CA Colmar, 1re ch. civ. A, 6 mai 1997, n° 9605002
COLMAR
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Brasseries Kronenbourg (SA)
Défendeur :
Centre Ouest Boissons SCOB (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gueudet
Conseillers :
Mmes Bertrand, Schneider
Avocats :
Mes Cahn, associés, Debré, Nico, Laviolette-Slanka.
Depuis 1957, la SCOB entrepositaire grossiste de boissons dans les Deux Sèvres, distribue les bières Kronenbourg dans la façade atlantique, de Lorient à Bordeaux ;
Par acte sous seing privé du 6 décembre 1995, la SA Kronenbourg a consenti à la SCOB un " contrat de distribution sélective de bières en fûts ", prévoyant notamment (article 2 alinéa 6) que " le distributeur s'engage à ne vendre les bières en fûts qu'à des distributeurs agréés par Kronenbourg et à des détaillants disposant d'une installation de tirage de la bière en fûts et ne revendant eux-mêmes la bière qu'à des consommateurs finaux, le distributeur s'engageant par ailleurs à tenir à la disposition de Kronenbourg toutes les factures correspondant à ses ventes de bières en fûts visées à l'annexe 2 " :
Soutenant que la bière en fûts Kronenbourg était distribuée dans l'Ouest de la France par des revendeurs non agréés ou ne disposant pas de l'installation de tirage adéquate, la SA Kronenbourg a enjoint à la SCOB de lui remettre la copie de ses factures de revente de bières en fûts Kronenbourg, la SCOB ne s'étant pas exécutée, la SA Kronenbourg a procédé à la résiliation du contrat par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 juillet 1996, et a cessé d'approvisionner la SCOB à compter du 1er août 1996 ;
Par acte du 21 août 1996, la société Centre Ouest Boissons dite SCOB, a fait assigner la SA Kronenbourg devant le Président du Tribunal de grande instance de Strasbourg, statuant en matière de référés commerciaux pour l'entendre condamner à lui livrer les commandes de fûts de bières des 2 et 5 août 1996 avec enlèvements fixés au 7 et 8 août et toutes autres commandes qui viendraient à être passées, sous astreinte de 1 000 F par fût et par jour de retard, ainsi qu'à lui payer la somme de 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Au soutien de sa demande, la SCOB a contesté avoir manqué à ses obligations contractuelles et fait valoir que la clause prévue à l'article 2 alinéa 5 du contrat avait pour finalité de stériliser toute concurrence et de permettre à la SA Kronenbourg de détourner sa clientèle à son profit ;
La SA Kronenbourg a soulevé l'incompétence du juge des référés au profit du juge du fond, d'ores et déjà saisi et s'est prévalue du comportement fautif de la SCOB, l'autorisant à résilier le contrat, conformément à son article 17 ;
Par ordonnance en date du 10 septembre 1996, relevant que " la présentation des factures par le distributeur ne peut avoir lieu qu'à la suite d'une demande motivée...alors que l'affirmation de distribution illicite n'est étayée par aucune pièce... ", et que " Kronenbourg qui a utilisé la liste des clients ... pour démarcher certains clients, utilise une clause nécessaire à l'étanchéité du réseau dans des conditions anormales... ", le juge des référés a considéré que le refus de vente était illicite et a condamné la SA Kronenbourg à livrer les commandes de la SCOB des 2 et 5 août 1996 dans les 8 jours de la signification de l'ordonnance, sous astreinte provisoire de 10 000 F par jour de retard, et à payer à la SCOB un montant de 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
La SA Kronenbourg a interjeté appel de cette ordonnance le 25 septembre 1996 ;
L'appelante demande à la cour :
A titre principal de :
- dire et constater que SCOB n'a pas respecté les obligations mises à sa charge par l'article 2 alinéa 5 du contrat de distribution sélective signé le 6 décembre 1995 ;
- en conséquence déclarer licite la résiliation de la convention en application de son article 17 ;
- débouter la SCOB de ses prétentions ;
A titre subsidiaire de :
- dire et juger que l'ensemble des griefs avancés par la SCOB et retenus par le Tribunal de grande instance de Strasbourg dans son ordonnance de référé sont inopérants et mal fondés ;
- en conséquence, déclarer licites les refus de vente opposés par la SA Kronenbourg aux commandes de la SCOB à partir du 1er août 1996 ;
- réserver tous droits de la SA Kronenbourg à dommages-intérêts en relations avec l'exécution provisoire de l'ordonnance du 10 septembre 1996 ;
- condamner l'intimée en tous frais et dépens des deux instances,
- condamner l'intimée au paiement d'une somme de 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
