CA Grenoble, 1re ch. civ., 7 décembre 1993, n° 92-2633
GRENOBLE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Neyrtec (Sté)
Défendeur :
Limatrap (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Berger
Conseillers :
M. Baumet, Mme Brenot
Avoués :
SCP Manhes, de Fourcroy, SCP Grimaud
Avocats :
Mes Hervy, Day.
Les faits et la procédure :
Pendant plusieurs années, la société, Limatrap, à Limoges, fut l'agent commercial de la société Neyrtec, implantée à Pont De Claix (Isère) dont elle diffusait, dans certains départements du centre de la France, le matériel de broyage et de concassage.
Le présent litige est principalement la conséquence de la rupture de ces relations, à l'initiative de la société Neyrtec, le 16 octobre 1990.
Par jugement contradictoire rendu le 11 mai 1992, le Tribunal de Commerce de Grenoble a condamné la société Neyrtec à payer à la société Limatrap les sommes de :
- 665 558 F, à titre d'indemnité compensatrice, à la suite de la rupture dont la responsabilité était intégralement imputée à la société Neyrtec,
- 57 812,25 F, au titre d'une facture,
- 15 000 F, en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
chaque somme portant intérêts au taux légal à compter du 8 janvier 1991, date de l'assignation,
et à supporter les dépens.
Par déclaration au greffe de la Cour d'Appel en date du 21 juillet 1992, mise au rôle le 4 août 1992, la société Neyrtec a régulièrement relevé un appel illimité au montant de l'indemnité, au calcul des intérêts, à la facture impayée et à la charge des dépens.
Par ordonnance rendue le 11 mai 1992, le Conseiller chargé de la mise en état a condamné la société Neyrtec a payé à la société Limatrap, à titre de provision, les sommes de 138 879,25 F, représentant celle de 60 759 F, offerte par la société Neyrtec ensuite de la rupture, et celle de 57 812,25 F, montant de la facture.
La société Neyrtec, appelante, conclut à une réformation partielle du jugement, à la réduction à la somme de 60 759 F TTC de l'indemnité consécutive à la rupture des relations entre les parties, à ce qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle est prête à régler la somme de 57 812,25 F TTC contre présentation d'une facture régulière, à ce que les intérêts de retard sur l'indemnisation ne courent qu'à compter du jugement, et, sur la facture, qu'à partir d'une mise en demeure et de la présentation d'une facture, au rejet de la demande fondée sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et à ce que la société Limatrap supporte la majeure partie des dépens de première instance et l'intégralité de ceux d'appel.
La société Neyrtec souligne que le contrat rompu n'était pas à durée indéterminée mais venait à expiration le 20 mars 1991, si bien que le préjudice de la société Limatrap est limité à la perte des commissions entre la rupture, le 16 octobre 1990, et le terme contractuellement prévu, le 20 mars 1991.
Elle ajoute que les premiers juges auraient dû prendre en considération, pour évaluer l'indemnité, l'activité de l'année 1990.
Elle soutient qu'elle ne peut payer la facture réclamée que sur facturation régulière, ce que la société Limatrap a toujours refusé.
Elle rappelle que les intérêts sur l'indemnisation ne peuvent courir qu'à compter du jugement, qu'une mise en demeure est nécessaire en matière contractuelle et que l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile n'est pas soumis à intérêts.
La société Limatrap, intimée, conclut à la confirmation, et à la condamnation de la société appelante à lui verser la somme de 5 000 F, en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société Limatrap déclare que son indemnisation fut exactement évaluée en raison de la perte d'activité subie et de la perte de clientèle qu'elle n'avait cessé d'augmenter.
Elle rappelle que le lien contractuel entre Neyrtec et son agent commercial remonte à 1968, avec M. Chazeaud, puis, à partir de 1982, avec la société Limatrap aux services de laquelle il entra, et qui lui alloua une indemnité de 100 000 F à cette occasion.
Elle soutient que le renouvellement, d'année en année, du contrat à durée déterminée doit s'analyser en une relation d'une durée indéterminée, ouvrant droit à une indemnité ne se limitant pas au terme à venir.
La société Limatrap estime que le juge peut décider de fixer le point de départ de l'indemnité, à partir de l'assignation valant mise en demeure.
Au bénéfice des avoués, l'application des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile est sollicitée.
Sur ce :
Sur le montant de l'indemnité de rupture :
En dernier lieu, la société Neyrtec assume l'entière responsabilité de la rupture mais conteste le montant de l'indemnisation calculé par les premiers juges en fonction de deux années civiles entières de commission, comme il est fréquent en jurisprudence pour des contrats d'agence commerciale à durée indéterminée, alors que, soutient-elle, elle ne fut liée avec la société Limatrap que par une succession de contrat à durée déterminée, de 1982 à 1990.
L'article 3 du décret du 23 décembre 1958 ouvre au mandataire, dans le cas de résiliation imputable au mandant, une " indemnité compensatrice du préjudice subi ".
