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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 19 mars 1997, n° 1949-95

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Disques Office (SA)

Défendeur :

Disques Vogue (SA), BGM France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vigneron

Conseillers :

Mmes Jaubert, Percheron

Avoués :

SCP Duboscq-Pellerin, Fanet

Avocats :

Mes Granger-Apperce, Thomas.

T. com. Paris, du 9 nov. 1994

9 novembre 1994

La société Disques Office SA a, suivant déclarations remises au secrétariat-greffe les 29 novembre 1994 et 29 mars 1995 intimant respectivement la société Disques Vogue SA et la société BMG France SA, interjeté appel du jugement rendu le 9 novembre 1994 par le Tribunal de commerce de Paris qui a dit sa demande tendant à voir condamner la société Disques Vogue au paiement de dommages-intérêts pour brusque rupture de son contrat de distribution et inexécution de ses obligations contractuelles " mal fondée quant à présent " et l'en a déboutée aux motifs que dûment avisée des modifications intervenues dans la société Disques Vogue elle persistait à exercer à l'encontre de cette dernière une action qui ne pouvait être dirigée que contre la société BMG France, laissant à sa charge les dépens.

La société Disques Office prie la Cour, réformant cette décision, de condamner " conjointement et solidairement " les sociétés Disques Vogue et BMG à lui payer les sommes de :

- 150 000 F en réparation du préjudice subi du fait de la rupture, notifiée le 12 août 1992 pour le 31 décembre 1992, du contrat qui la liait à la société Disques Vogue depuis 1985 pour la distribution exclusive en Suisse des disques produits par cette dernière, ladite indemnité correspondant à un trimestre supplémentaire de préavis en appliquant le taux de marge brute de 38 % qui était le sien pour les années 1991/1992,

- 1 200 000 F en réparation du préjudice subi du fait de l'inexécution par Vogue de ses obligations contractuelles au cours du deuxième semestre 1992 caractérisée par des délais anormalement longs de livraison (7 semaines) et de réponse aux demandes d'information sur les nouveautés et les prix et des modifications unilatérales des prix, par diminution du taux de remise de 45 % à 30 %, à compter de novembre 1992, la somme réclamée correspondant à la marge brute sur un chiffre d'affaires du 2ème semestre 1992 reconstitué à partir des chiffres d'affaires réalisés dans des conditions normales,

- 500 000 F en réparation de l'atteinte à sa notoriété, entamée par son incapacité, du fait des agissements de Vogue, à garantir à ses partenaires une bonne distribution du catalogue,

- 50 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

En réponse aux intimés, la SA Disques Office soutient que son appel ne peut qu'être déclaré recevable dès lors que BMG France n'établit pas venir aux droits de la société Vogue, qui existe toujours en tant que personne morale, que les deux intimés ont constitué avocats sur son assignation et conclu en première instance, et qu'en application de l'article 561 du NCPC la Cour est saisie des questions soumises aux premiers juges mais non tranchées par eux.

Les sociétés Disques Vogue et BMG France demandent à la Cour de confirmer le jugement entrepris qui a dit mal fondée la demande de Disques Office, de dire en conséquence son appel irrecevable et, à titre subsidiaire, de la débouter de ses demandes, et de la condamner à payer à BMG France les sommes de 50 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Elles font valoir que la société BMG France, qui a acquis la société Disques Vogue en mai 1992, a défini une nouvelle politique commerciale la conduisant à résilier l'ensemble des contrats de distribution exclusive conclus par Disques Vogue dans chaque pays européen, que c'est en application de cette décision qu'elle a le 12 août 1992, par l'intermédiaire de Disques Vogue, résilié le contrat verbal et à durée indéterminée dont bénéficiait Disques Office par la Suisse, et que Disques Office aurait dû agir contre BMG France et non contre Disques Vogue.

A titre subsidiaire elles font valoir :

- sur la rupture du contrat de distribution qu'elle ne présentait aucun caractère abusif dès lors que le délai de 4 mois et demi laissé au distributeur (5 mois dans les faits) constituait un préavis raisonnable et en tout cas suffisant pour permettre à Disques Office, dont le chiffre d'affaires réalisé avec Vogue ne représentait qu'une partie marginale de son activité, de la réorienter,

- sur l'exécution des obligations contractuelles du producteur, que BMG France a satisfait à son obligation de livraison pendant toute la durée du préavis en respectant un délai variant de 1 à 4 jours entre la réception de la commande et l'émission de la facture, que Disques Office a été informée des nouveautés en catalogue quelle a commandée dans un délai très court à compter de leur mise en vente par BMG France, et que la modification du taux de remise s'imposait pour éviter l'accusation de pratiques discriminatoires dès lors que le taux consenti aux autres distributeurs était de 30 %,

- sur l'atteinte à la notoriété, que Disques Office ne rapporte pas la preuve du bien-fondé de ses allégations.

