Livv
Décisions

CA Bastia, ch. civ., 3 février 1997, n° 29-95

BASTIA

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SEITA (SA)

Défendeur :

Scaglia et Fils (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Goudon

Conseillers :

MM. Tallinaud, Broquet

Avoués :

Mes Jobin, Canarelli

Avocats :

SCP Cournot-Demestrau-Guillemer-Kirk, Me Maurel.

T. com. Bastia, du 30 juill. 1990

30 juillet 1990

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

La SA Société Nationale d'Exploitation Industrielle des Tabacs et Allumettes (SA SEITA) a créé en Corse, un réseau de distribution fondé sur des contrats de concession d'une durée de six ans comportant une clause d'exclusivité réciproque de vente et d'approvisionnement pour une zone territoriale concédée.

Sur refus de la SEITA d'honorer une commande passée par la SARL Scaglia et Fils, non attributaire de concession refusée à plusieurs reprises sur avis défavorable de la Chambre de Concertation et d'Arbitrage, la SEITA a été condamnée par le Tribunal de Commerce dans son jugement du 30 juillet 1990 à s'exécuter sous astreinte journalière et octroi d'un franc symbolique à titre de dommages et intérêts.

La SEITA a interjeté appel de ce jugement en soutenant que le refus de vente invoqué était en réalité un refus d'agrément contre lequel la SARL Scaglia et Fils ne pouvait invoquer l'abus de position dominante, le système de vente par réseau de distribution exclusive d'un produit nocif mis en place dans l'île étant conforme aux dispositions internes n'empêchant pas la concurrence et permettant une répartition équitable des profits.

La SARL Scaglia et Fils soutenait au contraire que le système mis en place par la SEITA constituait un véritable monopole, les accords la liant avec les concessionnaires créant un obstacle à la pénétration du marché par d'autres fabricants ou revendeurs ; que ces contrats de concession avec indemnité réciproque constituaient une entente horizontale et verticale bridant toute libre concurrence.

Que ce monopole, constitutif de l'exploitation abusive d'une position abusive dominante au sens de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ne se justifiait pas par la nature du produit, ni sa haute technicité, ni sa haute valeur marchande, ni par la nécessité de personnel ou d'installations particulières.

Le Syndicat des Concessionnaires de Tabacs de la Région Corse, intervenant volontaire, sollicitait la saisie préalable du Conseil de la concurrence, eu égard au risque de remise en cause de l'ensemble des relations contractuelles entre fournisseurs et distributeurs de tabacs en Corse.

Par arrêt avant dire droit du 25 février 1993, la Cour de céans a sursis à statuer dans l'attente de l'avis du Conseil de la concurrence, sur le fondement de l'article 26 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Par ordonnance du 20 avril 1995, le conseiller de la Mise en État a constaté le désistement de la Chambre Syndicale des Concessionnaires de Tabacs de la Région Corse de son intervention volontaire en cause d'appel.

Le Conseil de la concurrence donnait son avis le 20 décembre 1994, selon rapport déposé le 16 janvier 1995, aux termes duquel :

" Le mode de sélection des concessionnaires agréés mis en place en Corse par la SEITA, défini par les dispositions du contrat et du cahier des charges, ne repose pas sur des critères objectifs et permet au concédant de choisir ses concessionnaires de manière discriminatoire. Elles ont pour effet d'exclure certaines formes de distribution et de limiter la liberté commerciale des revendeurs. Elles sont donc contraires aux dispositions des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Ces dispositions ne résultent pas de l'application d'un texte législatif ou réglementaire et ne peuvent donc être exonérées sur le fondement du 1 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ".

Les auteurs ne peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. Elles ne peuvent donc être exonérées sur le fondement du 2 de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986."

La SEITA a développé contre cet avis, dont elle rappelle le caractère purement indicatif, et contre la demande de la SARL Scaglia et Fils, des moyens tendant à solliciter de la Cour qu'elle juge :

- Que le système de distribution mis en place en Corse résulte directement des dispositions législatives et réglementaires et que, rentrant dans le champ d'application de l'article 10-1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, il légitime le refus de vente opposé à la SARL Scaglia et Fils,

- Que le rappel historique de l'évolution législative et réglementaire pour aboutir à la loi du 24 mai 1976 maintenant un régime en vigueur en Corse, légitime le système de concessions, encore applicable à l'espèce avant la loi du 8 août 1994 qui a étendu à la Corse le régime continental et le monopole de l'État, et remplace le système de concessions exclusives mis en place par la SEITA par des contrats de gérance conclus entre [sic] ...

