Cass. com., 7 décembre 1993, n° 91-21.711
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Drôme Auto Service (Sté)
Défendeur :
Alpha Roméo France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Léonnet
Avocat général :
Mme Piniot
Avocats :
SCP Lesourd, Baudin, SCP Defrénois, Levis.
LA COUR : - Sur les deux premiers moyens réunis : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 8 novembre 1991) que la société Alfa Roméo France (société Alfa Roméo) a accordé, le 1er janvier 1986, à la société Drôme auto service (société DAS), et pour une durée d'un an, la concession exclusive des véhicules portant sa marque pour une partie des départements de l'Ardèche et de la Drôme ; que l'objectif minimum de vente annuelle était fixé à cent quinze véhicules neufs ; que, bien que cet objectif n'ait pas été atteint en 1986, un nouveau contrat a été signé le 1er janvier 1987, portant l'objectif annuel à cent vingt voitures ; que, le 5 mars 1987, la société Alfa Roméo a mis en demeure la société DAS de " rétablir ses résultats " ; que, le 1er octobre 1987, la société Alfa Roméo a mis fin au contrat ; que la société DAS a alors saisi le tribunal de commerce d'une demande de dommages-intérêts ;
Attendu que la société DAS fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que la clause 25-2 du contrat de concession ayant servi de fondement à la résiliation du contrat était licite, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il résulte des dispositions de l'article 4-1-3 du règlement communautaire 123-85 que la fixation au distributeur d'une clause d'objectifs à atteindre dans un contrat de concession exclusive ne bénéficie de l'exemption lui permettant d'échapper à la nullité de plein droit prévue par l'article 85-1 et 2 du traité de Rome qu'à la double condition que le distributeur ne soit tenu qu'à une obligation de moyen dont la non-réalisation ne saurait donc être automatique ent sanctionnée par la résiliation extra rdinaire prévue à l'article 5-4 de ce même règlement et qui est de " s'efforcer d'exécuter dans une période déterminée à l'intérieur du territoire convenu un nombre minimal de produits contractuels que le fournisseur fixe à partir d'estimations prévisionnelles des ventes du distributeur " ; qu'en l'espèce, cette double condition faisait défaut puisqu'en sanctionnant la non-réalisation de ce qui avait été fixé à l'article 25-2 du contrat par une résiliation d'heure à heure, le concédant a entendu soumettre la société DAS à une obligation de résultat, fondée sur la réalisation d'un objectif non prévisionnel et extérieur au distributeur Drôme auto service ; qu'ainsi, en refusant de considérer que la clause contractuelle litigieuse était contraire au règlement communautaire, la cour d'appel a violé les dispositions de ses articles 4 et 5 visées au moyen ; et alors, d'autre part, qu'il résulte clairement des principes posés par la Cour de justice des Communautés européennes et suivis par les juridictions françaises à propos de l'article 85 du traité de Rome que l'appréciation des accords entre entreprises qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et d'avoir un effet restrictif sur la concurrence doit être faite in concreto, dans le cadre de chaque espèce, en tenant compte de toutes les données de droit et de fait ; qu'ainsi, en se bornant à affirmer que la clause litigieuse ne pouvait nullement avoir pour effet d'affecter de quelque manière le jeu de la libre concurrence sans procéder à une analyse concrète des données de fait et de droit de l'espèce, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 85-1 et 2 du traité de Rome ;
Mais attendu que la cour d'appel, après s'être référée aux dispositions du règlement 123-85 du 12 décembre 1985 de la Commission des Communautés européennes, a constaté que l'article 25-2 du contrat imposait à la société DAS de réaliser " un pourcentage cumulé d'immatriculations au moins égal à 80 % du pourcentage moyen d'immatriculations obtenu au niveau national pour les mêmes véhicules et pendant la même période " ; qu'elle a également relevé que la détermination des quotas minimaux était fixée de façon objective, ce qui excluait toute appréciation subjective de la part du concédant, et que l'insuffisance des performances n'était prise en considération qu'à l'issue d'une période globale d'une année entière ; qu'en l'état de ces constatations et, sans qu'il y ait lieu à procéder à une analyse concrète des effets de la clause litigieuse pour vérifier si elle était contraire aux dispositions de l'article 85-1 du Traité instituant la Communauté économique européenne, la cour d'appel a pu décider que cette clause était limitée et a ainsi justifié légalement sa décision; que les deux moyens ne sont pas fondés ;
Mais sur le troisième moyen : - Vu l'article 1134 du Code civil ; - Attendu que l'arrêt, après avoir relevé que " le contrat du 1er janvier 1987 a commencé à recevoir exécution aussitôt après que le premier contrat pour 1986 a pris fin " et, après avoir constaté que l'article 25-2 de ce contrat a prévu que la société Alfa Roméo aurait le droit de résilier le contrat en cas d'insuffisance des ventes " pendant une période quelconque de 6 mois consécutifs " et que, dans ce cas, la résiliation interviendrait de plein droit si la société DAS ne rétablissait pas ses immatriculations dans un délai de 6 mois après la notification écrite qui lui serait adressée, a décidé que le contrat avait pu être résilié le 1er octobre 1987, la société Alfa Roméo étant en droit " de prendre en compte une période antérieure au 1er janvier 1987 puisque les mêmes dispositions étaient applicables courant 1986 " ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que l'arrêt constate que le précédent contrat avait pris fin et qu'un nouveau contrat avait été conclu à compter du 1er janvier 1987, ce qui interdisait à la société Alfa Roméo de prendre en considération, pour la résiliation de la convention, une période antérieure à son entrée en vigueur pendant laquelle l'objectif de vente n'avait pas été atteint, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le quatrième moyen : casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 novembre 1991, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.