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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 6 février 1997, n° 95-40

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Rabami AS (Sté)

Défendeur :

Mobex France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

M. Bouche, Mme Cabat

Avoués :

SCP Autier, SCP Duboscq Pellerin

Avocats :

Mes de Sheret, de Gubernatis, Protat.

T. com. Paris, 3e ch., du 23 nov. 1994

23 novembre 1994

Considérant que la société danoise Rabami AS a fait appel d'un jugement réputé contradictoire du 23 novembre 1994 du Tribunal de commerce de Paris qui l'a condamnée à payer à la société Mobex France ci-après appelée Mobex 100 000 F de dommages-intérêts et 4 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour " rupture brutale et injustifiée " de leurs relations contractuelles ;

Qu'elle expose qu'elle fabrique au Danemark du mobilier de bureau ; que la société Mobex est devenue en 1986 l'importateur en France de ses productions, que les deux entreprises ont convenu en 1990 de la création d'une société Rabami France qui a embauché en tant que directeur commercial le fils du gérant de la société Mobex et s'est substituée à la société Mobex en tant qu'importateur en France des productions de la société Rabami AS, que la liquidation amiable de la société Rabami France a été décidée en 1991, que les sociétés Rabami AS et Mobex ont alors repris leurs relations antérieures mais que l'insuffisance des ventes et des retards de paiement ont conduit la société Rabami AS à décider en août 1993 de s'engager elle-même directement sur le marché français tout en proposant à la société Mobex de demeurer importateur à condition qu'elle fournisse une " garantie de règlements ", ce à quoi l'intimée a répliqué en exigeant le paiement d'une indemnité de rupture de 400 000 F ;

Qu'elle conteste qu'une convention comportant une quelconque exclusivité ait été conclue entre les parties et prétend que la société Mobex n'a jamais été son agent commercial, que le délai de préavis de six mois était suffisant, qu'elle n'a commis aucune faute et que sa décision de réorganisation de l'implantation de ses produits sur le marché français tient au contraire aux défaillances de la société Mobex qui lui ont porté préjudice ;

Qu'elle demande à la Cour de débouter la société Mobex de ses prétentions et de la condamner à lui payer un solde de factures de 55 128,74 F avec intérêts au taux légal à compter du 24 avril 1995, date de la signification des conclusions en faisant la demande, 50 000 F de dommages-intérêts en réparation du préjudice engendré par ses fautes et 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Considérant que la société Mobex France expose quant à elle que la mévente des produits de la société Rabami AS avait conduit en 1991 la société Mobex qui assurait la moitié des ventes en France des productions de l'appelante, à racheter le stock de la société Rabami AS afin d'assurer la continuité des ventes et du service après vente, que le contrôle de la société Rabami AS a changé de mains en 1991 et qu'elle n'est pas parvenue à régler avec la nouvelle direction les difficultés nées des avantages consentis à d'autres importateurs ;

Qu'elle ajoute qu'au début de l'année 1993 la société Rabami AS a recruté un nouveau responsable de ses ventes à l'exportation qui parlait français, qu'elle a fini par réaliser que la société Rabami AS voulait l'écarter et vendre désormais directement ses productions à la clientèle de son distributeur principal, et que la société Rabami AS a mis en œuvre brutalement cette spoliation par une lettre de rupture du 28 juillet 1993 et un refus de toute négociation ;

Qu'elle revendique, en s'appuyant sur des notes de commissionnement et sur la lettre de rupture, les qualités d'agent commercial bien qu'aucune convention écrite n'ait été signée et d'importateur exclusif, conteste toute faute dément toute dette et soutient qu'elle est victime d'une rupture brutale et injustifiée d'accords qui justifie sa demande de 400 000 F de dommages-intérêts et 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Considérant qu'il n'est pas contesté qu'en l'absence de la moindre convention écrite la société Mobex a distribué en France à partir de 1986 des meubles de bureau fabriqués au Danemark par la société Rabami AS ; qu'elle l'a fait en tant qu'importateur-revendeur exclusif selon la lettre de rupture du 28 juillet 1993 mais a perçu aussi sur des ventes directes en France de la société Rabami AS dont elle ne prétend ni ne justifie qu'elles ont été conclues par son intermédiaire, des commissions qui se sont élevées à 19 538,81 F pour l'année 1993 et le mois de janvier 1994 ; que la société Mobex chiffre pour ces treize mois ses reventes à 713 294,19 F et les ventes directes de la société Rabami AS à 535 263,20 F ; qu'il n'est pas davantage contesté que les ventes des fabrications de la société Rabami AS constituaient pour la société Mobex les quatre cinquièmes environ de son activité ;