- Que tant le rapporteur que le Conseil ont admis le fondement légal du monopole de la SEITA et du système de distribution en Corse tel qu'applicable au moment des faits du litige.

- Que, cependant, le Conseil se contredit lorsqu'il s'agit de l'application de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dont il rejette le régime dérogatoire à la SEITA alors que le transfert de l'exploitation du monopole au profit de la SEITA à partir de 1974 avec la substitution des contrats de gérance par les contrats de concession, n'a pas modifié les données législatives et réglementaires antérieures confirmées par la loi de 1976,

- Que, dès lors, le refus de vente opposé à la SARL Scaglia et Fils est justifié en son fondement pris dans l'article 10-1 de l'ordonnance de 1986.

Elle conclut en ce sens à titre principal.

Très subsidiairement, elle entend voir juger que la société réclamante, ne rapporte pas la preuve de la réalité et de l'étendue du préjudice qu'elle invoque, celle-ci n'ayant jamais cessé de vendre des cigarettes depuis 1989 (procès-verbal de constat du 16 avril 1994) ; que le manque à gagner ne peut être pris sur la base d'une évolution linéaire d'un chiffre d'affaire annuel contraire à la réalité relevée par le rapporteur ; que la société ne démontre pas non plus l'incidence de ce manque à gagner sur le manque d'augmentation des autres recettes (cadeaux, presses, jeux, etc...). Elle ne s'oppose pas, à titre encore plus subsidiaire, à la désignation d'un expert afin d'évaluer l'éventuel manque à gagner.

La SARL Scaglia et Fils réplique et fonde sa demande en confirmation en faisant sienne dans ses conclusions la quasi intégralité de l'avis du Conseil de la concurrence.

Elle réclame la réparation de son préjudice commercial et économique subi du fait du maintien de sa position par la SEITA et de sa faute constituée par l'abus de position dominante lui ayant interdit de développer son activité commerciale ; qu'elle a pu chiffrer son préjudice, par le manque à gagner de 1989 à 1993, à la somme de 1 899 138 F, sous réserve, subsidiairement, de l'organisation d'une mesure d'expertise et, en ce cas, de l'allocation d'une indemnité provisionnelle de 900 000 F correspondant à la liquidation de l'astreinte.

Elle entend réclamer en outre la somme de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile justifiée par la nécessité d'être représentée à deux reprises devant le Conseil de la concurrence.

Postérieurement à la clôture, le conseil de la SEITA adressait à la Cour, à titre informatif, un arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes rendu le 14 décembre 1995.

Par courrier en réponse, le conseil de l'intimée demandait le rejet de cette jurisprudence inapplicable à l'espèce présente.

Sur quoi, LA COUR :

La situation de la SEITA en Corse au regard de la législation applicable à l'espèce :

Attendu que, sans reprendre dans le détail, l'ensemble de l'évolution législative ou réglementaire du régime des tabacs en France, largement développé dans le rapport du Conseil de la Concurrence et repris par les parties dans leurs écritures, marquant ainsi leur accord sur les textes applicables, celles-ci étant en opposition seulement sur leur portée, il convient de retenir les éléments essentiels nécessaires à l'analyse ;

Attendu que le monopole de l'Etat sur la fabrication, l'importation et la commercialisation des tabacs tire son origine d'un décret du Gouvernement Impérial de 1810, reconduit depuis cette date sans restriction sur l'ensemble du territoire national, Corse comprise ;

Attendu que la gestion de la distribution des tabacs, à l'origine confiée au Service des Contributions Indirectes par l'intermédiaire d'un réseau d'entrepôts et de détaillants, depuis 1926 est confiée au SEIT, devenu " le " SEITA en 1961, établissement public à caractère industriel et commercial qui, à cette occasion, modifiait l'organisation de l'exploitation en mettant en place un service de distribution organisée ;

Que cet organisme se féminisait en 1980, devenant " la " SEITA, sous la forme d'une société anonyme au capital social détenu à 100 % par l'État depuis 1984 ; que cette transformation ne modifiait cependant pas les attributions de cette société détentrice du monopole de la vente au détail dont l'exploitation s'effectue depuis la loi de 1993 par l'intermédiaire du Service des Douanes en remplacement de l'Administration des Impôts ;

Attendu que le modernité des aménagements est sans incidence sur la solution du litige soumis à la règle applicable à l'époque de la demande de la société Scaglia, période allant de 1989 à 1993 ;

