CA Paris, 5e ch. B, 24 janvier 1997, n° 95-9878
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Intexal (SA), VEV (SA)
Défendeur :
Steffany (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leclercq
Conseillers :
M. Bouche, Mme Cabat
Avoués :
SCP Valdelievre Garnier, Me Baufume
Avocats :
Mes Barberon, Benazdia.
Considérant que les sociétés Intexal et VEV anciennement appelée Prouvost SA ont fait appel d'un jugement contradictoire du 15 mars 1995 du tribunal de Commerce de Paris qui a pris acte de la résiliation par la société Intexal du contrat de franchise concerné, les a condamnées solidairement à payer à la société Steffany 800 000 F de dommages-intérêts, a rejeté la demande d'expertise, a condamné la société Steffany à payer à la société Intexal un solde de 359 977,28 F ainsi que 35 997,60 F à titre de clause pénale, a ordonné la compensation de ces sommes et la levée du nantissement inscrit par les sociétés Intexal et VEV sur le fonds de commerce de la société Steffany et a condamné solidairement les appelantes à verser à la société Steffany 3 000 F pour ses frais irrépétibles et à supporter les dépens ;
Qu'elles exposent qu'elles ont conclu le 27 avril 1989 avec la société Steffany un contrat de franchise d'une durée de cinq ans en vue de l'exploitation, sous licence exclusive concédée par la société Prouvost SA devenue VEV, d'un magasin Rodier sis à Vichy, que Jean Bansard, gérant de la société Steffany, savait alors que les produits de marque Rodier étaient déjà distribués à Vichy par un établissement multimarques dénommé Max Bis, que la société Intexal a offert en vain à Jean Bansard de prendre en charge une large part des frais d'aménagement du magasin de la société Steffany pour pallier les difficultés rencontrées puis de transférer son activité de franchise Rodier dans un magasin à l'enseigne Pop Fringues lui appartenant également, qu'en dépit d'une assistance assidue dont Jean Bansard n'a cessé de remercier le franchiseur, la société Steffany est arrivée à devoir 359 977,28 F de marchandises en octobre 1992 et que la société Intexal a du arrêter les livraisons puis résilier le contrat de franchise par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 octobre 1992 ;
Qu'elles approuvent le rejet par les premiers juges d'une demande d'annulation du contrat de franchise et contestent les griefs d'excès d'optimisme du budget prévisionnel élaboré " à titre indicatif à la veille de la crise du textile ", de réticence dolosive concernant la précarité de la situation du réseau Rodier, d'absence de transmission, de savoir-faire et d'indemnisation des prix de vente aux franchisés ; qu'elles soutiennent par contre que l'exclusivité concédée à la société Steffany n'excluait pas la concurrence d'un revendeur multimarques dont Jean Bansard connaissait au surplus l'existence et auquel elle ne pouvait opposer un refus illicite de vente ; Qu'elles ajoutent que l'excès des commandes initiales n'est imputable qu'au franchisé et que les premiers juges ont oublié de tenir compte de l'assistance constante offerte à la société Steffany et ne pouvaient les condamner à verser des dommages-intérêts alors qu'ils reconnaissaient les fautes commises par l'intimée qu'ils ont condamnée à payer le montant d'une clause pénale ; qu'elles imputent les pertes du franchisé à des pratiques mineures de soldes et réitèrent en tant que de besoin leur demande d'expertise, le préjudice n'étant pas établi ;
Qu'elles demandent à la Cour de confirmer les condamnations prononcées à l'encontre de la société Steffany, d'y ajouter des intérêts au taux légal à compter du 21 octobre 1992 eux-mêmes capitalisés, de débouter la société Steffany de ses prétentions, subsidiairement d'ordonner une expertise afin de rechercher les fautes de gestion commises par la société Steffany et de condamner celle-ci à leur verser 50 000 F pour leurs frais irrépétibles ;