Considérant que la société Mobex ne justifie nullement de ce qu'elle ait exercé une activité d'agent commercial ; qu'elle achetait ce qu'elle revendait ; qu'elle ne produit aucune commande qu'elle ait prise pour le compte de la société Rabami AS ; qu'elle n'est pas fondée à demander la réparation de la résiliation unilatérale d'un mandat qui n'existerait pas, quand bien même la lettre de rupture l'ait qualifiée de " représentant exclusif sur le marché français " ;

Qu'il n'en demeure pas moins que les deux sociétés avaient noué dès 1986 des relations commerciales d'autant plus privilégiées que leurs animateurs de l'époque étaient des amis, que ces relations ont généré un courant d'affaires continu de 1986 à 1993 et qu'à l'exclusivité concédée par la société Rabami AS pour les ventes sur le territoire français répondait une quasi exclusivité consacrée par la société Mobex à la diffusion des productions de la société Rabami AS ;

Considérant que la société Rabami AS a notifié à la société Mobex, par lettre datée du 28 juillet 1993, faisant référence à des entretiens téléphoniques des 27 et 29 juillet 1993 (sic), qu'elle mettait fin selon " accord commun " et à effet du 31 janvier 1994, à la coopération entre les deux entreprises et en particulier au commissionnement de la société Mobex sur les achats de quatre clients nommément désignés ;

Que la société Rabami n'a émis à cette occasion aucun grief à l'exception d'une baisse des ventes en France de ses fabrications que la société Mobex dément et dont elle ne justifie pas ; qu'elle a explicitement dévoilé son intention d'accélérer son implantation sur le marché français par un engagement direct accru à l'exemple de la plupart des sociétés européennes ; qu'il peut être admis que la société Rabami AS n'avait pas de motif de résiliation autre qu'une réorganisation commerciale de ses exportations ;

Considérant que la société Mobex ne peut contester le droit que la société Rabami AS avait de résilier unilatéralement les liens contractuels à durée indéterminée les unissant ; qu'elle est par contre fondée à dénoncer la brutalité de la résiliation que n'ont précédée ni mise en garde ni négociation, et à prétendre que le préavis de six mois qui lui a été accordé, suffisait à réparer le dommage engendré par la rupture ; qu'il n'est justifié d'aucun accord emportant résiliation amiable ;

Que la durée des relations commerciales rompues et la quasi exclusivité d'activité accordée à la société Rabami, qui rendait plus difficile la nécessaire reconversion, imposaient que l'appelante ait la loyauté d'accorder à la société Mobex, à défaut de manifestations antérieures et prémonitrices de ses intentions, un préavis d'une durée de l'ordre d'une année assurant à l'intimée les ressources indispensables à sa survie durant la phase de reconversion;

Que la Cour est à même de fixer sur la base de l'activité de l'année 1993 à 140 000 F les marges et commissions dont la société Mobex a été injustement privée par la faute de la société Rabami AS ;

Considérant que la société Mobex ne conteste pas la recevabilité de la demande de la société Rabami AS d'une condamnation de l'intimée à lui verser un solde de factures de 55 128,74 F apparemment oublié jusqu'à ce qu'il soit réclamé par conclusions d'appel signifiées le 24 avril 1995 ;

Que cette demande s'appuie sur un " état de créances Rabami/Mobex " annexé à une lettre du 20 août 1993 de la société Mobex qui vaut reconnaissance de dette ; que la société Mobex ne justifie d'aucune extinction de cette créance qui demeure en conséquence due ; que les intérêts au taux légal réclamés ne seraient dus à partir du 24 avril 1995 date à laquelle le dommage évalué à 100 000 F était déjà réalisé ; qu'il convient de les écarter de la compensation à opérer ;

Qu'il s'ensuit que la société Rabami AS doit à la société Mobex 140 000 - 55128,74 = 84 871,26 F ;

Considérant qu'il serait inéquitable que la société Mobex conserve la charge de ses frais irrépétibles ;

Par ces motifs se substituant à ceux des premiers juges, Réformant la décision entreprise, Condamne la société Rabami AS à verser à la société Mobex France la somme de 84 871,26 F en réparation de l'absence de préavis suffisant rendant brutale et abusive la résiliation de leurs relations commerciales, La condamne à payer à la société Mobex France la somme de 12 000 F au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, Déboute les parties de toutes leurs demandes, Condamne la société Rabami AS en tous les dépens de première instance et d'appel, Admet la société civile professionnelle Duboscq Pellerin, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.