La société Limatrap soutient que du fait du renouvellement de plusieurs contrats à durée déterminée, leurs relations ont dégénéré en un contrat à durée indéterminée si bien que son préjudice doit s'apprécier au regard d'une collaboration longue de nombreuses années, après rachat de la carte du précédent agent commercial, M. Chazaud.
En réalité, les parties furent d'abord liées par un contrat à durée indéterminée (article 9.3 du contrat du 8.IX.1982), puis par deux contrats concurrents, en date des 5 et 19 mars 1984, prévoyant, encore à l'article 9, après une " période d'essai " de 12 mois, des reconductions tacites par périodes annuelles, sauf préavis de trois mois.
Enfin, le contrat daté des 21 et 27 mars 1990 dispose, à l'article 13.1, que le contrat entre en vigueur à la date de sa signature par les deux parties " pour une durée de un an " avec tacite reconduction pour des périodes annuelles.
Il ne s'agit donc point, comme le soutient la société Limatrap, d'un contrat annuel signé en 1982 lequel se serait renouvelé par tacite reconduction, d'année en année, avec les quelques modifications rendues nécessaires par son application, notamment pour le calcul des commissions, mais de contrats auxquels les parties ont successivement mis fin, pour, à chaque fois, redéfinir leurs relations pour l'avenir.
La fraude au statut, suggérée par la société Limatrap, n'est ainsi nullement démontrée.
En 1984, les relations furent renégociées en raison du départ de M. Chazaud, salarié de Limatrap, sur la tête duquel reposait l'intuitus personnae de ces relations et du souhait de la société Limatrap de pouvoir exploiter la clientèle " Mines et Industries extractives ".
Ces négociations aboutirent et conduisirent à la signature de deux contrats dont les conditions de prolongation se trouvaient également modifiées, ainsi qu'il a été dit.
Le début de l'année 1990 fut encore marqué par de nouvelles discussions et par la signature d'un avenant, le 5 février 1990, relatif au territoire de représentation, puis aux tractations sur le taux de commissions relatif aux pièces de rechange, autres que celles dites " d'usure ", et sur la disparition de tout intuitus personnae fondée sur des personnes physiques dénommées, notion remplacée par l'éventualité d'une prise de participation par un tiers, dans le capital de la société Limatrap, autorisant le mandant à résilier le contrat.
Le 27 mars 1990, un nouveau contrat fut signé, refondant les relations entre les parties, en introduisant, notamment, aux articles 11 et 13.2 un minimum de ventes avec faculté de résiliation anticipée par le mandant, avant même la fin de la période annuelle.
Ces renégociations ne constituaient donc pas, de la part du mandant, le déguisement d'une volonté de frauder le statut de son agent, mais correspondaient, pour chaque partie, à la volonté de modifier leurs relations d'affaires sur des points importants.
Il en résulte que la résiliation litigieuse, décidée en 1990 par la société Neyrtec, est intervenue pendant l'exécution d'un contrat à durée déterminée, dont l'échéance intervenait le 27 mars 1991.
Le préjudice réparable se limite donc aux commissions que l'agent aurait normalement perçues jusqu'à ce terme, faute de toute certitude d'un prolongement de leurs relations, le changement de la personne du négociateur, sur le terrain, M. Blanc à la place de M. Monteil, constituant pour le mandant un motif de préoccupation, d'ailleurs avancé pour tenter de justifier la résiliation dès octobre 1990.
En raison du chiffre des commissions afférent aux 24 mois précédant la rupture décidée le 16 octobre 1990, et au terme du 27 mars 1991, l'agent commercial a droit à une indemnité de 65 000 F, avec intérêts au taux légal à compter du jugement ayant liquidé cette indemnisation dont le principe est confirmé.
Sur la facture impayée :
En exécution de l'ordonnance rendue dans le cadre de la mise en état, cette facture est réglée.
Reste en litige les intérêts de retard : ceux-ci ont couru depuis l'assignation valant mise en demeure et la société Limatrap devra, si elle ne l'a déjà fait, délivrer la facture correspondante.
La réformation du jugement rendu rendrait inéquitable toute compensation de débours, sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Neyrtec à payer à la société Limatrap une indemnité de rupture à la suite de la cessation de leurs relations, la somme de 57 812,25 F HT (cinquante sept mille huit cent douze francs et vingt cinq centimes), solde de facture avec intérêts au taux légal à compter du 8 janvier 1991, celle de 15 000 F (quinze mille francs), et en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et a mis les dépens à la charge de la société Neyrtec, Infirmant pour le surplus et y ajoutant du fait de l'appel, Condamne la société Neyrtec à payer à la société Limatrap, en deniers ou quittances, la somme de 65 000 F TTC (soixante cinq mille francs), avec intérêts au taux légal à compter du 11 mai 1992, Partage les dépens d'appel par moitié entre les parties avec droit de recouvrement direct au profit des sociétés d'avoués J.C. Grimaud, Manhes et de Fourcroy, chacune pour ce qui la concerne.