CA Poitiers, ch. civ. sect. 2, 11 mars 1997, n° 289
POITIERS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Celton
Défendeur :
Carenton
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lerner
Conseillers :
MM. Daniau, Taillebot
Avoués :
SCP Musereau-Drouineau-Rosaz, SCP Paille-Thibault
Avocats :
Mes Tripan, Boizard.
Attendu que la demoiselle Celton a interjeté appel dans des conditions de formes et de délais qui ne soulèvent aucune contestation, du jugement du tribunal de commerce de Niort en date du 25 janvier 1995 ; que ce jugement l'ayant déboutée de ses demandes, l'a en effet condamnée à payer à Carenton la somme de 15 430,00 F à titre principal et la somme de 3 500,00 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
Attendu que la demoiselle Celton a fait conclure à l'infirmation du jugement, et dans un mélange de prétentions et de moyens, au principal, à la nullité du contrat conclu entre les parties le 3 février 1993 et à la condamnation de Carenton à lui restituer la somme de 35 000,00 F assortie des intérêts (sic) à compter du 3 février 1993 jusqu'à une date non précisée et à lui payer la somme de 92 385,29 F à titre de dommages-intérêts ; qu'à titre subsidiaire elle sollicite la résolution dudit contrat et la condamnation de Carenton à lui payer les sommes susdites ; qu'elle demande la condamnation en tout état de cause de celui-ci à lui payer la somme de 10 000,00 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
Attendu que Carenton a fait conclure à l'irrecevabilité de l'appel et à son mal fondé, à la confirmation du jugement, à la condamnation de la demoiselle Celton à lui payer à titre de dommages-intérêts la somme de 50 000,00 F pour inexécution du contrat et la somme de 10 000,00 F pour procédure abusive ainsi que la somme de 15 000,00 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
Attendu que l'appelante a fait répondre qu'elle maintenait ses précédentes écritures ;
Attendu que l'intimé a fait écrire qu'il maintenait ses précédentes conclusions ;
Attendu que l'appelante a une nouvelle fois fait écrire qu'elle sollicitait lui être adjugé le bénéfice de ses précédentes écritures ;
Attendu que l'intimé ne soulève aucun moyen de la nature de ceux énumérés à l'article 122 du Nouveau code de procédure civile et permettant de rejeter l'appel sans examen au fond ; que l'appel doit être déclaré recevable ;
Attendu que par acte du 3 février 1993, la demoiselle Celton a conclu un contrat de franchise pour une durée de trois ans avec Carenton ; que par ce contrat le groupe Carenton Affinités représenté par Carenton, lui donnait l'exclusivité dans le département de la Vienne pour l'exploitation d'une agence matrimoniale sous la marque Affinités déposée le 19 septembre 1991 ; que le franchiseur s'engageait à fournir au franchisé outre l'enseigne, une formation professionnelle de 5 jours dans un cabinet pilote, son assistance technique, et une formation de son personnel ; que le droit d'entrée était fixé à 30 000,00 F hors taxes et les mensualités ramenées à 3 000,00 F hors taxes ; que selon le livret du candidat un " fichier important " était confié au franchisé comportant des possibilités de sélection réparties sur divers niveau de localisation ; que la demoiselle Celton cessa le payement régulier de ses redevances dès le mois d'avril 1993 et tout payement à partir du mois de septembre ; que par lettre du 30 novembre elle faisait connaître à son cocontractant qu'elle cessait toute activité ; que par exploit du 18 mars 1994 elle faisait assigner Carenton en résolution du contrat de franchise ;
I - La nullité du contrat :
Attendu que selon l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989 et le décret du 4 avril 1991 toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permettent de s'engager en connaissance de cause et spécialement une présentation du réseau d'exploitant qui doit comporter la liste des entreprises qui en font partie avec l'indication pour chacune d'elles du mode d'exploitation et leur adresse pour celle établies en France avec lesquelles la personne qui propose le contrat de même nature que celui dont la conclusion est envisagée ainsi que la date de conclusion ou renouvellement de ces contrats ; qu'en l'espèce Carenton en proposant à la demoiselle Celton un contrat de franchise par lequel il garantissait à sa cocontractante l'usage paisible en s'engageant à ne pas accorder une autre franchise dans le département de la Vienne, et