Sur ce, LA COUR :

Considérant qu'il n'est pas contesté que la société Disques Office s'est vu confier par la société Disques Vogue, suivant contrat verbal de 1985 confirmé par un courrier du 19 juin 1990, la qualité de distributeur exclusif pour la Suisse des disques Vogue ;

Considérant que par courrier du 12 août 1992 répondant à plusieurs courriers de Disques Office des 9 juin, 6 et 16 juillet et 3 août l'interrogeant sur l'avenir de cette distribution à la suite du " rachat du catalogue Vogue par BMG " la société Disques Vogue lui a indiqué que leur collaboration ne pourrait pas se poursuivre au-delà du 31 décembre suivant, date à laquelle elle ne serait plus en mesure d'honorer ses commandes de produits Vogue dès lors qu'à la suite de l'acquisition par BMG France de Disques Vogue SA il lui était apparu nécessaire, par souci de rationalisation, de confier la distribution des produits du catalogue de façon exclusive aux licenciés BMG ;

Considérant qu'aux griefs de l'appelante quant au caractère brutal de la rupture et à l'inexécution par le fournisseur de ses obligations contractuelles pendant la durée du préavis les sociétés intimées opposent à titre principal l'irrecevabilité de l'appel et subsidiairement l'absence de toute faute qui puisse leur être imputable ;

- Sur la recevabilité :

Considérant que les sociétés intimées demandent à la Cour de déclarer l'appel interjeté par Disques Office à l'encontre de Disques Vogue irrecevable comme conséquence de la confirmation de la décision des premiers juges qui ont expressément indiqué que BMG France vient aux droits de Disques Vogue concernant l'activité de distribution à l'exportation et invité Disques Office à diriger son action non contre Disques Vogue mais contre BMG France ;

Qu'il apparaît ainsi que la demande tend à voir déclarer irrecevable non pas l'appel de la société Disques Office mais son action en ce qu'elle est dirigée contre Disques Vogue ;

Considérant que les intimées ne justifient pas de ce que BMG France viendrait aux droits de Disques Vogue, qui n'a pas disparu après son " rachat " par BMG France en 1992 puisqu'il résulte de l'extrait Kbis du 4 décembre 1995 versé aux débats qu'à cette date elle était toujours immatriculée, et qu'elle avait d'ailleurs procédé à un transfert de siège social en mars 1993, soit près d'un an après l'absorption invoquée par BMG France ; que la lettre de rupture du 12 août 1992 émane non de BMG France mais de Disques Vogue et n'invite Disques Office à adresser ses commandes ultérieures à BMG France qu'" afin d'éviter toute désorganisation " ; que l'action de Disques Office à l'encontre de Disques Vogue est donc recevable ;

Considérant que la recevabilité de l'appel, à la supposer discutée, n'est pas contestable dès lors que les deux intimées ont comparu en première instance sur l'assignation délivrée à Disques Vogue, et que la décision entreprise a débouté la société Disques Office de sa demande, peu important la mention du jugement disant celle-ci " mal fondée " quant à présent " ;

- Sur le fond :

1°/ La durée du préavis :

Considérant que la société Disques Office fait grief à la société Disques Vogue d'avoir rompu leur collaboration très brusquement contrairement aux assurances qui lui avaient été données trois mois plus tôt en mettant à profit une période de vacances et soutient que le préavis de 4 mois qui lui a été accordé est nettement insuffisant par rapport d'une part à la durée des relations contractuelles, d'autre part aux efforts qu'elle avait consentis sur le répertoire Vogue, et notamment le catalogue Melodiya ;

Considérant que par son courrier du 12 août 1992 informant la société Disques Office de la fin de leurs accords à la date du 31 décembre suivant la société Disques Vogue a accordé à son cocontractant un délai de préavis de 4 mois et demi ; que le fait que ce courrier ait été reçu par Disques Office alors que son dirigeant était en congés n'est pas démonstratif d'une quelconque intention maligne de Disques Vogue, qui répondait par ce courrier aux interrogations formulées par son distributeur à plusieurs reprises depuis le mois de juin et notamment le 3 août ; qu'au contraire il résulte des pièces versées aux débats par la société Disques Office qu'elle a bénéficié de fait, d'un délai de 5 mois puisqu'elle a été livrée jusqu'au 13 janvier 1993et que contrairement à ce qu'elle soutient cette livraison de 300 CD ne portait pas seulement sur une commande du 17 décembre 1992 mais sur 3 commandes de 100 CD chacune, dont la dernière a été passée le 6 janvier 1993 ;

Considérant, s'agissant des efforts consentis sur le répertoire Vogue dont fait état Disques Office que les exemples de publicité et de promotion effectuées de 1987 à 1991 qu'elle verse aux débats, outre qu'ils ne sont pas propres au catalogue Vogue mais concernent l'ensemble des produits dont elle assure la distribution, ne revêtent pas un caractère extraordinaire mais relèvent d'une activité normale de distributeur soucieux d'assurer une diffusion le plus largement possible dans son intérêt ; qu'en ce qui concerne le catalogue Melodiya il résulte des propres pièces de la société Disques Office que la distribution lui en a été confiée en mars 1991 non par Disques Vogue mais par une société Melodiya European Corporation SA ;

