CA Paris, 25e ch. A, 27 février 1997, n° 95-2148
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
France Quick (Sté)
Défendeur :
Grunberg, Le Pélican (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard-Payen
Conseillers :
M. Faucher, Mme Deurbergue
Avoués :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, Me Teytaud
Avocats :
Mes Gast, Bouyssou.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :
Agissant tant comme " intervenant " que comme Président Directeur Général de la société Le Pélican, Catherine Grunberg a, le 10 mai 1994, conclu avec la société France Quick un contrat de franchise par lequel cette société a, pour une durée déterminée, octroyé à la société Le Pélican le droit d'exploiter un fonds de commerce à Pontault Combault sous l'enseigne " Quick Hamburger Restaurant " en appliquant le système " Quick ".
Après avoir reçu le 16 juin 1994 divers documents, dont un projet de bail commercial, et avoir signé le 26 juin 1994 un avenant au contrat de franchise qui reportait au 11 juillet 2003 la fin de la convention et au 12 juillet 1994 celle de l'ouverture du restaurant, Catherine Grunberg a été informée par le franchiseur le 28 juin 1994 de sa volonté de ne pas poursuivre plus avant les relations contractuelles.
Se prévalant du caractère abusif de la rupture du contrat de franchise, la société Le Pélican et Catherine Grunberg ont, par acte d'huissier de justice en date du 13 juillet 1994 fait assigner la société France Quick devant le Tribunal de commerce de Bobigny pour obtenir sa condamnation au paiement de dommages et intérêts et d'une indemnité au titre de leurs frais irrépétibles.
Le franchiseur s'est opposé à ces prétentions en invoquant la nullité du contrat et, à titre subsidiaire, sa résiliation aux torts et griefs des demanderesses. Il a par ailleurs sollicité la condamnation de celles-ci à lui verser :
- 6 255 000 F en réparation de son préjudice commercial et financier,
- 100 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- 30 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Pour statuer comme ils l'ont fait les premiers juges ont relevé, d'une part, que le contrat litigieux, qui n'était affecté d'aucun vice du consentement, avait été signé en connaissance de cause par la société France Quick puis résilié par celle-ci pour des motifs inexistants et en méconnaissance des dispositions de son article 29, d'autre part, que si, en raison de la rupture abusive du contrat de franchise, Catherine Grunberg avait subi un préjudice personnel important, lié aux frais engagés pour sa formation et ses diverses démarches, il n'en allait pas de même pour la société Le Pélican, enfin que le franchiseur était mal fondé en sa demande reconventionnelle.
Au soutien de son recours l'appelante fait valoir :
- à titre principal, pour obtenir la nullité du contrat, qu'il n'y a pas eu de consentement valablement donné puisque les parties étaient encore après sa signature, le 10 mai 1994, en désaccord sur des points essentiels (refus de Catherine Grunberg de s'engager en qualité de caution ou d'accepter, au nom de sa société, un nantissement, absence de signature du bail commercial, renégociation systématique de divers éléments) et que si elle avait été renseignée des réticences et de la passivité de ses cocontractantes pour le financement de leur entreprise, elle n'aurait pas conclu,
- à titre subsidiaire, pour justifier la résiliation du contrat aux torts et griefs des intimées, que Catherine Grunberg s'est montrée incapable d'assurer son rôle de chef d'entreprise dans la mesure notamment où, en plus des griefs déjà exposés, elle n'a ni embauché de personnel ni mis en œuvre de budget publicitaire,
- que c'est à tort que le Tribunal, statuant ultra petita, avec des motifs contradictoires et en violation des dispositions de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile a alloué des dommages et intérêts à Catherine Grunberg qui, pas plus que la société Le Pélican ne rapporte la preuve d'un préjudice,
- qu'elle est en revanche fondée à réclamer aux intimées des dommages et intérêts en raison du préjudice commercial et financier qui lui a été causé dans la mesure où, d'une part, elle a dû supporter un certain nombre de frais pour assurer l'ouverture de son restaurant de Pontault Combault et où, d'autre part, elle n'a pu bénéficier des redevances contractuellement mises à la charge du franchisé.
Dès lors, la société France Quick prie la Cour d'infirmer le jugement déféré, de débouter les intimées de leurs demandes et de les condamner, outre aux dépens et au versement d'une indemnité de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, à lui régler 6 255 000 F à titre de dommages et intérêts.
Catherine Grunberg et la société Le Pélican répliquent que :
- les allégations de l'appelante concernant l'existence, lors de la signature du contrat, d'un désaccord sur des points essentiels sont fausses, ce d'autant que la société France Quick, qui a manqué à son obligation pré-contractuelle de renseignement et ne démontre pas l'existence d'un vice du consentement, a fourni un certain nombre de documents après le 10 mai 1994,
- aucune faute contractuelle ne peut leur être reprochée notamment en ce qui concerne la campagne publicitaire menée, l'embauche des salariés, l'approvisionnement du restaurant, les équipements nécessaires à son fonctionnement, de sorte que c'est de manière fautive que l'appelante a, au demeurant sans mise en demeure préalable, résilié le contrat,
- les premiers juges, qui ont à bon droit débouté la société France Quick de ses demandes, ont sous-évalué leur préjudice.
En conséquence, les intimées demandent à la Cour de confirmer en son principe le jugement critiqué, de le réformer pour le surplus et, en conséquence, de condamner l'appelante, outre aux dépens, à payer :
- à Catherine Grunberg 235 698,65 F à titre de remboursement de frais,
- à la société Le Pélican et à Catherine Grunberg 250 000 F à titre de dommages et intérêts pour préjudice commercial,
- à Catherine Grunberg 765 000 F à titre de préjudice personnel et de perte de salaires,
- à la société Le Pélican 2 258 000 F pour pertes financières,
- à Catherine Grunberg et à la société Le Pélican 100 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR :
I - Sur la forme :
Considérant que, à titre liminaire, la Cour ne peut que rejeter des débats les pièces communiquées par les intimées le 17 janvier 1997, jour de l'ordonnance de clôture, à un moment où il n'était plus permis à leur adversaire de les discuter contradictoirement ;
II - Sur le fond :
A - Sur la validité et la résiliation du contrat de franchise :
Considérant qu'il y a lieu au préalable de rappeler que le contrat litigieux a été conclu après que la candidature de Catherine Grunberg a été acceptée par l'appelante qui a décelé en elle le 21 septembre 1993 " une forte volonté d'entreprendre " ;
Considérant que, ceci étant, la société France Quick prétend, pour obtenir l'annulation du contrat du 10 mai 1994 que, postérieurement à sa signature, les parties étaient en désaccord sur des éléments essentiels tenant notamment aux engagements financiers de la société Le Pélican et de son animatrice, Catherine Grunberg, ainsi qu'aux conditions de la location des lieux dans lesquels devait être exploité le fonds de commerce à l'enseigne " Quick Hamburger Restaurant " ;
Mais considérant que ces arguments ne peuvent sérieusement être retenus dans la mesure où la correspondance versée aux débats ne fait en aucun cas apparaître un quelconque refus des intimées de conclure le bail ou de fournir une garantie ;
Que si Catherine Grunberg s'est émue de certaines conditions financières, ce qui l'a conduite à négocier avec ses partenaires et à obtenir le crédit sollicité, force est d'admettre qu'aucune faute ne peut lui être reprochée ;
Qu'en effet, comme l'a relevé le Tribunal de commerce, les engagements requis se sont révélés être bien supérieurs à ceux annoncés par l'appelante dans ses publicités annonçant un apport personnel d'un million de francs et présentant un franchisé pouvant emprunter trois millions de francs sans caution ;
Que par ailleurs Catherine Grunberg a dû attendre le 16 juin 1994 pour recevoir, avec d'autres documents, comme une liste d'équipements ou un pacte de préférence, le projet de bail, alors que dans une lettre du 29 mai 1994 elle rappelait au franchiseur sa promesse de le lui adresser dans le courant du mois de mai et que les indications concernant la location du local commercial étaient pour le moins lacunaires dans le dossier d'informations précontractuelles, intitulé " disclosure ", et le contrat de franchise du 10 mai 1994 ;
Considérant en outre que, toujours pour obtenir l'annulation du contrat, la société France Quick se réfère à une renégociation systématique d'éléments ne souffrant pas de modifications et à un retard dans l'enregistrement des statuts de la société Le Pélican ;
Mais considérant que ces arguments doivent, là encore, être écartés puisque, d'une part, ce retard, qui ne peut être en soi une cause de nullité du contrat de franchise, est imputable au franchiseur qui n'a pas adressé en temps voulu le projet de bail, d'autre part, la réalité de cette " renégociation systématique " n'est pas justifiée ;
Considérant en conséquence que l'appelante, qui ne démontre ni l'absence ni le vice du consentement, n'est pas fondée à solliciter la nullité du contrat de franchise ;
Considérant que, à titre subsidiaire, la société France Quick soutient que ce contrat doit être résilié aux torts et griefs de la franchisée qui " s'est montrée incapable d'assurer le rôle de chef d'entreprise auquel elle prétendait " ;
Mais considérant que, pas plus que les griefs contenus dans la lettre de résiliation adressée à Catherine Grunberg le 28 juin 1994, à savoir un " comportement particulièrement critique " à l'égard du franchiseur et une " attitude... incompatible avec l'image que doit donner tout représentant de l'enseigne " Quick Hamburger Restaurant " ", le reproche formulé par l'appelante dans ses écritures n'est justifié par les pièces versées aux débats ;
Que la Cour observe à cet égard que, méconnaissant les obligations lui incombant en vertu des dispositions de l'article 29 du contrat, la société France Quick n'a, avant de résilier celui-ci, adressé aucune mise en demeure à sa franchisée ;
Que tout au contraire elle a admis la poursuite des relations contractuelles en manifestant dans un message du 10 juin 1994 sa compréhension devant " les difficultés, le stress que représentent une prise de franchise " et en adressant au conseil des intimées le 21 juin 1994 " un avenant au contrat de franchise " ;
Que par ailleurs, contrairement aux affirmations du franchiseur, les pièces communiquées prouvent que Catherine Grunberg et la société Le Pélican ont, notamment en embauchant des salariés et en négociant des contrats publicitaires, fait toutes diligences pour assurer l'ouverture du restaurant le 12 juillet 1994 ;
Que dès lors la résiliation du contrat, intervenue sans motif légitime et en méconnaissance des dispositions contractuelles, doit être prononcée aux torts et griefs de la société France Quick qui, de ce fait, ne peut prétendre à la réparation d'un quelconque dommage à la différence de Catherine Grunberg et de la société Le Pélican;
B) Sur la rupture du contrat de franchise et ses conséquences :
Considérant que Catherine Grunberg réclame tant le remboursement des frais par elle engagés pour sa formation, la création de la société Le Pélican et l'ouverture du restaurant, soit 235 698,65 F francs, que l'indemnisation de son préjudice personnel et de ses pertes de salaire pour 765 000 F ;
Qu'elle sollicite en outre, avec la société Le Pélican, l'octroi de dommages et intérêts, évalués à 250 000 F, pour préjudice commercial ;
Considérant pour sa part que la société Le Pélican, qui se fonde sur un chiffre d'affaires prévisionnel, demande le paiement d'une somme de 2 258 000 F pour portes financières ;
Considérant tout d'abord que si Catherine Grunberg n'est pas fondée à réclamer à l'appelante le remboursement de ses frais de formation qui, comme elle le reconnaît, sont contractuellement à la charge du franchisé, elle est en revanche en droit d'obtenir le remboursement de ceux engagés pour l'ouverture du restaurant de 140 places et la création de la société nécessaire à son exploitation ;
Considérant ensuite que Catherine Grunberg et la société Le Pélican ont subi un préjudice commercial certain, lié à une perte de crédibilité, dans la mesure où, suite à la résiliation intempestive du contrat, elles ont dû renoncer brusquement à une activité dont leurs interlocuteurs, administration ou prestataires de services, étaient d'ores et déjà informés ;
Considérant par ailleurs que Catherine Grunberg s'est investie en pure perte dans un projet qui lui tenait à coeur et dont elle était en droit, avec la société Le Pélican, d'en tirer un profit certain compte tenu tant des renseignements fournis sur le restaurant par le document pré-contractuel produit que des fonctions antérieurement exercées par Catherine Grunberg (directeur de marchés, assistante de direction dans l'exploitation de cafeterias comme atteste un questionnaire de la société France Quick), étant néanmoins observé, ce qui minore d'autant le montant du préjudice qu'aucune activité n'a été accomplie par la franchisée et son animatrice ;
Considérant que, justifiés par les documents versés aux débats, ces divers éléments, auxquels il convient d'ajouter l'existence d'une clause de non-concurrence qui interdit aux intimées d'exercer pendant deux ans une activité identique ou similaire sur le territoire français, permettent d'évaluer, toutes causes de préjudice confondus, à 400 000 F le dommage subi par Catherine Grunberg et à 100 000 F celui de la société Le Pélican ;
Considérant que pour la procédure de première instance et d'appel l'équité commande d'allouer à chacune des intimées une indemnité de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant que l'appelante, partie perdante, ne peut obtenir le remboursement de ses frais irrépétibles ;
Par ces motifs : Rejette des débats les pièces communiquées par les intimées le 17 janvier 1997, jour de l'ordonnance de clôture ; Reforme le jugement déféré et, statuant à nouveau : Condamne la société France Quick à payer à Catherine Grunberg la somme de 400 000 F et à la société Le Pélican la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts ; Condamne la société France Quick à payer à chacune des intimées une indemnité de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société France Quick aux dépens de première instance et d'appel ; Admet la SCP Teytaud, Avoué à la Cour, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.