CA Bastia, ch. civ., 27 janvier 1997, n° 661-95
BASTIA
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Mosconi
Défendeur :
Lanata Balagne Matériaux (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Riolacci
Conseillers :
MM. Tallinaud, Gire
Avoués :
Mes Jobin, Albertini
Avocats :
Me Eon, SCP Santini-Donati-Ferrandini-Tomasi.
LE RAPPEL DE LA PROCEDURE DE PREMIERE INSTANCE
Par acte d'huissier en date du 1er octobre 1993, Jean-Philippe Mosconi a fait assigner la SARL Lanata Balagne Matériaux devant le Tribunal de commerce de Bastia aux fins d'obtenir :
- Le paiement de la somme de 28 464 F représentant le montant des loyers impayés de juillet à octobre 1993 et ce à titre provisionnel, dans l'attente d'un chiffrage complet,
- le paiement de la somme de 100 000 F à titre provisionnel représentant le préjudice consécutif au détournement de clientèle opéré du fait de l'abandon du fonds et de la création d'une nouvelle structure,
- la remise en état des lieux et du matériel,
- la production des chiffres d'affaires pour 1991, 1992 et 1993.
La SARL LBM a sollicité, à titre reconventionnel :
- Le prononcé de la nullité du contrat de location-gérance d'octobre 1990 en raison des nombreuses irrégularités commises par Mosconi,
- Le paiement de la somme de 241 944 F représentant le montant des sommes versées à titre de loyer jusqu'en juillet 1993,
- A titre subsidiaire, le paiement d'une indemnité de 120 000 F représentant les divers troubles de jouissance.
Par jugement du 7 avril 1995 auquel il y a lieu de se référer, le Tribunal de commerce de Bastia :
- A prononcé la nullité du contrat de location-gérance intervenu entre les parties,
- A débouté Mosconi de l'ensemble de ses demandes,
- A débouté la SARL LBM de sa demande reconventionnelle.
Par déclaration en date du 7 juin 1995, Jean-Philippe Mosconi a régulièrement interjeté appel de cette décision.
LA PROCEDURE ET LES PRETENTIONS DES PARTIES EN CAUSE D'APPEL
L'appelant a repris la chronologie des relations entre les parties en soulignant le comportement de son adversaire allant s'installer en juillet 1993 en un autre point de la commune sans lui adresser le moindre congé, et ce, en contravention avec plusieurs dispositions du contrat.
Il soutient qu'il n'avait pas l'obligation d'être inscrit au registre du commerce et des sociétés et qu'il n'y a pas eu disparition du fonds de commerce.
Il s'étonne que LBM ait demandé la poursuite du contrat de location-gérance plus d'un an après avoir découvert les supposées irrégularités dont elle se serait donc accommodée durant deux années.
Il fait valoir qu'il y a eu détournement de clientèle délibéré et reprend toutes ses demandes, le préjudice définitif ne pouvant être chiffré qu'après communication du chiffre d'affaires de 1991 et 1992 permettant d'évaluer la valeur du fonds, sollicitant de ce chef une indemnité provisionnelle de 10 000 F.
La SARL LBM a repris l'intégralité de l'argumentation de première instance en réitérant la demande reconventionnelle formée.
Elle souligne que les dispositions imposant l'exercice d'une profession commerciale pendant plus de sept ans et l'exploitation du fonds cédé pendant deux années au moins sont destinées à assurer au preneur l'existence des éléments incorporels du fonds de commerce, et qu'à défaut, la nullité du contrat est encourue.
L'intimée reproche à Mosconi de n'avoir pas été à même de remplir son obligation de délivrance, conformément aux dispositions de l'article 1719 alinéa 3 du Code civil, rendant impossible la régularisation de la situation.
Elle maintient que, au moment de la signature de la convention, le fonds avait disparu, les documents versés aux débats par Mosconi ne justifiant pas l'existence d'une exploitation effective antérieure à la location.
Sur demande reconventionnelle, la SARL LBM sollicite la réparation du préjudice subi et la restitution des loyers perçus.
A titre subsidiaire, elle demande à la Cour de dire qu'elle n'a été contrainte à se désengager que sous l'effet d'une série d'évènements caractérisant la force majeure, le détournement de clientèle n'étant pas non plus établi.
Dans des conclusions complémentaires, elle a tenu à retenir sur le comportement de la soeur de Mosconi, Elise, qui a retenti nécessairement sur l'exploitation et occasionné un trouble de jouissance insupportable.
L'appelant a tenu à répliquer :
- que l'intimée s'était accommodée de ces circonstances pendant plusieurs années et n'avait engagé à son encontre aucune procédure,
- que les réclamations de sa soeur ne portaient que sur la remise en état d'une route carrossable,
- que le seul but de LBM était d'opérer un véritable détournement de clientèle.
Une ordonnance de clôture est intervenue le 19 juin 1996.
