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Décisions

CA Metz, ch. civ., 21 janvier 1997, n° 398-96

METZ

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Reuter, Delachaux

Défendeur :

Ziliotto

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dory

Conseillers :

M. Bockenmeyer, Mme Duroche

Avocats :

Mes Rozenek, Monchamps, Wolff

TGI Metz, du 17 févr. 1994

17 février 1994

Par acte notarié en date du 15 septembre 1965, Monsieur Reuter, aujourd'hui décédé et aux droits duquel viennent Madame Erna Reuter et Madame Edith Delachaux, a donné à bail à Madame Ziliotto et à son époux, décédé depuis, un local commercial situé 61 rue de la Gare à Hagondange, dans lequel est exploité un débit de boissons.

Ce bail a été renouvelé le 13 novembre 1973 pour une durée de 9 années et s'est renouvelé par tacite reconduction depuis le 31 octobre 1982.

Le 5 juillet 1989, Madame Ziliotto s'est vue délivrer un congé pour le 31 décembre 1989, avec refus de renouvellement pour motif grave et légitime, à savoir le non respect de la clause de fourniture exclusive.

Par acte du 14 décembre 1991, Mesdames Reuter et Delachaux ont assigné Madame Ziliotto devant le Tribunal de Grande Instance de Metz aux fins de voir valider ce congé, condamner la locataire à évacuer les lieux et à payer la somme de 6 000 F par mois à titre d'indemnité d'occupation jusqu'à libération complète des lieux.

Subsidiairement, elles ont demandé de prononcer la nullité du bail aux torts de la défenderesse et très subsidiairement de prononcer la résiliation du bail aux torts de la locataire.

Par actes des 16 et 18 décembre 1991, Madame Ziliotto a assigné Madame Reuter et Madame Delachaux devant le Tribunal de Grande Instance de Metz aux fins de voir :

- déclarer nul le congé délivré le 5 juillet 1989 car tardif,

- déclarer nulle la clause d'approvisionnement exclusif pour indétermination du prix et absence de limitation à dix ans,

- déclarer en conséquence nul le congé avec refus de renouvellement,

- condamner les défenderesses à lui payer la somme de 1 200 00 F à titre d'indemnité d'éviction dans le cas où Mesdames Reuter et Delachaux maintiendraient leur congé,

- juger que le bail est renouvelé pour 9 ans, en cas de renonciation au congé, et fixer le loyer en fonction de l'augmentation de l'indice du coût de la construction.

Les deux instances ont été jointes par ordonnance du Juge de la Mise en État du 25 octobre 1993.

Mesdames Reuter et Delachaux ont conclu à l'irrecevabilité des demandes de Madame Ziliotto en faisant valoir d'une part que l'action en annulation était prescrite et que d'autre part, un jugement définitif du Tribunal d'Instance de Metz en date du 8 juillet 1993 a débouté Madame Ziliotto de ses demandes en nullité du congé du 5 juillet 1989 et de la clause d'approvisionnement.

Par jugement en date du 17 février 1994, le Tribunal de Grande Instance de Metz a :

- rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée, au motif que le Tribunal d'instance avait rejeté les prétentions de Madame Ziliotto pour défaut de production de pièces et qu'il n'y avait donc pas eu de débat contradictoire sur les moyens soulevés par la locataire, ce qui prive le jugement invoqué de l'autorité de la chose jugée,

- rejeté le moyen tiré de la prescription, la nullité ayant été invoquée par voie d'exception,

- déclaré nulle la clause de fourniture exclusive de bière, la fixation du prix étant laissée à la libre appréciation du prix,

- déclaré nul le congé avec refus de renouvellement puisque délivré sur le seul fondement du non-respect par les preneurs de la clause de fourniture exclusive annulée,

- sursis à statuer sur les demandes en fixation d'une indemnité d'éviction ou en fixation des conditions de renouvellement du bail et renvoyé les parties à prendre position sur ces points devant le Juge de la Mise en État,

- débouté Madame Ziliotto de sa demande de dommages et intérêts.

Madame Reuter et Madame Delachaux ont régulièrement interjeté appel de ce jugement le 11 mai 1994.

Elles demandent à la Cour d'infirmer le jugement entrepris et de dire irrecevable la demande de madame Ziliotto tendant à la nullité de la clause de fourniture contenue dans le bail les liant, comme heurtant l'autorité de la chose jugée qui s'attache au jugement rendu par le Tribunal d'Instance de Metz en date du 8 juillet 1993.

Subsidiairement, elles demandent de dire la clause valable au regard du règlement de la Commission des Communautés européennes du 22 juin 1983, et en cas de nullité, de constater la nullité du bail la clause de fourniture étant une condition déterminante sans laquelle les parties n'auraient pas contracté.

Elles sollicitent en conséquence la condamnation de Madame Ziliotto et de tous occupants de son chef à évacuer sans délai les locaux, sous peine d'astreinte de 1 000 F par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt, à payer une indemnité d'occupation de 6 000 F par mois à compter du jour de la demande.