offrait dans l'intérêt commun des parties l'entrée de la franchisée dans un réseau d'exploitants disposant des mêmes prérogatives, devait à sa cocontractante la dite information de nature à la renseigner le plus exactement possible sur l'étendue du réseau dans lequel elle allait entrer ; que toutefois ce franchiseur ne justifie pas avoir fourni cette information; qu'il a plutôt entretenu dans l'esprit de la franchisée une idée inexacte sur l'existence dudit réseau; qu'il ne pouvait justifier d'aucun réseau car l'engagement de la demoiselle Celton marquait, en l'absence de tout autre membre adhérent ou franchisé, la création de ce réseau; qu'ainsi au moment du contrat litigieux étant donné l'absence de tout autre membre hormis Carenton qui se donnait le rôle de franchiseur et de cabinet pilote celui-ci ne pouvait faire référence à un tel réseau sauf à le présenter en devenir; qu'il a en outre entretenu une confusion avec une autre exploitation qui sous le nom d'Interconseil était connue des personnes intéressées par l'activité proposée de gestion d'agence matrimoniale; que cette confusion obtenue par la remise de documents portant le nom d'Interconseil apparaissait également de nature à tromper la cocontractante quant à l'importance réelle du marché sur lequel le seul Groupe Carenton Affinités auquel la franchisée allait adhérer, était réellement implanté;
Attendu que l'article 1116 du code civil énonce que le dol est causé de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre part n'aurait pas contracté ; qu'en l'espèce ces omissions et ces confusions entretenues constituent autant de manœuvres au sens de l'article précité, les premières car obligé d'informer le franchiseur s'est montré réticent sur la situation réelle du réseau auquel il offrait l'entrée à la demoiselle Celton, qui si elle avait été connue de celle-ci l'aurait empêchée de contracter, et les secondes car il devait dispenser une information sincère sur des éléments aussi essentiels et déterminants du contrat quant à l'existence et l'indépendance du réseau d'agences matrimoniales que le dépôt d'une marque déposée régulièrement un an et demi plutôt ne garantissait pas nécessairement; que le contrat du 3 février 1993 doit en conséquence être déclaré nulet le jugement infirmé ;
II - Les effets de la nullité :
Attendu qu'il est de droit selon l'article 1304 du code civil que la nullité entraîne comme conséquence le rétablissement de la situation quo ante ; que la demoiselle Celton est ainsi fondée à obtenir de Carenton la restitution des sommes qu'elle lui a payées en exécution du contrat nul ; que ces sommes se chiffrent à 35 000,00 F selon la demande et correspondant au premier versement droit d'entrée dans le réseau et premières mensualités ; que cette somme porte intérêts au taux légal à compter de son versement le 3 février 1993 ; que ce rétablissement dans la situation antérieure conduit également à la réparation des pertes subies par l'appelante du fait de la mise en œuvre du contrat nul ; qu'il est démontré que malgré la participation du franchiseur aux frais de lancement la demoiselle Celton a été contrainte à certains frais inhérents à l'activité à laquelle elle se consacrait en vertu du contrat nul ; qu'elle invoque notamment certains frais de publicité qu'il appartenait au franchiseur d'effectuer et pour lesquels elle n'a pas obtenu l'engagement d'une prise en charge ; que sa demande de dommages et intérêts, en considération de ce que cette activité déficitaire a duré 10 mois et des redevances mensuelles effectivement payées, est ainsi fondée dans la limite de 35 000,00 F ;
Attendu que la demande au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile formulée par la demoiselle Celton apparaît fondée dans son principe, et dans son montant ;
Vu l'ordonnance du clôture du 16 janvier 1997,
Vu les articles 696 et 699 du Nouveau code de procédure civile,
Par ces motifs : LA COUR, reçoit l'appel ; Infirme le jugement entrepris ; Statuant à nouveau, Annule le contrat de franchise conclu le 3 février 1993 entre la demoiselle Celton et Carenton ; Condamne Carenton à payer à la demoiselle Celton 1°) la somme de 35 000,00 F assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 février 1993 jusqu'à parfait payement, 2°) la somme de 35 000,00 F, 3°) la somme de 10 000,00 F ; Condamne Carenton aux entiers dépens, de la procédure depuis ses premiers errements qui seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle.