Livv
Décisions

CJCE, 2e ch., 20 février 1997, n° C-128/95

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fontaine (SA), Garage Laval (SA), Fahy (SA), Renault Lyon Ouest FLB Automobiles (SA), Diffusion Vallis Auto (SA), Horizon Sud (SA)

Défendeur :

Aqueducs automobiles (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Mancini

Avocat général :

M. Ruiz-Jarabo Colomer

Juges :

MM. Hirsch, Schintgen (rapporteur)

Avocat :

Me Fourgoux

CJCE n° C-128/95

20 février 1997

LA COUR,

1. Par jugement du 2 janvier 1995, tel que rectifié par jugement du 7 février 1995, parvenu à la Cour le 18 avril suivant, le tribunal de commerce de Lyon a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, trois questions préjudicielles sur l'interprétation du règlement (CEE) n° 123-85 de la Commission, du 12 décembre 1984, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles (JO 1985, L. 15, p. 16).

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'une action en concurrence déloyale intentée par les sociétés Fontaine, Garage Laval, Fahy, Renault Lyon Ouest FLB Automobiles, Diffusion Vallis Auto et Horizon Sud (ci-après "Fontaine e.a.") à l'encontre de la société Aqueducs Automobiles.

3. Fontaine e.a., établies dans le département français du Rhône, sont concessionnaires exclusifs des marques automobiles Audi, Ford, Peugeot, Renault ou Volkswagen.

4. Aqueducs Automobiles, établie dans le même département français, achète par voie d'importations parallèles des véhicules neufs, immatriculés depuis moins de trois mois ou ayant parcouru moins de trois mille kilomètres de diverses marques, qu'elle revend en France en tant que négociant indépendant. Cette société possède un stock de telles voitures et fait de la publicité pour promouvoir leur vente.

5. Fontaine e.a. ont estimé qu'Aqueducs Automobiles, qui n'appartient à aucun réseau de distribution d'un constructeur automobile et qui n'est pas davantage un intermédiaire mandaté au sens de l'article 3, point 11, du règlement n° 123-85, s'était ainsi rendue coupable d'actes de concurrence déloyale à l'encontre des concessionnaires exclusifs des marques concernées. Le 1er avril 1994, elles ont dès lors saisi le tribunal de commerce de Lyon d'une action visant notamment à faire cesser les activités de revente indépendante de véhicules neufs par Aqueducs Automobiles, à lui interdire de posséder un stock de tels véhicules et de faire de la publicité pour promouvoir leur vente, ainsi qu'à condamner cette société au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par les concessionnaires.

6. A l'appui de leur action, Fontaine e.a. invoquent le règlement n° 123-85. Selon elles, un revendeur d'automobiles n'appartenant à aucun réseau de distribution de marque et se procurant les véhicules par voie d'importations parallèles ne pourrait exercer ses activités que comme intermédiaire mandaté au sens de l'article 3, point 11, du règlement n° 123-85 et dans les conditions précisées par la communication 91/C 329/06 de la Commission, du 4 décembre 1991, intitulée "clarification de l'activité des intermédiaires en automobile" (JO C 329, p. 20). En particulier, le mandataire devrait se borner à agir pour le compte d'un acheteur, utilisateur final, et il lui serait interdit de détenir un stock ou de créer une confusion dans l'esprit du public en donnant l'impression, notamment par sa publicité, d'être revendeur. Par ailleurs, le règlement n° 123-85 s'opposerait à ce qu'un opérateur économique cumule les activités d'intermédiaire mandaté et de revendeur indépendant.

7. Fontaine e.a. soutiennent en outre que, contrairement à ce qu'affirme Aqueducs Automobiles, les véhicules vendus ne peuvent être considérés comme étant d'occasion pour la seule raison qu'ils n'affichent plus zéro kilomètre au compteur. Conformément à la réglementation française, serait en effet considéré comme neuf le véhicule vendu dans les trois mois de sa première immatriculation ou ayant parcouru moins de trois mille kilomètres, ces critères ayant même été étendus par la suite à six mois et à six mille kilomètres dans le but d'entraver les ventes parallèles de véhicules automobiles.

8. En revanche, Aqueducs Automobiles estime que le règlement n° 123-85 se borne à régir les relations entre les constructeurs automobiles et leurs concessionnaires. En conséquence, il ne concernerait pas l'activité des commerçants indépendants ni leur publicité et il ne prohiberait pas davantage le cumul, dans le chef d'une même entreprise, des activités de revendeur indépendant et d'intermédiaire mandaté.

9. Considérant que la solution du litige pendant devant lui dépendait de l'interprétation du droit communautaire, le tribunal de commerce de Lyon a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

" 1) Les importations parallèles sont-elles interdites autrement que dans le cadre d'un mandat donné à un intermédiaire prestataire de services et par conséquent par une opération d'achat-revente ?

2) Est-il interdit à un commerçant indépendant d'exercer à la fois l'activité de prestataire de services mandataire libre et de négociant procédant notamment à des importations parallèles ?

3) Un commerçant indépendant est-il interdit de vente de voitures neuves et dans tous les cas quelle est la définition de voiture neuve et de voiture d'occasion ? "

10. A la suite du prononcé de l'arrêt du 15 février 1996, Nissan France e.a. (C-309/94, Rec. p. I-677), le tribunal de commerce de Lyon a estimé qu'une réponse aux deux premières questions n'était plus nécessaire. Il a, en revanche, décidé de maintenir la troisième question préjudicielle.

