CA Paris, 5e ch. B, 20 mars 1997, n° 94-8364
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bidermann Europe (SA)
Défendeur :
Périmod (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leclercq
Conseillers :
M. Bouche, Mme Cabat
Avoués :
SCP Parmentier Hardouin Le Bousse, SCP Varin Petit
Avocats :
Mes Gollety, Laraize.
Par accord signé le 21 juillet 1988 la société Biderman Europe a consenti à la société Périmod la distribution exclusive à Troyes de ses stocks et fins de séries de vêtements pour homme griffés Yves Saint Laurent pour une durée de trois années à compter du 1er janvier 1989 " renouvelable par tacite reconduction, sous réserve que la société Périmod achète à Biderman Europe pour une somme de 750 000 F toutes taxes comprises minimum par saison... " ;
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 décembre 1991 la société Biderman Production a informé son distributeur qu'elle entendait " mettre fin à l'accord d'exclusivité souscrit le 21 juillet 1988... ". Les deux sociétés ont toutefois maintenu leurs relations commerciales sur des bases différentes : suppression de l'exclusivité territoriale, et modification des conditions préférentielles d'achat.
Assignée le 14 avril 1993 à la requête de la société Périmod en rupture abusive du contrat de distribution exclusive et en paiement d'1 000 000 F de provision sur des dommages-intérêts à évaluer à dire d'expert, la société Biderman Europe a été condamnée par jugement prononcé le 4 mars 1994 par le Tribunal de commerce de Paris à verser à la société Périmod une indemnité de 2 000 000 F en réparation du préjudice provoqué par la dénonciation brutale de la convention et 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Biderman Europe a relevé appel de ce jugement dont l'exécution provisoire exclue par le tribunal a fait à nouveau l'objet d'une nouvelle demande rejetée par ordonnance du conseiller de la mise en état du 7 juillet 1995.
Elle soutient qu'elle a légitimement refusé de renouveler l'accord de distribution la liant à la société Périmod et que cette convention s'est trouvée résiliée à son terme du 31 décembre 1991. Elle reproche aux premiers juges d'avoir statué au-delà des demandes dont ils étaient saisis en accordant à la société Périmod des dommages-intérêts d'un montant double de ceux réclamés même s'ils l'étaient à titre de provision en attente d'une expertise destinée à parfaire l'analyse de l'étendue des préjudices allégués.
Elle prétend qu'elle n'a commis aucune faute en dénonçant l'accord de distribution litigieux d'autant que la résiliation effective des minima imposés ne créait aucune obligation de renouvellement et qu'aucun préavis n'était prévu. Elle ajoute qu'aucun préjudice n'est démontré et que la poursuites des relations commerciales sur de nouvelles bases implique au contraire un accord des parties sur une résiliation de la convention d'origine :
La société Périmod soutient qu'elle a répondu à l'ensemble des conditions imposées par son fournisseur, et a procédé à d'importants investissements qui devaient inciter ce dernier à exécuter loyalement le contrat et à ne pas le dénoncer subitement au prétexte qu'aucun préavis n'était prévu ;
L'intimée conteste que le tribunal ait statué illicitement en lui allouant la somme de 2 000 000 F qui correspond au montant hors taxes des investissements effectivement réalisés. Elle souscrit à l'analyse que le jugement a faite, des fautes de la société Biderman et rappelle que ses ventes de produits Biderman représentaient 50 % de son activité de vente sur la zone de magasins d'usine de Troyes.
La société Périmod conclut en conséquence à la confirmation du jugement déféré et à la condamnation de l'appelante à lui payer 30 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Motifs de la Cour :
Considérant que les parties s'accordent pour considérer que l'accord de distribution exclusive les liant a été dénoncé expressément par la société Biderman le 18 décembre 1991 à effet du 31 décembre suivant, terme de la durée minima de trois années convenue ; que la continuation de relations commerciales pendant toute l'année 1992 et le début de l'année 1993 ne peut s'interpréter comme un renouvellement du contrat initial dès lors qu'il n'est pas contesté que les conditions en étaient sensiblement différentes.
Que la société Biderman a constamment soutenu, en particulier dans une lettre du 5 février 1993 que " notre correspondance a sans doute continué après la dénonciation des accords anciens, mais sur des bases différentes...La tacite reconduction ne se préjuge pas d'autant que ces accords ont fait l'objet d'une dénonciation expresse " ;
Qu'il est en effet constant que la société Périmod n'a plus bénéficié à partir de 1992 de l'exclusivité convenue et que les conditions tarifaires qui lui étaient appliquées ont été modifiées et les quotas d'achats parallèlement assouplis ; qu'en poursuivant avec la société Biderman des relations commerciales intenses sur des bases aussi foncièrement différentes, elle a accepté la résiliation des conditions contractuelles initiales de distribution exclusive ; qu'elle ne peut revendiquer leur renouvellement pour trois ans ;
Considérant cependant que l'absence de stipulation d'un préavis de dénonciation n'exonère pas le fournisseur de son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat ; que la société Biderman ne pouvait laisser la société Périmod réaliser dans leur intérêt commun des investissements importants sur le site de Troyes où la concurrence est vive, sans l'informer plusieurs mois avant l'échéance de décembre 1991 de son intention de lui retirer l'exclusivité concédée afin de permettre à son distributeur qui n'avait certes aucun droit acquis au renouvellement quelles que fussent ses performances d'achat, de rechercher d'autres fournisseurs;
Que la société Biderman n'a toutefois pas mis fin à l'approvisionnement de la société Périmod dont le chiffre d'affaires réalisé avec elle n'a pas faibli en 1992 malgré les conditions moins favorables de ses achats et surtout malgré la perte de son exclusivité et l'implantation de points de vente concurrents vendant les produits des même marques sur la zone ;
Considérant en conséquence que la dénonciation quelque peu brutale du contrat de distribution a été suivie en réalité d'une phase intermédiaire d'approvisionnement qui a permis à la société Périmod de poursuivre son activité et de procéder à une reconversion progressive rendue nécessaire par la fragilisation de ses approvisionnements;
Que le comportement de la société Biderman après dénonciation interdit à la société Périmod de lui reprocher une quelconque déloyauté; que l'appelante doit être relevée des condamnations prononcées à son encontre par le tribunal qui ne se justifieraient que si l'absence du préavis auquel une exécution de bonne foi lui donnait droit, avait engendré un préjudice que les constatations opérées excluent ;
Considérant qu'il n'est pas inéquitable que l'appelante conserve toutefois la charge des frais irrépétibles qu'elle a exposés pour assurer sa défense devant le tribunal et pour soutenir son appel ;
Par ces motifs : Infirmant le jugement du 4 mars 1994, Relève la société Biderman Europe de toute condamnation, La déboute de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Périmod aux dépens de première instance et d'appel, Admet la société civile professionnelle Parmentier Hardouin Le Bousse, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.