L'appelante soutient que la clause de résiliation de plein droit a été mise en œuvre conformément aux conditions du contrat, après avoir délivré plusieurs sommations interpellatives à la SCOB les 13 juin, 25 juin et 16 juillet 1996 et lui avoir accordé un délai de plus de 6 semaines pour se conformer à l'article 2 du contrat ;
Elle explique que la clause lui permettant de veiller à l'étanchéité du réseau de distribution sélective est essentielle et que, devant le refus réitéré de la SCOB de se conformer aux obligations du contrat, elle a régulièrement mis en œuvre la clause de résiliation de plein droit, par lettre recommandée du 26 juillet 1996 avec effet au 1er août 1996 ;
Elle fait valoir qu'à raison de la résiliation, la SCOB n'appartenait plus au réseau de distribution sélective, et n'était plus en droit d'exiger la livraison des bières en fûts, juridiquement indisponibles pour elle ;
Elle estime que le premier juge a, à tort, considéré que la présentation des factures par le distributeur ne pouvait avoir lieu qu'à la suite d'une demande motivée ; qu'en effet, selon l'article 2 du contrat seule la demande de transmission des factures d'achat par le distributeur doit être motivée alors qu'une telle exigence n'est pas prévue pour les reventes de bières en fûts ;
Que la demande de transmission formulée à l'égard de la SCOB ne portant que sur les reventes de bières en fûts, celle-ci n'avait pas à être motivée ;
Elle relève que cette demande a pour finalité de déterminer si la SCOB a ou non approvisionné des détaillants non agréés, et que sa mise en œuvre ne saurait être subordonnée à la démonstration préalable de la faute du distributeur ;
Elle considère qu'en exigeant la preuve d'une telle faute de la SCOB, le premier juge a rajouté aux clauses claires et précises du contrat, une obligation qui n'y figurait pas ; qu'indépendamment de toute preuve de livraison à des détaillants non agréés, la SCOB a méconnu ses obligations contractuelles en ne lui permettant pas d'exercer son contrôle sur les factures de revente des bières en fûts ;
Elle estime qu'à réception de la liste des clients communiquée le 20 février 1996, elle n'était nullement tenue de lui transmettre, en retour, une liste de clients auxquels elle pouvait revendre les bières en fûts ;
Elle conteste les allégations de la SCOB selon lesquelles elle aurait utilisé cette liste pour démarcher ses clients, allégations qui ne reposent que sur des déclarations d'un employé de la SCOB et ajoute que de telles affirmations sont sans incidence sur le présent litige ;
Concluant au rejet de l'appel, la SCOB demande à la Cour de :
- dire que les dispositions de l'article 2 du contrat du 6 décembre 1995 invoquées par la SA Kronenbourg font l'objet d'une demande au fond soumise au Tribunal de grande instance de Strasbourg ;
- dire qu'il n'est pas rapporté par SA Kronenbourg la preuve d'une violation ou d'une inexécution par SCOB de ses obligations au sens de l'alinéa 5 de l'article 2 du contrat ;
- dire que les délais de l'article 17 du contrat sont de ce fait inopérants et que les conditions de résiliation fixées par cet article n'apparaissent en tout état de cause pas réunies ;
- dire que la résiliation ne saurait être opposée par la SA Kronenbourg ;
- dire qu'il est en revanche incontestable que SA Kronenbourg a refusé la vente à la SCOB des commandes passées par celle-ci ;
- dire que la SA Kronenbourg ne saurait prétendre faire déclarer licites les refus de vente opposés par elle aux commandes de la SCOB à partir du 1er août 1996 ni faire réserver par la cour tous droits à dommages-intérêts en relation avec l'exécution provisoire de l'ordonnance,
- confirmer l'ordonnance entreprise,
- débouter SA Kronenbourg de ses demandes en principal et accessoires,
- condamner SA Kronenbourg à payer à la SCOB la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- condamner SA Kronenbourg en tous les dépens d'instance et d'appel ;
La SCOB soutient que le dessein poursuivi par la SA Kronenbourg est de l'éliminer de la concurrence, eu égard à son dynamisme commercial susceptible de contrecarrer les pratiques anticoncurrentielles de la brasserie ;
Elle relève que pour justifier de son refus de vente, la SA Kronenbourg a prétendu que la SCOB avait fourni de la bière en fûts à des revendeurs non agréés, alors que l'appelante ne lui a jamais fourni aucune liste de revendeurs agréés ou non ;
Elle souligne qu'en possession de la liste des clients de la SCOB, la SA Kronenbourg a incité ces clients à s'approvisionner directement auprès de ses propres entrepôts en attirant leur attention quant au caractère incertain des livraisons par la SCOB ;