Considérant que la société Steffany se plaint de ce qu'elle ait été conduite à conclure le contrat de franchise du 27 avril 1989 par des encouragements trop vifs d'un directeur et d'un chef de service de la société Intexal et par la remise d'un compte d'exploitation prévisionnel trop optimiste et ne tenant que partiellement compte des investissements de mise en conformité avec le style Rodier ; qu'elle reproche à la société Intexal de l'avoir poussé à réaliser des investissements dispendieux et à constituer un stock excessif qui ont grevé d'1 491 550,66 F les comptes de l'entreprise ;
Qu'elle précise en outre qu'elle a été victime de la concurrence très active du magasin Max Bis dont l'exploitant était autrefois franchisé Rodier et qui était vice-président de la Chambre de commerce et d'industrie de Vichy et directeur de la Foire commerciale de Vichy, et reproche aux appelants de n'avoir pas tenu leur promesse orale d'y mettre fin ; qu'elle accuse le groupe VEV d'avoir dissimulé l'ampleur de ses pertes et dénonce une " dégradation graduelle qui a trouvé son point culminant en 1990 " et qui a conduit le franchiseur à créer de nombreuses franchises vouées à l'échec et à multiplier les ventes en soldes ;
Qu'elle ajoute que le franchiseur n'a fourni aucune réelle assistance et a formulé des suggestions inacceptables, que les pertes se sont élevées à 699 209 F pour trente six mois d'exploitation et qu'elle a du se résoudre à assigner le 8 septembre 1992 en nullité du contrat de franchise pour déloyauté, réticence dolosive et indétermination des prix d'un tarif établi unilatéralement par le franchiseur ;
Qu'elle demande à la Cour de rejeter les prétentions des appelantes, de déclarer nul le contrat de franchise et subsidiairement de dire que les sociétés Intexal et Prouvost SA ont commis des fautes justifiant le prononcé de la résiliation du contrat à leurs torts et dont elles doivent réparation, de condamner les appelantes à lui verser 200 000 F de dommages-intérêts, d'ordonner la mainlevée à leurs frais des nantissements pris par ces sociétés sur le fonds de commerce de la société Steffany et de les condamner solidairement à lui verser 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Considérant que par contrat du 27 avril 1989 et avenant du 30 mai 1989 la société Intexal, franchiseur titulaire d'une licence exclusive d'exploitation de la marque Rodier, et la société Prouvost SA devenue depuis lors VEV, propriétaire de la marque Rodier, ont conclu avec la société Steffany, exploitant déjà à Vichy un magasin de prêt-à-porter à l'enseigne Pop Fringues, un contrat de franchise pour l'exploitation d'un magasin Rodier 16 rue Sarnin à Vichy, assorti d'une interdiction de toute " autre franchise dans le secteur géographique de la Ville de Vichy " ;
Que la société Steffany a introduit le 8 septembre 1992 une action en nullité du contrat de franchise incriminant l'optimisme d'un compte prévisionnel d'exploitation irréalisable, des réticences dolosives concernant la situation financière du franchiseur et l'absence de compétitivité des produits Rodier, l'atteinte à l'exclusivité concédée, l'absence de fourniture d'un savoir-faire et " surtout " l'indétermination des prix d'achat discrétionnairement fixés par le franchiseur ;
Que la société Intexal a résilié le 19 octobre 1992 le contrat de franchise pour entorse à l'exclusivité dont devaient bénéficier les produits Rodier ;
Qu'il n'est justifié dans l'intervalle de plus de trois années d'aucune doléance concernant le choix de l'emplacement du nouveau magasin Rodier, à cent mètres environ du magasin multimarques Rodier exploité par Max Seror sous l'enseigne Max Bis, le compte prévisionnel d'exploitation établi alors que ne sévissait pas encore la mévente persistante des produits textiles, l'insuffisance de transmission d'un savoir-faire inutile pour un professionnel de la vente d'articles de prêt-à-porter et l'indétermination, la potestativité ou le caractère excessif des prix d'un tarif communiqué aux franchisés avant qu'ils ne passent commande ; que la société Steffany a réalisé au contraire des aménagements immobiliers qui témoignent d'une assistance en vue de son adaptation au concept Rodier ; que les lettres de 1989 et 1990 produites ne comportent pas d'autres critiques que celles concernant la concurrence du magasin Max Bis ;