Attendu que la continuité du monopole de l'État par l'intermédiaire de la SEITA, y inclus la Corse, ne s'est pas démentie depuis son origine en 1810 ; que tant le Conseil de la Concurrence que les parties conviennent de cette donnée historique ;

Attendu que sans toucher à la continuité de ce monopole, l'île n'a connu un système particulier, en premier lieu, qu'au niveau de la fiscalité due aux arrêtés Miot instaurant et aménageant des privilèges fiscaux en matière de contributions indirectes, qui permettent de maintenir un régime de prix du tabac en détail 1/3 moins cher que sur le continent pour les cigarettes et 15 % moins cher pour les cigares, et en second lieu, qu'au niveau de l'organisation du circuit de distribution se modifiant en 1974 ;

Qu'avant cette date, les tabacs étaient stockés chez des entreposeurs spéciaux agréés par arrêté ministériel, placés sous l'autorité du Service des Douanes en Corse, lui-même sous le contrôle de l'Administration Centrale des Douanes et Contributions Indirectes ;

Que la distribution se faisait auprès du consommateur par le biais de points de vente liés à l'Administration par des contrats de gérance ; qu'un système de revente était toléré plus largement que sur le continent (réservé à une catégorie de commerces : hôtel, café, restaurant...) selon lequel toute personne en Corse pouvait être détaillant " libre " afin d'agrémenter son commerce par la vente de tabac en s'approvisionnant auprès des concessionnaires agréés, sous le contrôle des Douanes ;

Que ce système est celui utilisé par la SARL Scaglia et Fils devant le refus d'agrément de la SEITA, ainsi qu'il résulte du procès-verbal de constat du 16 avril 1994 aux termes duquel Monsieur Scaglia indiquait faire commerce de cigarettes en s'approvisionnant, sans factures, auprès des détaillants concessionnaires ;

Attendu qu'à partir de 1974, la SEITA bénéficie d'un transfert de fait par l'Administration des Douanes de la gestion du monopole en Corse et réorganise le circuit de distribution :

- En supprimant les entrepôts, les détaillants étant approvisionnés directement par la SEITA,

- En remplaçant les contrats de gérance par des contrats de concession exclusive sur le modèle de ceux applicables sur le continent, et les points de vente existants deviennent des concessionnaires agréés sans modification de zone ;

Attendu que telle est la situation juridique et de fait de la SEITA en Corse au moment de la promulgation de la loi du 24 mai 1976 qui affirmait dans son article 9 que, dans les départements de Corse, le régime économique des tabacs actuellement en vigueur est maintenu, le décret d'application du 31 décembre 1976 excluant de la Corse les nouvelles conditions et modalités de l'agrément en qualité de fournisseur ;

Attendu qu'ainsi que l'exposait le Conseil de la Concurrence, pour la période considérée en l'espèce (1989-1993) " le régime économique en vigueur en Corse caractérisé par la liberté de commercialisation du tabac, s'inscrit néanmoins dans le cadre du monopole légal de la vente en détail des produits du tabac " ;

Qu'en résumé, la situation de la Corse pour la période considérée était la suivante : le monopole de la vente de tabac existait au profit de l'État avec un système de distribution, à compter de 1974, par l'intermédiaire d'un réseau de détaillants agréés et contrôlés par la SEITA, avec tolérance pour quiconque en vue de la revente de s'approvisionner auprès des concessionnaires;

Que la loi de 1976 et son décret d'application ayant maintenu expressément le système en vigueur en excluant la Corse des conditions nouvelles, a donné une base légale à la situation couvrant la période concernée par le litige de 1989 à 1993 ;

Qu'en conséquence, au regard du seul article 10 alinéa 1 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, la SEITA ne tombe pas sous le coup des dispositions des articles 7 et 8 de ladite ordonnance ;

Sur le monopole de la SEITA et l'usage qui en est fait :

Attendu qu'il est acquis que le monopole de la commercialisation au détail de tabac en Corse entre les mains de la SEITA n'est pas, en son principe, contraire aux lois en vigueur (période 1989-1993) ;

Attendu que l'activité de la SEITA au stade de la vente en détail qui consiste essentiellement à consentir des concessions, à contrôler leur nombre et leur répartition sur le territoire insulaire s'analyse en une prérogative de puissance publique étrangère à une activité économique proprement dite ;

Que le simple fait d'être en position dominante n'est pas en tant que tel critiquable ; que n'encourt la sanction légale que l'entreprise qui, par le simple exercice du droit exclusif qui lui est conféré, est amenée à exploiter sa position dominante de façon abusive ; qu'ainsi l'incompatibilité légale vient de l'usage qui est fait du système mis en place tant à l'égard des détaillants que des consommateurs ;

Attendu que la SARL Scaglia et Fils présente sur ces points un catalogue de moyens divers qui semblent assimiler à tort son action en refus de vente, la SEITA lui ayant refusé ses commandes, avec une action en refus d'agrément en qualité de concessionnaire pour abus de position dominante contraire aux dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

A l'égard des détaillants revendeurs :

Attendu que le Conseil, et la Cour avec lui, a admis que la SEITA avait la loi pour elle l'autorisant à poursuivre au delà de 1976 le régime antérieurement mis en place, représenté par la concession exclusive et la revente ; que ce dernier système, usage toléré de distribution au détail, n'a en rien été modifié avec l'intervention de la SEITA et a été intégré dans le nouveau dispositif de distribution mis en place en 1974 ;

Attendu que la formulation d'une " vente libre des tabacs " ou d'une " liberté de commercialisation des tabacs " en Corse à ce propos, est un fâcheux raccourci d'une réalité bien différente dès lors que, dès l'origine, les revendeurs ont toujours été soumis à la double obligation de s'approvisionner auprès de tous gérants (avant 1974) ou concessionnaires (après 1974) de leur choix, et de supporter le contrôle du Service des Douanes, puis de la SEITA à compter de 1974 ; qu'il conviendrait mieux de parler de liberté " surveillée " ;

Attendu que, sous ces conditions, un commerçant non détenteur de la concession exclusive, peut accéder à la commercialisation du tabac au détail par la revente ;

Qu'ainsi en a fait la SARL Scaglia et Fils devant les refus réitérés de lui allouer une concession ;

Que son défaut de qualité de concessionnaire lui interdisait de s'approvisionner directement auprès de la SEITA ; que, dès lors, le refus de cette dernière de répondre à sa commande ne peut s'analyser en un refus de vente, et ne rentre pas dans les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dans la mesure où la société Scaglia n'était pas dépendante économiquement de la SEITA puisqu'elle avait la possibilité, en qualité de revendeur, de s'adresser au concessionnaire de son choix pour procéder à son approvisionnement, ce que ne manquait pas de lui rappeler la SEITA par courrier du 24 mars 1989 dans lequel elle exposait à la requérante les raisons du refus d'une nouvelle concession géographique ;

Que les constatations faites par voie d'huissier ne démontrent pas que la société était en rupture de stock et dans l'impossibilité de s'approvisionner auprès du concessionnaire de son choix ;

Que le refus de vente n'est pas caractérisé de ce chef, l'attitude de la société Scaglia en qualité de revendeur confortant l'existence de la liberté commerciale des revendeurs tant dans le choix des produits que de leur source d'approvisionnement, n'étant pas tenus à un concessionnaire géographique ; que sera écarté également le moyen, retenu par le Conseil, de l'exclusion de certaines formes de distribution (sans préciser lesquelles) alors que la Corse bénéficiait à cette époque, d'un circuit élargi de distribution par l'existence de la revente, et de la démultiplication des concessionnaires par rapport au Continent ; mais, attendu que c'est déjà parler de l'usage du monopole de distribution de la SEITA auprès des détaillants liés à elle par un contrat de concession ;

A l'égard des détaillants concessionnaires :

Attendu qu'à l'occasion du passage du monopole de distribution à la SEITA en Corse, celle-ci a proposé, en 1974, à chaque débitant soit la transformation de son ancien contrat de gérance en un contrat de concession exclusive, soit la cessation de l'ancien contrat et la possibilité pour l'ancien débitant de procéder à la revente au détail avec obligation de s'approvisionner auprès des seuls concessionnaires ;

Attendu que le Conseil a admis dans son avis, que tant à l'égard de la législation en vigueur à l'époque des faits qu'au regard de sa propre jurisprudence, un tel système de distribution exclusif était conforme aux règles de la concurrence, en son principe ;

Attendu que les clauses de réciprocité de vente et d'approvisionnement sur une base territoriale, telles que contenues dans le cahier des charges, sont compatibles avec les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dès lors qu'elles garantissent au détaillant un approvisionnement conforme à la libre appréciation de son marché, qu'il ne lui est imposé ni quota de vente ni chiffre d'affaire minimum, les résultats économiques étant pris en compte par la SEITA seulement comme critères de réorganisation géographique ou modulation des concessions ; qu'aucun débitant ne dispose d'un avantage particulier sur ses concurrents dès lors qu'il est autorisé sur un territoire déterminé à vendre sans restriction ses produits même à une clientèle extérieure à la zone considérée ;

Attendu que dans ce cadre contractuel admis, la société Scaglia a sollicité, à de multiples reprises, l'attribution d'une concession qui lui a toujours été refusée sur avis négatif de la Chambre de Concertation et d'Arbitrage, organisme paritaire mis en place selon les voeux du cahier des charges, donnant un avis consultatif à la SEITA qui décide de l'attribution des concessions en dernier ressort ;

Attendu que le refus invoqué se fonde sur l'existence d'une zone déjà concédée autour du lieu d'installation de Monsieur Scaglia, Centre Commercial Les Salines à Ajaccio, et sur le fait que le remodelage de la zone entre plusieurs concessions ne se justifiait pas économiquement ;

Que Monsieur Scaglia, puis la société Scaglia, invoque au contraire le développement du tissu urbain autour de sa zone, légitimant une nouvelle répartition géographique des concessions ;

Attendu que dans sa réunion du 14 mars 1989, la Chambre de Concertation et d'Arbitrage a exposé les motifs de son refus d'agrément fondé sur des raisons économiques, fermeture du centre commercial où se situe le commerce de Monsieur Scaglia, baisse du chiffre d'affaire des concessionnaires voisins, tous éléments ne caractérisant pas une zone en expansion ;

Attendu, en premier lieu, que la présence d'un concessionnaire concurrent pour un quart des participants au titre des concessionnaires et 1/8e des présents ne peut suffire à reconnaître une délibération partiale alors que la décision se fonde sur des éléments économiques objectifs ; qu'au surplus, cette difficulté ne peut concerner que la délibération de 1989, puisque, selon les procès-verbaux produits aux débats, les délibérations antérieures ont été décidées dans la présence du concessionnaire de la zone concernée, Monsieur Carli, et les refus ont été fondés cependant sur les mêmes motifs ;

Attendu, en second lieu, que l'intérêt d'une concession exclusive pour le concédant est de garantir un réseau de distribution, pour les produits qu'il fournit ou qu'il distribue, suffisamment large géographiquement pour qu'il puisse satisfaire la demande du consommateur ; que, de son côté, le concessionnaire est assuré d'un espace géographique sans concurrence directe lui garantissant un volume de clients lui permettant une vente de produits à un niveau économiquement rentable ;

Que le remodelage de concession ou la création de nouveaux points de vente sous concession se font en fonction de l'opportunité économique figurée par le seuil de rentabilité, le critère géographique lié à la proximité concurrentielle, l'élargissement ou le rétrécissement du réseau de distribution en fonction des flux de clientèle, et l'évolution du marché liée à l'implantation de nouveaux centres urbains, le développement d'anciens, ou, au contraire, la fuite de la population, etc... ;

Que ce remodelage ou création de nouvelle concession ne peut se faire qu'à condition que le marché l'exige dans l'intérêt du consommateur et sans qu'il soit porté atteinte aux droits précédemment concédés ;

Que dans le cadre de ces contrats de concession, il ne peut être, dès lors, sérieusement reproché au concédant de poser des critères objectifs dans le choix de ses concessionnaires, l'attribution de nouvelles concessions et le remodelage des préexistantes ;

Attendu que la zone considérée par la SARL Scaglia, qui ne pouvait bénéficier d'un nouvel examen en vue d'un éventuel remodelage qu'au 31 mai 1989, en raison de l'application des concessions déjà concédées et du délai contractuel et statutaire de trois ans durant lequel aucune modification n'est possible, est déjà desservie par cinq concessionnaires dont les chiffres d'affaire n'ont pu connaître qu'une faible augmentation (environ 1 %) pour les années 1987 et 1988 en référence à la délibération de 1989 ;

Qu'en raison de l'implantation de la requérante dans un local type " grande surface commerciale ", l'ensemble de ces éléments a pu justifier à bon droit un refus de concession sans heurter les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Attendu, en effet, que cette décision, et le refus de livraison corrélatif, s'inscrit dans le sens des directives données en 1985 par la Direction Générale des Impôts à ses agents chargés de l'exploitation sur le terrain du monopole accordé par l'État à la SEITA ;

Qu'ainsi, il était rappelé qu'en milieu urbain (tel qu'en l'espèce), l'implantation des débits de tabacs se déterminait " de manière à faciliter l'approvisionnement des consommateurs et l'accès des usagers au service public assuré par les débitants ", joint à un souci de rentabilité du point de vente ;