Que dans ces conditions, sommée le 25 juin 1996 d'avoir à produire sur le champ l'ensemble des factures de revente de bière avec menace d'interrompre les livraisons, elle s'en est tenue strictement aux termes de l'article 2 alinéa 5 du contrat selon lequel " le distributeur s'engage à tenir à la disposition de SA Kronenbourg toutes les factures correspondant à ses ventes de bières en fûts " ; qu'elle a respecté cette obligation en tenant ses factures à dispositions de la SA Kronenbourg qui avait tout loisir de les consulter ;
Elle fait observer que de surcroît les délais prévus par l'article 17 du contrat n'ont pas été respectés ;
Elle affirme qu'il ressort des dispositions de l'article 2 alinéas 4 et 5, que la SA Kronenbourg doit justifier de son intérêt à demander que les factures soient tenues à sa disposition ;
Elle ajoute qu'au demeurant elle a saisi le Tribunal de grande instance de Strasbourg d'une demande tendant à voir annuler la clause n° 2 du contrat, demande à laquelle la SA Kronenbourg tente de faire échec en concluant à la licéité de la résiliation du contrat ;
Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées aux débats et les écrits des parties auxquels il est référé pour plus ample exposé de leurs moyens et arguments ;
Attendu que la demande de la SCOB devant le juge des référés se fondait sur " le dommage imminent et le trouble illicite engendrés par le refus de vente de SA Kronenbourg " ;
Que cette demande, se référait ainsi aux dispositions de l'article 809 du nouveau Code de procédure civile prévoyant que : " Le Président peut toujours, même en l'absence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;
Attendu que le trouble illicite invoqué est constitué par le refus opposé par la SA Kronenbourg d'honorer les commandes des bières en fûts passées par la SCOB les 2 et 5 août 1996, dans le cadre du contrat de distribution sélective conclu entre les parties ;
Attendu que pour justifier de ce refus de vente, la SA Kronenbourg se prévaut de la résiliation de plein droit du contrat, dont elle a pris acte par courrier du 26 juillet 1996 avec effet au 1er août 1996, du fait de l'infraction commise par la SCOB aux obligations nées de l'article 2 alinéa 5 du contrat prévoyant que " le distributeur s'engage à ne vendre les bières qu'à des distributeurs agréés par SA Kronenbourg et à des détaillants disposant d'une installation de tirage de la bière en fûts, et en ne revendant eux-mêmes la bière qu'à des consommateurs finaux. Le distributeur s'engage à tenir à la disposition de SA Kronenbourg toutes les factures correspondant à ses ventes de bières en fûts visées à l'annexe 2 " ;
Attendu que le grief formulé à l'encontre de la SCOB consiste non pas à avoir procédé à des reventes de bières en fûts auprès de détaillants non agréés, mais à avoir refusé de transmettre à la SA Kronenbourg les factures relatives à ses ventes de bières en fûts ;
Qu'un doute sérieux existe cependant sur le point de savoir si " l'engagement de tenir ses factures à dispositions de SA Kronenbourg " constitue une obligation autonome ou si elle ne s'inscrit que dans l'hypothèse de la revente à un distributeur ou détaillant non agréé ;
Que suivant cette dernière interprétation, la demande relative aux factures de reventes devrait nécessairement être motivée (en se référant à une distribution illicite) tout comme l'exigent les dispositions de l'alinéa 4 du même article 2, à propos des factures d'achat ;
Qu'en l'absence de tout élément de preuve justifiant les soupçons exprimés par la SA Kronenbourg, un doute existe également quant à l'application de bonne foi par l'appelante des dispositions de l'article 2 alinéa 5 pour exiger la transmission des factures de revente de la SCOB auprès de ses clients ;
Qu'enfin, un doute existe quant au bien fondé de l'interprétation extensive par la SA Kronenbourg de l'expression " tenir à disposition les factures " qu'elle analyse comme signifiant " communiquer les factures " ;
Que ces contestations sérieuses sur la légitimité de la résiliation du contrat et du refus d'honorer les commandes passées justifient que soient prises des mesures conservatoires ou de remise en état afin de faire cesser le trouble manifestement illicite que constituent ces refus de vente ;
Que par voie de conséquence il y a lieu de confirmer l'ordonnance entreprise ;
Attendu qu'il paraît inéquitable de laisser à la charge de l'intimée les frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Qu'il y a lieu de lui allouer la somme de 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi, Déclare l'appel recevable, Le dit mal fondé, Confirme l'ordonnance déférée, Condamne l'appelante à payer à l'intimée la somme de 5 000 F (cinq mille francs) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne l'appelante aux dépens d'appel.