Livv
Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 16 mai 1997, n° 96-19787

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Melisana (SARL)

Défendeur :

Coty France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

M. Ancel, Mme Regniez

Avoués :

SCP Gaultier Kistner, SCP Bernabe Ricard

Avocats :

Mes Bremond, Klein.

T. com. Paris, ch. vacc., du 21 août 199…

21 août 1996

LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Melisana d'un jugement rendu le 21 août 1996 par le Tribunal de commerce de Paris dans un litige l'opposant à la société Coty France, anciennement Astor France.

Référence étant faite au jugement entrepris et aux écritures échangées en cause d'appel pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il suffit de rappeler les éléments qui suivent.

Melisana, ayant entrepris de fabriquer et commercialiser des produits cosmétiques sous la marque Dermophil, en a confié la distribution dans le réseau des magasins " Grandes et moyennes surfaces - Grands magasins - Magasins populaires " à Astor (devenue Coty) aux termes d'un contrat de distribution signé le 3 octobre 1991, visant trois produits et comportant une clause d'exclusivité réciproque.

Ce contrat initial est renouvelable au 31 décembre 1997 sauf paiement par Melisana d'une indemnité de résiliation de 20 % calculée sur le chiffre d'affaires hors taxes facturé à la clientèle au cours des douze derniers mois.

Des avenants concernant des produits nouvellement créés ont été conclus entre les parties, le 22 septembre 1992, le 15 novembre 1993 et le 30 septembre 1994. Ces avenants, qui arrivaient à échéance le 31 décembre 1995, n'ont pas été renouvelés par Melisana qui a avisé Coty de ce qu'elle reprendrait début 1996 la commercialisation des produits concernés.

Par acte du 25 avril 1996, Coty a fait assigner à bref délai Melisana devant le Tribunal de commerce de Paris, soutenant que celle-ci n'était pas en droit de commercialiser certains des produits ci-dessus mentionnés, concurrents de ceux visés au contrat initial, et lui reprochant d'avoir commis des actes de concurrence déloyale et de dénigrement en répandant dans le milieu de la distribution des informations inexactes selon lesquelles elle aurait repris l'ensemble de la commercialisation des produits Dermophil. Elle demandait au tribunal :

- d'interdire sous astreinte toute commercialisation des produits litigieux,

- de désigner un expert ayant mission de déterminer les quantités de ces produits vendus par Melisana et de fournir des éléments d'appréciation de son préjudice de ce chef,

- de condamner Melisana à lui payer la somme de 200 000 F à titre de dommages intérêts au titre de la concurrence déloyale,

- d'ordonner des mesures de publication.

Melisana soutenant n'avoir commis aucune faute, et en particulier n'avoir violé aucune obligation d'exclusivité, a conclu au débouté.

C'est dans ces circonstances qu'est intervenu le jugement entrepris qui a :

- dit que Melisana s'était rendue coupable d'actes de concurrence déloyale,

- fait interdiction à Melisana sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée de commercialiser des sticks pour les lèvres et des crèmes pour les mains de marque Dermophil,

- désigné un huissier constatant ayant essentiellement mission de déterminer les quantités de produits litigieux vendus par Melisana,

- condamné Melisana au paiement d'une indemnité provisionnelle de 75 000 F et d'une indemnité de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- ordonné trois mesures de publication aux frais de Melisana dans la limite d'un coût de 25 000 F HT par publication.

Ayant interjeté appel, Melisana, reprenant son argumentation initiale, poursuit la réformation intégrale du jugement et demande que Coty soit déboutée de toutes ses prétentions. Elle avait réclamé dans ses premières écritures devant la cour que soit prononcée aux torts de Coty la résolution du contrat du 3 octobre 1991, mais elle s'est ensuite désistée de cette demande. Elle sollicite une indemnité de 30 000 F pour ses frais irrépétibles.

Coty qui conclut à la confirmation, prie en outre la cour :

- de juger qu'elle bénéficie également d'une exclusivité pour une crème " mains et ongles " dont la commercialisation a été reprise par Melisana,

- de condamner son adversaire à lui payer une somme de 500 000 F en réparation du préjudice qu'elle lui a causé en refusant de lui livrer ce produit,

- de la condamner à lui payer une indemnité de 200 000 F pour concurrence déloyale accompagnée d'actes de dénigrement.