Qu'ainsi que les premiers juges l'ont décidé par des motifs pertinents que la Cour adopte dans la mesure où ils complètent les siens, la société Steffany n'est fondée à se plaindre ni d'un dol ni d'une réticence dolosive ayant vicié un consentement implicitement renouvelé en janvier 1991 lorsqu'elle a accordé à ses co-contractants un nantissement de fonds de commerce ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que les prix de vente des produits Rodier étaient déjà consignés dans un tarif applicable à l'ensemble des franchisés, lorsque le contrat du 27 avril 1989 et son avenant du 30 mai 1989 ont été signés ; que la société Steffany s'est engagée sur la base de ces prix dont elle ne prétend pas qu'ils lui aient été cachés ; qu'elle les savait susceptibles d'évolution, à l'initiative certes du franchiseur mais dont elle n'a jamais dénoncé l'incohérence, l'excès ou un quelconque caractère discriminatoire ; qu'il s'en suit qu'elle ne peut prétendre que les prix qui lui étaient indéterminables et que leur évolution dans le temps qu'elle a acceptée, aurait pu susciter des critiques qui ne justifieraient au surplus, si elles impliquaient une faute et en particulier un manquement à la loyauté contractuelle, qu'une résiliation du contrat et des dommages intérêts et non l'annulation sollicitée ;
Considérant par contre que les sociétés Intexal et Prouvost SA dont des cadres commerciaux ont écrit eux-mêmes que la ville de Vichy avait une population insuffisante pour que deux distributeurs de produits Rodier s'y fassent une concurrence supportable pour tous deux, a commis une faute engageant sa responsabilité en continuant à vendre des produits Rodier à Max Seror fut-il distributeur de produits Rodier depuis vingt ans, et à l'acquéreur du magasin Max Bis qui lui a succédé, dès lors qu'aucune exclusivité ne leur avait été consentie, que la franchise accordée à la société Steffany impliquait que la société Intexal cesse d'approvisionner un concurrent dont la présence compromettait l'implantation et la survie, et que la notoriété de la marque Rodier et l'existence d'un réseau Rodier structuré pouvaient justifier une politique de distribution sélective se traduisant par l'ouverture à Vichy d'une franchise exclusive Rodier ;
Qu'un franchiseur contracte à l'égard de ses franchisés exclusifs l'obligation d'assurer la protection de son réseau ; que les sociétés Intexal et Prouvost SA pouvaient consentir à la société Steffany une franchise exclusive Rodier mais devaient lui assurer la jouissance paisible des droits concédés qu'impliquaient les prévisions d'exploitation fournies, en cessant au besoin d'honorer les commandes de Max Seror puis de son cessionnaire au risque de devoir faire face à une action judiciaire ;
Que les correspondances échangées dès 1989 témoignent de ce que la société Steffany avait reçu l'assurance d'une action efficace qui ne serait sans doute pas allée jusqu'au refus total de vente qu'excluait implicitement l'article 1-4 du contrat réservant la faculté d'alimenter des magasins non-franchisés ; qu'il n'est pas contesté que ces promesses sont demeurées sans effet et que la société Intexal a reculé devant le refus de vente qui s'avérait le seul moyen de faire cesser le trouble apporté à l'exploitation de la franchise concédée par la publicité agressive d'un concurrent qui usait d'un panneau Rodier qui aurait dû être réservé aux franchisés d'autant qu'il n'en existait apparemment aucune d'une autre marque dans ce magasin et faisait paraître des annonces telles que " Depuis 20 ans à Vichy, Rodier Femmes c'est Max Bis 6 rue de l'Hôtel des Postes et cela continue " ;
Qu'il s'en suit que les premiers juges ont eu raison de juger que la société Steffany était en droit de demander réparation des conséquences de la faute commise par les sociétés Intexal et Prouvost SA non pas en consentant la franchise mais en n'assurant pas au franchisé la protection à laquelle il était en droit de prétendre ;