Elles demandent enfin une somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Madame Ziliotto conclut au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris.

Elle sollicite la condamnation de ses adversaires à lui payer la somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts et la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Elle invoque trois moyens :

- l'absence d'autorité de la chose jugée attachée au jugement du Tribunal d'Instance, dans la mesure où sa demande n'a été rejetée que pour défaut de production de pièces et le fond du litige n'ayant donc pas été abordé.

- la nullité de la clause de fourniture pour indétermination du prix, ce qui est contraire à l'article 1129 du Code civil, et durée illimitée, en violation des dispositions de l'article 1er de la loi du 14 octobre 1943.

- la nullité de la clause de fourniture n'entraîne pas la nullité du bail, même s'il est stipulé qu'il s'agissait d'une clause essentielle car cette clause est elle-même nulle par application des dispositions précitées. D'autre part, le bail a été conclu, il y a plus de trente ans et la clause a été respectée pendant plus de 10 ans, ce qui équivaut à la durée légale, ce qui exclut la nullité du bail, la clause ayant bien été respectée. La nullité du bail n'est en outre pas envisageable compte tenu de son ancienneté et de l'impossibilité à replacer les parties en l'état initial.

Enfin, Madame Ziliotto relève que le congé, en tout état de cause nul comme tardif puisque donné le 5 juillet 1989 pour le 31 décembre 1989.

Dans ses dernières conclusions, Madame Ziliotto a demandé de constater en tant que de besoin que la clause comportant l'engagement pour le preneur de ne débiter que des boissons provenant des dépôts fournis par Monsieur Reuter ne devait plus figurer aux conditions particulières du bail, le bailleur ayant cessé son activité de brasseur.

Mesdames Reuter et Delachaux ont répliqué en faisant valoir que la loi du 14 octobre 1943 n'était applicable que si la clause d'exclusivité était l'objet principal du contrat, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; que le texte communautaire n'était pas plus applicable car il concerne les accords auxquels participent deux entreprises. Elles contestent par ailleurs l'indétermination du prix. Enfin, elles précisent que l'obligation de fourniture visait également toute personne ou société désignée par le bailleur.

Sur ce,

Attendu que Mesdames Reuter et Delachaux ont donné congé le 5 juillet 1989 avec refus de renouvellement pour motif grave à savoir le non respect de la clause de fourniture exclusive, à Madame Ziliotto, leur locataire, exploitant un fonds de commerce de débit de boissons ;

Sur la fin de non recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée :

Attendu que par jugement définitif en date du 8 juillet 1993, rendu entre les mêmes parties, le Tribunal d'Instance de Metz a débouté Madame Ziliotto de ses demandes tendant à voir déclarer nul le congé qui lui a été délivré le 5 juillet 1989 et caduque la clause d'approvisionnement exclusif contenue dans le bail ;

Que Mesdames Reuter et Delachaux invoquent donc l'autorité de la chose jugée pour s'opposer à la demande de Madame Ziliotto tendant à la nullité de la clause d'approvisionnement et du congé ;

Mais attendu que l'autorité de la chose jugée, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, ne s'attache qu'aux points débattus contradictoirement et tranchés par le juge ;

Qu'en l'espèce, la demande de Madame Ziliotto n'a été rejetée que pour défaut de production de pièces ;

Qu'ainsi la portée de ses moyens n'a pas été examinée au fond ni fait l'objet d'un débat contradictoire, ce qui prive le jugement invoqué de l'autorité de la chose jugée ;

Sur la nullité de la clause pour indétermination du prix :

Attendu que Madame Ziliotto se prévaut des dispositions de l'article 1129 du Code civil pour conclure à la nullité de la clause de fourniture figurant à son bail, le prix étant indéterminé ;

Mais attendu que l'article 1129 du Code civilprévoit qu'il faut que l'obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce ;

Qu'il ajoute que la quotité de la chose peut être incertaine, pourvu qu'elle puisse être déterminée ;

Qu'il n'est donc pas applicable à la détermination du prix;

Attendu ainsi que Madame Ziliotto ne peut prétendre à la résiliation qu'en cas d'abus dans la fixation du prix;

Qu'à cet égard, elle se contente de produire deux factures de ristourne, l'une d'avril 1985 établie par son bailleur pour 6478,44 F, et l'autre du mois de février 1990 émanant d'un autre fournisseur pour 1443,06 F ;

Que si la deuxième facture fait apparaître une ristourne mensuelle plus importante, cet élément n'est pas révélateur puisqu'elle ne vise que deux mois de ventes alors que l'autre vise une année complète, qu'il n'est donc pas établi que le taux de ristourne a été maintenu toute l'année à ce taux ;

Qu'en outre, cinq ans séparent les deux documents ce qui rend la différence de valeur peu significative ;

Qu'en l'absence de tout autre élément, l'abus invoqué n'est nullement caractérisé ;

Que le moyen n'est donc pas fondé ;