Considérant que le respect d'un préavis a pour objet de permettre au distributeur de prendre ses dispositions afin de donner en temps utile une nouvelle orientation à ses activités; qu'en l'espèce le délai accordé à Disques Office apparaît raisonnable, après une collaboration de sept années, compte tenu du fait que le chiffre d'affaires qu'elle réalisait avec les produits du catalogue Vogue n'excédait pas 15 % de son chiffre total ainsi qu'il résulte des pièces comptables versées aux débats, la Cour observant que Disques Office ne peut imputer à Disques Vogue la chute de son chiffre d'affaires entre la période du 1er avril 1991 au 31 mars 1992 et la période correspondante de l'année suivante puisqu'il résulte de la note interne à ses salariés qu'elle produit qu'au 31 décembre 1992 elle s'était vu également retirer la distribution du catalogue Erato (pour lequel elle ne communique aucun élément) ;

2°/ L'exécution des obligations contractuelles :

Considérant que Disques Office invoque, à l'encontre de Disques Vogue et BMG France, diverses violations de leurs obligations contractuelles pendant la période de préavis, à savoir une suspension de toutes les livraisons pendant 7 semaines à compter de fin juin 1992 à l'exception d'une commande livrée le 29 juillet 1992 après rappel impératif et des délais de livraison trop longs, une annonce tardive par BMG France de la sortie des nouveautés et des délais anormalement longs de réponses à toutes les demandes d'information sur ces produits, et enfin une diminution unilatérale de sa remise de 45 % à 30 % à compter du 24 novembre 1992 ;

Considérant, s'agissant des délais de livraison, que les intimées versent aux débats l'intégralité des commandes, factures et bons de livraison pour la période du 24 juin 1992 au 13 janvier 1993, desquels il résulte qu'à l'exception d'une commande datée du 31 juillet 1992 (mais qui a fait l'objet de deux télex le 4 août 1992 et porte la mention " reçu le 13 août 1992 ") livrée le 18 août seulement, les commandes ont été honorées dans un délai normal, les retards observés à partir de la fin novembre 1992 étant expliqués par l'existence à cette époque d'un désaccord entre les parties sur le prix ; que Disques Office ne rapporte pas la preuve qu'elle aurait passé, à partir du 25 juin 1992 des commandes qui ne lui auraient pas été livrées ;

Considérant, en ce qui concerne la sortie des nouveautés, que Disques Office ne peut prétendre avoir été informée tardivement de la sortie des CD et K7 Jacques Lautier, Johnny Halliday, coffrets Jacques Dutronc et Aimable alors que pour le produit Lautier, mis en vente le 23 novembre 1992, elle a passé commande dès le 6 novembre 1992, et pour le produit Aimable, mis en vente le 7 décembre 1992, dès le 2 décembre ainsi qu'il résulte de son propre tableau ; qu'elle n'établit pas que le fait qu'elle n'ait commandé les produits Johnny Halliday et Jacques Dutronc que postérieurement à leur sortie en catalogue soit due à une ignorance de cette sortie, alors qu'à l'époque considérée elle était en désaccord avec son fournisseur sur le montant de la remise, étant observé s'agissant du coffret Dutronc mis en vente le 30 novembre 1992 qu'il a provoqué un échange de correspondances entre les parties dès le 17 novembre ;

Considérant enfin, s'agissant de la baisse du taux de remise de 45 % à 30 % à compter du 24 novembre 1992, que Disques Office ne produit ni accord-cadre sur ce point ni justification des conditions qui lui auraient été consenties antérieurement ; qu'à supposer qu'elle ait effectivement bénéficié du taux de remise de 45 % qu'elle invoque elle ne peut faire grief à BMG France de lui avoir appliqué le taux de 30 % qu'elle lui indiquait consentir à l'ensemble de ses distributeurs, faute d'établir qu'une telle application présenterait un caractère discriminatoire,

Considérant que la société Disques Office, qui n'établit pas la réalité des griefs qu'elle invoque, doit être déboutée de l'intégralité de ses demandes ;

Considérant que la société BMG France, qui ne démontre pas le caractère abusif de l'action engagée par Disques Office, doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts ;

Considérant que l'équité ne commande pas l'application à l'espèce des dispositions de l'article 700 du NCPC.

Par ces motifs : Déclare l'appel recevable, Réforme le jugement entrepris et, statuant à nouveau, Déclare recevable l'action engagée par la SA Disques Office contre la SA Disques Vogue, Déboute la SA Disques Office de ses demandes, Déboute la SA BMG France de sa demande reconventionnelle, Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du NCPC, Condamne la SA Disques Office aux dépens de première instance et d'appel, Accorde à la SCP Duboscq-Pellerin le bénéfice de l'article 699 du NCPC.