Sur ce, LA COUR :

Considérant que le litige se rapporte à l'interprétation des conventions liant les parties : le contrat de distribution du 3 octobre 1991 visant trois produits, deux sticks lèvres et une crème mains, et les avenants conclus postérieurement concernant deux autres sticks lèvres, des produits solaires, des crèmes et lotions pour le visage et le corps ;

Considérant que Coty ne conteste pas qu'à l'expiration des avenants, le 31 décembre 1995, Melisana était en droit de poursuivre elle-même la distribution des produits n'appartenant pas aux " gammes " couvertes par le contrat initial (les produits solaires, et les crèmes ou lotions pour le visage ou le corps) mais elle soutient que son adversaire ne pouvait, sans violer l'exclusivité qu'elle lui avait consentie par le contrat initial, en vigueur jusqu'au 31 décembre 1997, reprendre la commercialisation de sticks lèvres et de crèmes pour les mains, similaires aux produits visés dans ce contrat ;

Considérant que Melisana prétend au contraire que l'exclusivité prévue par le contrat du 3 octobre 1991 ne se rapporte qu'aux trois produits expressément visés par celui-ci et qu'elle est en conséquence libre de commercialiser tous autres sticks pour les lèvres et toutes autres crèmes pour les mains ; qu'elle fait valoir :

- qu'il est de principe que les clauses d'exclusivité sont d'interprétation stricte,

- que son distributeur ayant accepté une clause d'exclusivité se rapportant à trois produits bien définis (stick lèvres, stick extrême écran total protection 20, et crème mains) ne peut s'offusquer de ce qu'elle distribue d'autres produits du même genre mais ayant d'autres fonctions (stick lèvres solaire haute protection IP 12, crème " soin intégral, mains ongles ") et qui ne peuvent en conséquence être considérés comme similaires,

- qu'Astor a elle-même admis la dichotomie de distribution entre les produits qu'elle prétend aujourd'hui similaires puisqu'elle a accepté qu'ils ne soient distribués par elle que dans le cadre d'avenants soumis à des conditions de durée inférieure à celles du contrat initial ;

Mais considérant que la circonstance que Coty ait accepté de ne recevoir la distribution des nouveaux produits de Melisana que pour une période de trois ans expirant le 31 décembre 1995 n'implique pas qu'elle aurait pour autant renoncé à bénéficier, pour ceux de ces produits qui étaient similaires aux sticks lèvres et à la crème mains visés au contrat initial, de l'exclusivité convenue jusqu'au terme de ce contrat, le 31 décembre 1997 ; que l'avenant n° 1 conclu entre les parties rappelle d'ailleurs en préambule que " Astor ... entend distribuer les nouveaux produits ainsi qu'indiqué au contrat du 3 octobre 1991, savoir tous les sticks lèvres et crèmes mains avec une réciprocité d'exclusivité ... " ;

Considérant que la clause d'exclusivité convenue au contrat du 3 octobre 1991 est ainsi rédigée :

" Article 3 - Exclusivité :

3.1 Le distributeur bénéficiera du droit de vendre de façon exclusive les produits du concédant ...

3.2 Le distributeur s'engage en contrepartie à ne pas distribuer de produits concurrents du stick lèvres et de la crème mains sur le territoire et dans les magasins prévus ci-avant, pendant la durée d'exécution du présent contrat.

3.3 L'exclusivité réciproque que se consentent le concédant et le distributeur, exclusivité limitée pour ce dernier aux produits du paragraphe 3.2 constitue réciproquement la condition exclusive et déterminante du présent contrat. " ;

Qu'il convient de relever qu'en vertu de " l'exclusivité réciproque ", " condition exclusive et déterminante du contrat ", les parties s'étaient clairement engagées l'une et l'autre à " ne pas distribuer de produits concurrents du stick lèvres et de la crème mains sur les territoires et dans les magasins prévus ";

