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Décisions

CA Lyon, 3e ch., 28 mars 1997, n° 95-08760

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Uni-Inter (SA)

Défendeur :

Tissier

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Karsenty

Conseillers :

M. Durand, Mme Robert

Avoués :

SCP Aguiraud, SCP Junillon-Wicky

Avocats :

Mes Beck, Piot-Mouny.

TGI Lyon, du 30 nov. 1995

30 novembre 1995

FAITS PROCEDURE PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Désireux de créer une nouvelle activité après la cession de son portefeuille d'assurances M. Daniel Tissier est entré en contact courant avril 1991 avec la société de courtage matrimonial Uni Inter implantée à Lyon en vue de l'ouverture d'une agence à Orléans ;

Après une première rencontre intervenue le 16-05-1991 au cours de laquelle la société Uni Inter a remis aux époux Tissier divers documents d'information ainsi qu'un exemplaire du contrat de franchise destiné à régir leurs relations, les parties ont tenu une seconde réunion le 12-09-1991 à l'issue de laquelle la société Uni Inter, après avoir régularisé un contrat de réservation daté du 19-08-1991 accompagné de la remise par M. Tissier d'un acompte de 50 000 F également antidaté, a signé le contrat définitif de franchise avec celui-ci qui a procédé au règlement de la somme totale de 251 000 F correspondant à son droit d'entrée dans le réseau, à la constitution d'une caution de garantie, et au paiement de diverses prestations d'aide à l'installation et au démarrage de son agence ;

Après quelques mois d'exploitation déficitaire M. Daniel Tissier a cessé son activité et saisi par acte du 01-04-1994 le Tribunal de Grande Instance de Lyon d'une action tendant à la résolution du contrat de franchise pour dol et à la condamnation de la société Uni Inter à lui restituer les sommes encaissées par elle soit 301 000 F majorée des intérêts légaux capitalisés par année échue, ainsi qu'une indemnité de 161 404 F en réparation des pertes d'exploitation qu'il a subies, et une indemnité de 50 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

Contestant le bien fondé de cette action la société Uni Inter, se prévalant de la rupture anticipée du contrat par M. Tissier, a formé une demande reconventionnelle tendant à l'indemnisation de son préjudice et au paiement de factures non réglées ;

Par jugement en date du 30-11-1995 le tribunal, considérant que la société Uni Inter avait enfreint par deux fois les dispositions de l'article 1 de la loi du 31-12-1989 relative au respect du double délai de 20 jours exigé d'une part entre la transmission des informations précontractuelles et le versement d'un acompte et d'autre part entre la signature du contrat de réservation avec remise d'acompte et la signature du contrat définitif, a prononcé la résolution de celui-ci comme ayant été signé dans des conditions illégales, a ordonné en conséquence à la société défenderesse de restituer à M. Tissier les sommes qu'elle avait encaissées, majorés des intérêts légaux courus à compter du 12-09-1991 sans capitalisation et d'une indemnité de procédure de 10 000 F, mais a débouté celui-ci de sa demande en dommages et intérêts comme non fondée ;

La société Uni Inter a relevé appel de ce jugement et déposé des conclusions de réformation aux termes desquelles elle soutient :

- que les allégations de la partie adverse selon lesquelles elle n'aurait pas respecté les dispositions de la loi du 31-12-1989 quant à l'obligation d'information précontractuelle incombant au franchiseur et au respect des délais de réflexion et de dédit de 20 jours ne sont manifestement pas fondées dès lors d'une part qu'elle justifie avoir transmis l'intégralité des documents d'information visés par la loi lors de la réunion du 16-05-1991, soit près de quatre mois avant la date de signature du contrat, que d'autre part lors de cette première réunion elle a renoncé à percevoir un acompte pour se conformer au décret d'application de la loi précitée qui venait d'entrer en vigueur, et enfin que l'erreur qu'elle a commise en antidatant le contrat de réservation ainsi que le premier versement est inopérante dans la mesure où elle porte sur des formalités ne revêtant aucun caractère obligatoire ;

- que le demandeur n'est pas davantage fondé à contester la qualité de l'information qui lui a été transmise notamment quant aux potentialités de développement de l'agence dans la mesure où une véritable étude de marché est difficilement réalisable dans le domaine du courtage matrimonial et qu'il appartenait à M. Tissier de recueillir des éléments d'information complémentaires durant le délai de réflexion dont il a bénéficié ;

- qu'en toute hypothèse elle démontre que les difficultés rencontrées par M. Tissier résulte de ses seules carences à mettre en œuvre les moyens propres à lancer son activité et non pas de la tromperie dont il prétend avoir été victime de sa part ;

Elle demande donc à la Cour de le débouter de son action en résolution et de faire droit à sa demande reconventionnelle tendant d'une part à l'indemnisation du préjudice que lui a causé la résiliation anticipée du contrat par ce dernier et qu'elle évalue à 642 899 F et d'autre part au paiement de la somme de 24 076,36 F au titre de factures impayées, outre une indemnité de procédure de 20 000 F ;

M. Daniel Tissier, contestant le bien fondé de cet appel, soutient à l'appui de ses prétentions tendant à voir confirmer le jugement sauf en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses demandes :

- que son consentement a été vicié par les manœuvres dolosives de la société Uni Inter ayant consisté, après avoir tenté de lui extorquer le versement d'un acompte de 50 000 F dès la première entrevue, au mépris du délai de 20 jours requis par la loi, a antidaté le contrat de réservation qu'elle lui a fait signer le 12-09-1992 en même temps que le contrat définitif, ainsi que le versement de l'acompte de 50 000 F et ce dans le but de détourner les prescriptions légales accordant dans cette hypothèse au souscripteur un délai de dédit de 20 jours ;

- qu'il a en outre été trompé sur la rentabilité potentielle de l'agence qu'il allait créer par suite du non respect par la société Uni Inter de l'obligation d'information précontractuelle que la loi met à la charge du franchiseur et qui lui imposait la remise d'une étude de marché sérieuse ainsi que la présentation d'un compte de résultat prévisionnel ;

- que ces manœuvres de la société Uni Inter, destinées à le contraindre à signer le contrat, ont vicié son consentement et l'ont privé de toute faculté de rétraction dans le délai prévu par la loi ;

Il demande donc à la cour de débouter la société Uni Inter de son appel et de faire droit à la demande en dommages et intérêts qu'il avait formée en première instance dès lors que les pertes financières occasionnées par la gestion déficitaire de l'agence qu'il a créée sont la conséquence directe et exclusive des manœuvres dolosives dont a usées la société Uni Inter à son égard, ainsi que d'ordonner la capitalisation des intérêts courus sur les sommes encaissées par celle-ci et de porter à 50 000 F le montant de l'indemnité de procédure fixée par le tribunal ;

Sur quoi, LA COUR,

Attendu que prétendant avoir été victime d'un dol de la part de la société Uni Inter, il appartient à M. Daniel Tissier de rapporter la preuve que celle-ci a usé de manœuvres dolosives sans lesquelles il n'aurait pas contracté ;

Qu'à cet égard il prétend qu'elle n'aurait pas respecté les dispositions de la loi du 31-12-1989 lui faisant obligation de l'informer sur les données du marché et les perspectives de développement de l'exploitation donnée en franchise, et qu'elle l'aurait en outre volontairement privé du délai de réflexion et dédit accordé par cette même loi au souscripteur potentiel avant qu'il s'engage définitivement ;

Mais attendu que ce dernier moyen doit être écarté comme inopérant dès lors que s'il est avéré que la société Uni Inter, en lui faisant signer un contrat de réservation accompagné de la remise d'un acompte le jour même de la signature du contrat définitif, l'a privé de la faculté de dédit visée au 3° alinéa de l'article 1 de la loi précitée, et qu'en antidatant ces pièces pour masquer l'infraction à la loi ainsi commise, elle a bien agi de façon délibérée, il n'est pas fondé à soutenir que ces manœuvres auraient vicié son consentement dès lors qu'il ne justifie pas avoir entendu user de cette faculté de dédit dans les 20 jours de la signature du contrat ;

Attendu sur le second moyen que l'article 1 de la loi du 31-12-1989 fait obligation au franchiseur, " préalablement à la signature du contrat, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères qui lui permette de s'engager en connaissance de cause " ;

Qu'aux termes de l'article 1 du décret pris le 04-04-1991 en application de cette loi qui énumère les informations devant figurer dans le dit document, le franchiseur doit compléter l'information relative au réseau d'exploitants et à l'expérience professionnelle acquise par le franchiseur, par " la présentation de l'état général et local du marché des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché " ;

Qu'en l'espèce si la société Uni Inter justifie avoir satisfait aux exigences formelles de la loi en transmettant à M. Tissier, dès leur première entrevue le 19-05-1991, les documents d'information visés par cet article, M. Tissier est bien fondé à soutenir qu'en se bornant à lui communiquer le nombre approximatif de " célibataires, veufs, divorcés " existant sur le secteur d'activité concédé, sans lui fournir d'éléments plus précis sur la composition de cette clientèle potentielle de développement, la société Uni Inter a méconnu les termes et l'esprit de la loi, et que cette réticence dolosive, en le privant de la possibilité d'apprécier le potentiel de rentabilité de l'entreprise et de déterminer les moyens à mettre en œuvre pour assurer son développement, a vicié son consentement;

Qu'il s'en suit que conclu sur la foi d'une information précontractuelle quasi-inexistante à cet égard le contrat doit être annulé pour dol et la société Uni Inter tenue de restituer à M. Tissier les sommes qu'elle a encaissées, majorées des intérêts légaux courus à compter de l'assignation et dont il est de droit fondé à solliciter la capitalisation par application de l'article 1154 du code civil;

Que par ces motifs, substitués à ceux adoptés par le tribunal, le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat pour dol ;

Attendu sur la demande en dommages et intérêts que si la réticence d'information dont la société Uni Inter a fait preuve envers M. Tissier a vicié son consentement en ne lui permettant pas de s'engager en connaissance de cause, il ne démontre pas que cette faute, dont il aurait pu pallier les effets en procédant lui-même à une étude approfondie des données du marché, ait été la cause directe et exclusive des pertes d'exploitation que son activité a générées ;

Que c'est donc à juste titre que le tribunal a rejeté comme non fondée la demande d'indemnisation formulée à ce titre ;

Attendu que l'équité commande que la société Uni Inter qui succombe l'indemnise en revanche des nouveaux frais de procédure qu'elle l'a contraint à exposer et qu'il convient d'évaluer à 5 000 F ;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris ; Y ajoutant, Ordonna la capitalisation, par année entière à compter de l'assignation, des intérêts échues sur les sommes dues par la société appelante ; Condamne la société Uni Inter à verser à M. Daniel Tissier une nouvelle indemnité de 5 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne l'appelante aux dépens avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Junillon et Wicky avoués.