Considérant que les appelantes ne reprennent pas le grief d'entorse à l'exclusivité justifiant la résiliation à laquelle la société Intexal a procédé le 19 octobre 1992 ; qu'il s'appuyait au surplus sur des constatations opérées par huissier le 22 septembre 1992, à une date où du fait de l'assignation du 8 septembre 1992 valant résiliation, l'engagement transgressé n'existait plus ;
Qu'elles soutiennent par contre que les premiers juges ont retenu que la société Steffany devait à la société Intexal un solde de factures de 359 977,28 F et l'ont condamnée à verser le montant d'une clause pénale ; qu'ils en déduisent l'existence d'une faute interdisant qu'elles soient condamnées à verser des dommages intérêts à son auteur ;
Que les sociétés Intexal et Prouvost SA devenue VEV ne peuvent raisonnablement soutenir que la concurrence agressive et de ce fait illégitime du magasin Max Bis dont elles se gardent de préciser l'importance des achats, n'a pas engendré pour la société Steffany un préjudice supérieur au montant des achats impayés ; que la responsabilité de la défaillance de la société Steffany qu'elles ne dénonce même pas dans la lettre de résiliation, leur incombe ; qu'il s'en suit que si la dette existe mais doit s'imputer sur les dommages intérêts accordés, aucune clause pénale indemnitaire et coercitive n'est due ;
Considérant que la société Steffany ne conteste pas le montant de la créance de la société Intexal ; qu'elle se borne à refuser le paiement en ajoutant sans raison les 350 977,28 F dus à son préjudice calculé sur la base de ses investissements et de ses pertes ;
Considérant que les investissements sont la conséquence de la conclusion d'un contrat de franchise que la Cour refuse d'annuler ; que la résiliation de cette convention trois ans plus tard aux torts des sociétés Intexal et Prouvost SA a par contre provoqué une perte partielle d'investissements non encore totalement amortis ; que la tolérance d'une concurrence agressive d'un concurrent à laquelle il leur incombait de mettre un terme, a fait perdre à la société Steffany des ventes qui lui auraient permis, selon les éléments dont la Cour dispose, d'équilibrer au moins ses résultats ;
Que les appelantes n'apportent aucun début de preuve des fautes de gestion par lesquelles elles prétendent justifier leur demande d'expertise qui s'avère de ce fait irrecevable ; qu'elles ne fournissent aucun renseignement concernant les achats du concurrent et sont mal venues à contester des prévisions de chiffres d'affaires émanant de leurs propres services ; qu'il apparaît sur ces bases que les 800 000 F de dommages-intérêts accordés en première instance constituent la réparation adéquate du préjudice causé ;
Considérant que les sociétés appelantes ne contestent pas leur solidarité ; que l'extinction de la créance de la société Intexal par compensation exclut que des intérêts soient accordés à cette appelante ;
Considérant qu'il serait inéquitable que la société Steffany conserve la charge de ses frais irrépétibles ;
Par ces motifs, Confirme la décision déférée en ce qu'elle a condamné solidairement les sociétés Intexal et Prouvost SA devenue VEV à verser à la société Steffany 800 000 F de dommages-intérêts et la société Steffany à payer à la société Intexal la somme de 359 977,28 F, a ordonné la compensation de ces sommes et la mainlevée des nantissements dont bénéficiaient les sociétés Intexal et Prouvost SA et a condamné solidairement les sociétés Intexal et Prouvost SA devenue VEV à verser à la société Steffany 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et à supporter les dépens ; L'infirme pour le surplus ; Et y ajoutant, Déclare mal fondée la demande d'annulation du contrat de franchise et de son avenant formulé par la société Steffany mais prononce la résiliation de ces conventions aux torts exclusifs des sociétés Intexal et Prouvost SA devenue VEV ; Condamne solidairement les sociétés Intexal et VEV à verser à la société Steffany 10 000 F hors taxes pour ses frais irrépétibles d'appel ; Déboute les parties de toutes autres demandes ; Condamne les sociétés Intexal et VEV en tous les dépens d'appel ; Admet Me Baufume, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.