Considérant que si les produits précédemment mentionnés dont Melisana a prétendu reprendre la distribution ne sont pas identiques à ceux visés au contrat initial, ils leur sont en revanche similaires, ou en sont et tout cas concurrents, s'agissant pareillement de sticks pour les lèvres et de crème pour les mains, au delà de leurs différences de présentation (couleurs ou nuances des conditionnements) et de composition (présence d'additifs supplémentaires, notamment filtres UVB UVA, vitamines, etc ...) ;

Considérant qu'en décider autrement reviendrait à vider de son sens la clause d'exclusivité stipulée au contrat du 3 octobre 1991compte tenu notamment des pratiques d'intense segmentation du marché qui ont notoirement cours dans le domaine des cosmétiques ; qu'en effet admettre que le stick lèvres junior ou le stick lèvres solaire qui ont été visés aux avenants 1 et 3 seraient des produits non similaires ou non concurrents du stick lèvres et du stick extrême écran total protection 20 du contrat initial, permettrait à chacune des parties de contourner la clause d'exclusivité en différenciant artificiellement ses produits et en adoptant, pour des cosmétiques ayant fondamentalement le même usage, des dénominations de fantaisie, mettant en avant des caractéristiques secondaires ;

Considérant que pour l'ensemble des motifs qui précèdent, tirés des conventions entre les parties, et substitués à ceux des premiers juges qui ont retenu à tort, à cet égard, la concurrence déloyale, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a fait interdiction à Melisana de poursuivre la commercialisation de sticks pour les lèvres et de crèmes pour les mains de marque Dermophil, de même qu'en ce qu'il a prescrit une mesure d'instruction sur l'évaluation du préjudice éprouvé par Coty et alloué à celle-ci une indemnité provisionnelle de 75 000 F ;

Considérant que Coty prie la cour de dire, par ajout au jugement, que Melisana devait lui laisser jusqu'à l'expiration du contrat du 3 octobre 1991 la distribution d'une crème " mains et ongles " qui sans avoir été expressément visée dans ce contrat ou dans ses avenants, avait été " intégrée aux objectifs du contrat de base " aux termes de courriers des 18 août 1992 et 13 avril 1995 ; qu'en réparation du préjudice résultant des refus de livraison qui lui auraient été opposés par Melisana, elle réclame une somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Mais considérant qu'ainsi que le relève l'appelante, le fait que par commodité, sans que cela donne lieu à un accord écrit, l'objectif de vente de la crème " mains et ongles " avait été intégrée à d'autres objectifs de vente ne fonde pas Coty à prétendre qu'elle serait en droit de conserver la distribution de ce produit (même si, par ailleurs, l'exclusivité que lui doit Melisana par application du contrat du 3 octobre 1991, empêche celle-ci de reprendre la commercialisation dudit produit) ; que Coty sera déboutée des demandes ci-dessus mentionnées ;

Considérant que Coty sera également déboutée de sa demande tendant à voir condamner Melisana à lui payer la somme de 200 000 F à titre de dommages intérêts à raison d'actes de concurrence déloyale qu'elle lui reproche et qui auraient consisté à la dénigrer en diffusant dans le secteur de la distribution des informations erronées selon lesquelles elle aurait repris l'ensemble de la commercialisation des produits Dermophil ; qu'en effet la lettre circulaire de Melisana versée aux débats, qui indique que celle-ci reprend la commercialisation de la marque Dermophil énonce précisément les produits concernés et mentionne que " les autres produits de la marque restent actuellement sous la responsabilité de la société Astor " ; que cette lettre ne contient donc pas d'allégations dénigrantes, constitutives de concurrence déloyale et de nature à justifier l'allocation des dommages intérêts sollicités par Coty ;

Considérant que l'importance des mesures de publication ordonnées par les premiers juges apparaît excessive eu égard aux circonstances de l'espèce ; que par réformation du jugement de ce chef, Coty sera autorise à faire procéder à des mesures de publication dan la limite d'un coût global de 30 000 F ;

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a dit que la société Melisana avait commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Coty France et du chef des mesures de publication ; Réformant de ces chefs statuant de nouveau et ajoutant : Dit que les publications autorisées par les premiers juges devront faire mention du présent arrêt et que leur coût à la charge de la société Melisana sera limité à la somme de 30 000 F ; Rejette toute autre demande, Condamne la société Melisana aux dépens d'appel, Admet la SCP Bernabe Ricard au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.