 39 220,82 F pour l'année 1988

- 41 679,47 F pour l'année 1989

Attendu qu'il réclame aussi 30 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC ;

Attendu que les intimés concluent au contraire à la confirmation du jugement critiqué en faisant valoir, pour l'essentiel, que l'hôtel restaurant n'avait pas fait l'objet, au moment de l'adjudication d'un bail commercial et que l'inexistence du fonds devait se déduire, non seulement de cette absence de droit au bail mais aussi de la cessation, depuis plusieurs années, des activités de Jean Peyrouton ; que de surcroît l'action en nullité de l'article 684 du CPC était également ouverte aux adjudicataires et à leurs ayants-droit ; qu'enfin la demande reconventionnelle de Jean Peyrouton en paiement des redevances était irrecevable par application de l'article 564 du NCPC ;

Attendu qu'ils sollicitent la condamnation de l'appelant au paiement de la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 susvisé du NCPC ;

Sur quoi,

I . SUR LES PRETENTIONS DES INTIMES

1- Sur la validité du contrat de location-gérance du 22 novembre 1985 :

Attendu que l'action en nullité de l'article 684 CPC est ouverte aux adjudicataires ou à leurs ayants-droit, mais ne peut atteindre que les baux d'immeubles, baux commerciaux ou baux d'habitation postérieurs au commandement de saisie immobilière et n'est pas applicable en matière de location-gérance ; que l'intention du législateur est en effet d'éviter qu'un immeuble, objet d'une saisie, puisse être grevée d'un bail et non pas d'interdire la location du fonds exploité dans cet immeuble;

Attendu que dans le cas d'espèce, la location-gérance du 25 novembre 1985, tout comme celle du 27 juin 1981, comprenait tout à la fois la location du fonds de commerce et celle des murs, mais que, s'agissant de ces derniers il ne pouvait être question que d'une simple jouissance et non pas d'un véritable bail commercial entrant dans le champ d'application de l'article 684 susvisé du CPC ; qu'il était d'ailleurs expressément prévu que la location des lieux était une conséquence de celle du fonds de commerce et qu'elle cesserait en même temps qu'elle ;

Attendu que la nullité du contrat de location-gérance n'est donc pas encourue.

2- Sur l'existence du fonds :

Attendu que lorsqu'un propriétaire a aménagé spécialement un immeuble en vue d'une activité déterminée, ainsi par exemple un hôtel ou un restaurant, ni l'immeuble qui est le siège de l'exploitation ni ses aménagements intérieurs, qui sont immeubles par destination, ne font pas partie du fonds de commerce et que dans un tel cas c'est la clientèle qui constitue l'élément essentiel, c'est-à-dire l'élément tout à la fois nécessaire et suffisant à l'existence du fonds ;

Attendu que, par suite, la vente de l'immeuble sur licitation n'a pas entraîné par elle-même la disparition du fonds de commerce d'hôtel restaurant créé par M. Jean Peyrouton ;

Que ce fonds n'est pas entré dans le patrimoine d'Alain Peyrouton lorsque celui-ci a fait l'acquisition des murs et qu'il n'a jamais cessé d'appartenir à son père ;

Que le droit de propriété de l'appelant a d'ailleurs été consacré par l'acte authentique de vente du 29 juillet 1988 faisant foi jusqu'à inscription de faux ;

Que de son côté la société Immo 2000, adjudicataire de l'immeuble, n'a jamais prétendu avoir acquis cette propriété ;

Attendu que l'existence du fonds doit être en réalité appréciée au regard de son exploitation puisque c'est avec l'exploitation qu'apparaît la clientèle ;

Attendu qu'il est à cet égard soutenu par les intimés que la clientèle ou l'achalandage n'ont pas pu survivre à deux années de cessation d'activité ;

Mais attendu qu'il n'est pas contesté que M. Jean Peyrouton a personnellement exploité le fonds de 1977 à 1980 ;

Que son chiffre d'affaires en 1980 était certes nul mais que la déclaration faite cette année là pour obtenir récupération de la TVA atteste bien d'une activité, condition nécessaire à la récupération de cette taxe et que de toute façon la fermeture temporaire d'un fonds de commerce ne saurait entraîner sa disparition ;

Que l'exploitation s'est poursuivie de 1981 à 1984 dans le cadre du premier contrat de location-gérance et que l'interruption constatée en 1984 est consécutive à la dénonciation de cette convention ;

Qu'elle n'a été là encore que momentanée et que M. Jean Peyrouton a effectivement repris ses activités en 1985 ;

Qu'il a par la suite consenti un nouveau contrat de location-gérance et qu'il est ainsi démontré que sur une période de près de 10 ans, l'exploitation de l'hôtel n'a jamais cessé que temporairement ;

Attendu qu'il convient par conséquent de réformer la décision déférée en toutes ses dispositions, qu'elles soient relatives à l'application de l'article 684 du CPC où à la disparition du fonds et à la radiation de Jean Peyrouton du registre du commerce et des sociétés de St Gaudens.

II . SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE DE JEAN PEYROUTON

Attendu que les demandes reconventionnelles sont recevables en appel à la condition, posée par l'article 74 du NCPC, de se rattacher aux prétentions originaires par un lien suffisant ;

Que l'existence de cette connexité, en l'espèce, n'est pas déniée, et que l'appelant est donc recevable à demander paiement des redevances de location-gérance ;

Mais attendu qu'il convient, avant de statuer plus amplement sur le bien fondé de cette demande d'inviter les intimés à conclure sur le fond, étant ici observé que la redevance devait aussi correspondre à la jouissance de l'immeuble et que M. Jean Peyrouton, du fait de la vente sur licitation de cet immeuble, n'était plus en mesure de fournir cette contrepartie ;

Attendu que les dépens de première instance et d'appel exposés à ce jour doivent être supportés par les intimés qui succombent en toutes leurs prétentions, et qu'il sera sursis à statuer jusqu'en fin de cause, tant sur l'application de l'article 700 du NCPC que sur les dommages-intérêts pour procédure abusive réclamés par l'appelant ;

Par ces motifs : LA COUR, Reçoit l'appel jugé régulier, Le déclare bien fondé, Réforme la décision déférée ; Débouté la SARL L'Esquarade, Mme Gisèle Pujo et M. Alain Peyrouton de toutes leurs demandes. Et avant de statuer plus amplement sur la demande reconventionnelle de Jean Peyrouton, Invite les intimés à conclure sur le bien fondé de cette demande. Révoque à cet effet l'ordonnance de clôture du 20 septembre 1993 et renvoie l'affaire à la conférence de mise en état du 25 mars 1993. Condamne la SARL L'Esquarade, Mme Gisèle Pujo et M. Alain Peyrouton aux dépens de première instance et aux dépens d'appel exposés à ce jour avec distraction au profit de la SCP d'avoués Sorel Dessart, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC. Sursoit à statuer jusqu'en fin de cause tant sur l'application de l'article 700 du NCPC que sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par M. Jean Peyrouton.