Que, notamment, l'implantation d'un débit de tabac dans un ensemble commercial, type " grande surface ", n'ayant pour vocation que d'intéresser des consommateurs de passage qui ont déjà à leur disposition d'autres possibilités d'approvisionnement (proximité du domicile, lieu de travail etc...), ne saurait être encouragée sauf à créer " une incitation supplémentaire à la consommation qui n'est pas dans la vocation du monopole ", notamment à proximité d'un groupe scolaire, comme en l'espèce ;

Attendu que la SARL Scaglia et Fils ne démontrant pas la réalité d'une population nouvelle sédentarisée génératrice d'un nouveau marché répondant à un besoin non satisfait dans les conditions de la concession déjà attribuée et celles limitrophes, ne peut revendiquer le bénéfice des dispositions de l'ordonnance de 1986 :

Que cette société semble confondre la recherche d'une promotion de son commerce personnel avec la participation à un véritable service public ; Or, attendu que la concession n'est pas attribuée au seul profit du concessionnaire qui en tirerait un avantage commercial en adjoignant à son activité habituelle celle de débit de tabac ; qu'elle permet au contraire d'assurer au consommateur le libre accès aux produits de son choix dans la garantie d'un approvisionnement régulier de produits corrects ;

Attendu, d'une façon générale, que le système de distribution mis en place par la SEITA admis par la loi en 1976, ne peut être considéré comme abusif du seul fait qu'il réserve la vente au détail des tabacs à ses distributeurs autorisés et interdit la vente de ces tabacs aux consommateurs en dehors des débats autorisés (concession) et tolérés (revendeurs), dès lors qu'elle garantit la libre circulation des produits et ne touche pas à la caractéristique des produits vendus ;

Qu'afin d'assurer notamment l'approvisionnement de ses détaillants (et, par ricochet, des revendeurs) au delà de ses seuls produits, la SEITA, par le biais de contrats qu'elle concluait avec des fournisseurs étrangers et européens, permettait ainsi à la chaîne de distribution de garantir la diversité des produits et de répondre à la demande des consommateurs ;

Attendu, en conséquence, que ce système de distribution par concession exclusive n'est pas contraire au droit des positions dominantes dès lors qu'ils ne compromet pas l'approvisionnement satisfaisant du consommateur et tend à garantir une répartition géographique optimale des débitants en tenant compte des préoccupations d'aménagement de territoire, de proximité des débits permettant une concurrence mais garantissant aussi un minimum de revenu aux détaillants par rapport aux points de concentration de la clientèle, toujours mouvante et justifiant des remodelages en zone et en nombre, sur avis consultatif de la chambre partiaire ; que l'argument tiré tant de l'absence de progrès économique et de la limite de la liberté commerciale est d'autant moins fondé que le système de concession mis en place par la SEITA dans l'île permet un déploiement de vente (hors revente) bien supérieur au continent, le Conseil ayant admis l'existence d'un concessionnaire pour 700 habitants en Corse pour 1 500 habitants sur le Continent ; qu'ainsi, le système permet à la fois, l'enrichissement de plus du double des concessionnaires par rapport au Continent et le développement au profit du consommateur d'un réseau de distribution plus large assurant aux uns un progrès économique et aux autres un confort de choix et d'approvisionnement ; que la qualité du service rendu aux consommateurs s'est trouvée en outre renforcée par le système toléré de la revente qui démultipliait, à l'époque des faits, l'effet bénéfique du système mis en place ;

Attendu qu'il ne peut être reproché à la SEITA ni refus de vente, ni abus de position dominante, contraires à l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Qu'il s'en suit qu'en l'absence de faute et aucun préjudice n'ayant pu en naître, les demandes de la SARL Scaglia et Fils seront intégralement rejetées ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'appelante l'intégralité des frais irrépétibles auxquels elle a dû faire face ; qu'il lui sera alloué de ce chef la somme de 10 000 F ;

Par ces motifs, LA COUR : Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, contradictoirement, Reçoit la SA Société Nationale d'Exploitation Industrielle des Tabacs et Allumettes en son appel, L'en déclare bien fondée, Infirme le jugement déféré, Et, statuant à nouveau, Déboute la SARL Scaglia et Fils de l'ensemble de ses demandes, La condamne à payer à la SA Société Nationale d'Exploitation Industrielle des Tabacs et Allumettes la somme de Dix Mille Francs (10 000 F) sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, La condamne aux entiers dépens.