11. Cette question comporte deux branches. D'une part, la juridiction de renvoi demande en substance si le règlement n° 123-85 doit être interprété en ce sens qu'il fait obstacle à ce qu'un opérateur, qui n'est ni revendeur agréé du réseau de distribution du constructeur d'une marque automobile déterminée ni intermédiaire mandaté au sens de l'article 3, point 11, de ce règlement, se livre à une activité d'importation parallèle et de revente indépendante de véhicules neufs de cette marque. D'autre part, elle demande à la Cour de préciser, pour les besoins de l'application du règlement n° 123-85, la définition du véhicule neuf ainsi que les critères qui permettent de distinguer ce type de véhicule d'une voiture d'occasion.

12. S'agissant de la première branche de cette question, il y a lieu de rappeler que, dans l'arrêt Nissan France e.a., précité, la Cour a déjà interprété le règlement n° 123-85 au regard de l'activité d'importation parallèle et de revente de véhicules automobiles exercée par un opérateur indépendant dans un secteur couvert par un accord de distribution exclusive conclu entre le constructeur d'une marque déterminée de véhicules automobiles et un de ses concessionnaires.

13. En effet, dans cet arrêt, la Cour a jugé que le règlement n° 123-85, conformément à la fonction qui lui est assignée dans le cadre de l'application de l'article 85 du traité, ne concerne que les rapports contractuels entre les fournisseurs et leurs distributeurs agréés, en fixant les conditions auxquelles certains accords qui les lient sont licites au regard des règles de concurrence du traité(point 16).

14. Son objet est ainsi réduit au contenu d'accords que les parties liées dans un réseau de distribution d'un produit déterminé peuvent licitement conclure au regard des règles du traité interdisant les restrictions au jeu normal de la concurrence à l'intérieur du marché commun(arrêt Nissan France e.a., précité, point 17).

15. Se bornant dès lors à énoncer ce que les parties à de tels accords peuvent ou ne peuvent pas s'engager à faire dans les rapports avec des tiers, ce règlement n'a pas, en revanche, pour fonction de réglementer l'activité de ces tiers pouvant intervenir sur le marché en dehors du circuit des accords de distribution(arrêt Nissan France e.a., précité, point 18).

16. Ainsi, les dispositions de ce règlement d'exemption ne sauraient affecter les droits et obligations des tiers par rapport aux contrats conclus entre les constructeurs automobiles et leurs concessionnaires, et notamment ceux des négociants indépendants (arrêt Nissan France e.a., précité, point 19).

17. La Cour en a déduit que le règlement n° 123-85 ne saurait être interprété comme interdisant à un opérateur étranger au réseau officiel de distribution d'une marque automobile déterminée et qui n'a pas la qualité d'intermédiaire mandaté au sens de ce règlement de se procurer des véhicules neufs de cette marque par la voie d'importations parallèles et d'exercer l'activité indépendante de commercialisation de ces véhicules (arrêt Nissan France e.a., précité, point 20).

18. Dans l'arrêt Nissan France e.a., précité, la Cour a en conséquence dit pour droit que le règlement n° 123-85 doit être interprété en ce sens qu'il ne fait pas obstacle à ce qu'un opérateur, qui n'est ni revendeur agréé du réseau de distribution du constructeur d'une marque automobile déterminée ni intermédiaire mandaté au sens de l'article 3, point 11, de ce règlement, se livre à une activité d'importation parallèle et de revente indépendante de véhicules neufs de cette marque.

19. Pour les mêmes motifs, il convient d'apporter une réponse identique à la première branche de la troisième question préjudicielle posée par le tribunal de commerce de Lyon.

20. Compte tenu de cette réponse, la seconde branche de la troisième question préjudicielle devient sans objet.

21. En effet, ainsi que M. l'Avocat général l'a souligné aux points 12 à 15 de ses conclusions, dès lors que le règlement n° 123-85 n'a pas pour fonction de régir l'activité d'importation parallèle et de revente de véhicules automobiles exercée par des négociants indépendants, il devient sans intérêt de statuer sur la définition, pour les besoins de l'application dudit règlement, du caractère neuf ou d'occasion des véhicules faisant l'objet de telles transactions dans une hypothèse, telle que celle du litige au principal, où le règlement n° 123-85 ne trouve précisément pas à s'appliquer.

22. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de répondre à la seconde branche de la troisième question préjudicielle.

23. Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la troisième question posée que le règlement n° 123-85 doit être interprété en ce sens qu'il ne fait pas obstacle à ce qu'un opérateur, qui n'est ni revendeur agréé du réseau de distribution du constructeur d'une marque automobile déterminée ni intermédiaire mandaté au sens de l'article 3, point 11, de ce règlement, se livre à une activité d'importation parallèle et de revente indépendante de véhicules neufs de cette marque.

Sur les dépens

24. Les frais exposés par le gouvernement français et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (deuxième chambre),

statuant sur la question à elle soumise par le tribunal de commerce de Lyon, par jugement du 2 janvier 1995, tel que modifié par la suite, dit pour droit :

Le règlement (CEE) n° 123-85 de la Commission, du 12 décembre 1984, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles, doit être interprété en ce sens qu'il ne fait pas obstacle à ce qu'un opérateur, qui n'est ni revendeur agréé du réseau de distribution du constructeur d'une marque automobile déterminée ni intermédiaire mandaté au sens de l'article 3, point 11, de ce règlement, se livre à une activité d'importation parallèle et de revente indépendante de véhicules neufs de cette marque.