Sur la durée de la clause :

Attendu que Madame Ziliotto invoque l'article 1er de la loi du 14 octobre 1943 limitant à 10 ans la durée de la clause de fourniture exclusive ;

Mais attendu que ces dispositions ne visent que l'acheteur, le cessionnaire ou le locataire de biens meubles;

Que Madame Ziliotto est pour sa part locataire d'un immeuble et non d'un bien meuble;

Que les dispositions de la loi du 14 octobre 1943 ne sont donc pas applicables en l'espèce;

Attendu, s'agissant des dispositions communautaires, que le règlement n° 1984-83 du 22 juin 1983, en son article 6 relatif aux accords de fourniture de bière, prévoit l'inapplicabilité de l'article 85 du Traité de Rome, concernant les règles de concurrence;

Que par ailleurs,Madame Ziliotto ne se trouve pas dans la situation de l'article 8-1-d du règlement, prévoyant l'inapplicabilité de l'article 6, puisque son obligation d'achat exclusif ne concerne pas que certaines bières;

Qu'ainsi, aucune limitation de durée de la clause en vertu du droit communautaire ne peut être invoquée;

Sur le fait que la clause de fourniture exclusive ne devrait plus figurer au bail, Monsieur Reuter ayant cessé son activité de brasseur :

Attendu que la locataire estime que la clause de fourniture exclusive n'a plus lieu d'être puisque Monsieur Reuter a cessé son activité de brasseur et ne peut donc plus fournir les boissons ;

Mais attendu d'une part que Monsieur Reuter n'était pas brasseur mais fournisseur ;

Que d'autre part, la clause de fourniture vise non seulement les boissons provenant des dépôts de Monsieur Reuter mais également de toute personne ou société désignée par lui ;

Que le moyen n'est donc pas fondé ;

Sur la nullité du congé donné tardivement :

Attendu qu'aux termes de l'article 5 du décret du 30 septembre 1953, les baux commerciaux ne cessent que par l'effet d'un congé donné suivant les usages locaux et au moins six mois à l'avance ;

Attendu qu'en l'espèce, le congé a été donné à Madame Ziliotto le 5 juillet 1989 pour le 31 décembre 1989 ;

Que le congé n'a donc pas été délivré dans le délai légal ;

Que cependant la sanction d'un tel manquement n'est pas la nullité du congé mais le report de ses effets au prochain terme ;

Que les effets du congé litigieux sont donc reportés en l'espèce au 31 décembre 1990 ;

Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la clause de fourniture exclusive figurant au bail ne contrevient pas aux dispositions légales ;

Que le bailleur peut donc s'en prévaloir ;

Attendu que conformément aux dispositions de l'article 9-1° du décret du 30 septembre 1953, la bailleur a fait signifier au locataire, le 26 avril 1989, une mise en demeure d'avoir à cesser l'infraction commise quant à cette clause de fourniture ;

Que par constat en date du 17 juin 1989, il a été établi que l'infraction se poursuivait ;

Attendu que la violation de cette clause, qualifiée d'" essentielle, primordiale et absolument de rigueur " par les parties, constitue un motif grave et légitime à l'encontre du locataire au sens de l'article 9 précité ;

Que le bailleur est donc fondé à refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement d'aucune indemnité ;

Qu'il y a lieu dès lors d'infirmer le jugement entrepris et de valider le congé, sous réserve de sa date d'effet reportée au 31 décembre 1990 ;

Que l'expulsion de Madame Ziliotto et de tous occupants de son chef doit être ordonnée ;

Que l'astreinte sollicitée n'apparaît pas nécessaire ;

Attendu que l'indemnité d'occupation sera fixée à 6 000 F par mois, cette valeur résultant du rapport d'expertise privée des experts Marcel et Alain Hirtz, qui n'a fait l'objet d'aucune contestation de la part de Madame Ziliotto ;

Que cette indemnité sera due, conformément à la demande, à compter du 14 décembre 1991, date de l'assignation signifiée par Mesdames Reuter et Delachaux à Madame Ziliotto ;

Attendu qu'en l'espèce, l'équité n'exige pas la mise en œuvre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

Attendu que les dépens sont à la charge de la partie qui succombe ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Reçoit l'appel, régulier en la forme, Le déclare fondé, Infirme en conséquence le jugement entrepris et statuant à nouveau, Déclare valable la clause de fourniture figurant au bail liant les parties, Valide le congé délivré à Madame Ziliotto le 5 juillet 1989, avec refus de renouvellement sans indemnité, Dit cependant qu'il ne peut prendre effet qu'à compter du 31 décembre 1990, Condamne Madame Ziliotto et tous occupants de son chef à évacuer les locaux sis 61 rue de la Gare à Hagondange, Condamne Madame Ziliotto à payer la somme de 6 000 F par mois à compter du 14 décembre 1991 à titre d'indemnité d'occupation, Déboute les parties de leurs plus amples prétentions, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, Condamne Madame Ziliotto aux dépens.