Sur ce, la COUR a statué comme suit :
Attendu que le contrat de location-gérance passé en octobre 1990 entre Jean-Philippe Mosconi, propriétaire du fonds de commerce de négoce de matériaux de construction à l'enseigne " Corse Matériaux " et la SARL Lanata Balagne Matériaux prévoyait :
- Le renouvellement de la gérance libre par tacite reconduction, sauf à prévenir l'autre co-contractant au plus tard trois mois avant l'expiration de l'année en cours,
- La possibilité pour le preneur de demander au terme de la deuxième année, soit le 31 octobre 1992, le renouvellement pour une période de trois ans, possibilité mise en œuvre et prolongeant le contrat jusqu'au 31 octobre 1995,
- L'interdiction pour le preneur, sans autorisation du bailleur, d'ouvrir un fonds de commerce similaire à Corte pendant la durée du contrat,
- Un loyer mensuel égal à 3,5 % du chiffre d'affaires hors TVA réalisé par le preneur dans l'établissement loué avec un minimum de 6 000 F hors TVA ;
Attendu que la SARL LBM n'a officiellement averti le bailleur de sa volonté de rompre le contrat que le 28 juillet 1993 en alléguant :
- La radiation de Mosconi du registre du commerce rendant irrégulière la convention d'occupation,
- La contestation immobilière émanant de la soeur du bailleur,
- Les troubles constants affectant la jouissance des biens loués,
- Le décapage du terrain impossible à accepter ;
Qu'à cette date, LBM a déménagé des locaux loués pour s'installer dans les anciens locaux de la SOREAL RN 200 ;
Attendu qu'effectivement, le contrat susvisé énonce que Mosconi est régulièrement immatriculé au registre du commerce et des sociétés et qu'il remplit en conséquence les conditions légales pour donner son fonds de commerce en location-gérance ;
Attendu, qu'il s'agit là d'un imprimé pré-établi qui n'était d'ailleurs pas sur ce point conforme aux dispositions légales en vigueur lors de la passation de l'acte ; qu'en effet, les loueurs de fonds de commerce n'ont plus l'obligation d'être inscrits au registre du commerce et Mosconi pouvait, à partir de l'entrée en vigueur du décret du 14 mars 1986, requérir la radiation de son immatriculation ;
Attendu que c'est donc faussement que les premiers juges ont estimé que le non-respect de dispositions d'ordre public devenues caduques avaient entaché de nullité ledit contrat ;
Attendu qu'il apparaît bien, en l'espèce, que la société LBM n'a pas respecté les dispositions du contrat relatives aux modalités du congé ;
Attendu que LBM se prévaut par ailleurs d'une part, de l'impossibilité d'être inscrit au registre du commerce et d'autre part de l'attitude de la soeur de l'appelant pour justifier sa dénonciation du contrat ;
Mais attendu que ces circonstances ne peuvent valablement caractériser la force majeure ;
Attendu, en effet, sur le premier point, qu'il apparaît des pièces versées aux débats que Mosconi a bien exercé la profession de commerçant pendant plus de deux ans avant d'être immatriculé au registre du commerce comme loueur de fonds, puis s'est fait radier à compter du 30 septembre 1990 ; que le refus d'inscription du greffe du Tribunal pouvait être soumis au juge commissaire à la surveillance du registre du commerce ;
Attendu que LMB, qui n'ignorait pas ces supposés manquements depuis juillet 1991, date à laquelle elle avait été informée par la chambre de commerce, a néanmoins sollicité la poursuite du contrat de location-gérance en septembre 1992 et ce sans réserve aucune ;
Attendu, sur le second point relatif à l'attitude agressive à son encontre d'Elise Mosconi ne résiste pas à un examen attentif des faits, s'agissant du litige relatif à l'entretien d'une route menant à l'entrepôt qui aurait été occupé par LBM pour y entreposer des matériaux ;
Que LBM n'apparaît pas avoir avisé le bailleur de ces difficultés ; qu'enfin, le projet de cession évoqué par le notaire était rendu caduc du fait de la poursuite du contrat ;
Attendu, par ailleurs, qu'il n'y a pas lieu, comme l'ont fait les premiers juges, de constater la disparition du fonds de commerce liée à la disparition de la clientèle, résultant de l'arrêt de l'exploitation sans aucun espoir de reprise ;
Sur le détournement de clientèle :
Attendu que Mosconi ne donne aucun élément chiffré sur les revenus tirés de son activité avant l'établissement du contrat de location-gérance ; qu'il n'appartient pas à la Cour de pallier la carence du demandeur qui n'apporte aucune pièce comptable de nature à justifier l'organisation d'une expertise ; qu'il y a lieu de débouter le demandeur de ce chef de demande ;
Par ces motifs, La COUR : Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, contradictoirement, Réformant le jugement entrepris, Condamne la SARL Lanata Balagne Matériaux à payer à titre provisionnel au titre des loyers représentant les échéances des mois de juillet, août septembre et octobre 1993, la somme de vingt huit mille quatre cent soixante quatre francs (28 464 F), Invite la SARL Lanata Balagne Matériaux à communiquer le chiffre d'affaires des années 1991 et 1992, aux fins de procéder à un calcul définitif des sommes dues, Renvoie, pour ce faire, les parties devant le Conseiller de la Mise en Etat, Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Réserve les dépens.