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Décisions

CA Paris, 1re ch. D, 21 mai 1997, n° 97-02877

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Filtertechniek Nederland BV 5071 (Sté)

Défendeur :

Hoff

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

(faisant fonctions) : Mme Cahen-Fouque

Conseillers :

M. Linden, Mme Boitaud

Avocats :

Mes Gantelme, Hery, Connor.

T. com. Créteil, 2e ch., du 21 janv. 199…

21 janvier 1997

M. Hoff a été engagé le 1er janvier 1988 par la société de droit néerlandais Filtertechniek Nederland BV (ci-après FN) en qualité d'agent commercial pour la représentation exclusive de cette société auprès des sociétés de vente par correspondance, des grossistes en accessoire et pièces d'appareils ménagers et des fabricants de hottes aspirantes en France.

Invoquant la violation par la société FN de la clause d'exclusivité et la réduction unilatérale du taux de ses commissions, M. Hoff a assigné celle-ci devant le tribunal de commerce de Créteil en paiement :

- de la somme de 300 000 F à titre d'indemnité de préavis ;

- de la somme de 919 334 F à titre d'indemnité de clientèle ;

- de la somme de 500 000 F à titre de " dommages-intérêts supplémentaires " pour rupture abusive et déloyale du contrat.

La société FN ayant soulevé une exception d'incompétence au profit du Kantonrechter de Tilburg (Pays-Bas), le tribunal saisi a, par jugement du 21 janvier 1997, retenu sa compétence en considérant pour l'essentiel que " l'origine de la procédure porte sur le non-respect, prétendu par M. Hoff, d'un contrat de représentation exclusif en France, auprès de sociétés et d'une clientèle exerçant en France ".

La société FN a formé contredit en soutenant que les obligations servant de base aux demandes, au sens de l'article 5-1 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, étaient des obligations de paiement, devant s'exécuter, en application de l'article 1247 du code civil, au lieu de son siège, aux Pays-Bas.

Elle ajoute que la demande principale, relative à l'indemnité de clientèle, concerne une obligation autonome, le droit à indemnité résultant du seul fait de la cessation du contrat.

M. Hoff conclut à la confirmation du jugement et sollicite une somme de 15 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive, ainsi que 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Il soutient que les obligations servant de base à ses demandes, lesquelles tendent à la réparation du préjudice résultant de la violation par la société FN de la clause d'exclusivité, sont toutes localisées en France, et que l'obligation principale, relative à l'indemnité de clientèle, n'a pas un caractère autonome, cette indemnité étant destinée à réparer le préjudice subi du fait de la rupture du contrat.

M. Hoff sollicite l'évocation du litige.

Motivation :

La société FN, défenderesse, étant domiciliée aux Pays-Bas, la juridiction compétente doit être déterminée au regard des dispositions de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968.

Selon la Cour de justice des Communautés européennes (arrêt Arcado SPRC du 8 mars 1988), un litige relatif à la rupture abusive d'un contrat d'agence commerciale autonome est un litige en matière contractuelle au sens de l'article 5-1 de cette Convention.

En vertu de ce texte, le défendeur domicilié sur le territoire d'un État contractant peut être attrait, dans un autre État contractant, en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée.

Ce lieu se détermine conformément à la loi qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie.

Selon la règle de conflit de loi française, applicable en l'absence de référence à une loi étrangère, le contrat conclu entre les parties est régi par la loi française.

Conformément à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, l'obligation à prendre en considération est celle correspondant au droit contractuel sur lequel se fonde l'action du demandeur ; dans le cas où le demandeur fait valoir son droit découlant du contrat et dont l'inexécution est invoquée pour justifier de telles demandes ; en ce qui concerne les actions en paiement d'indemnités compensatoires, il appartient à la juridiction nationale de vérifier si, d'après le droit applicable au contrat, il s'agit d'une obligation contractuelle autonome ou d'une obligation remplaçant l'obligation contractuelle inexécutée.

En présence de plusieurs demandes, il convient de rechercher quelle est l'obligation litigieuse principale.

En l'espèce, celle-ci concerne la demande d'indemnité de clientèle, dont le montant est nettement supérieur à celui des dommages-intérêts, qualifiés de " supplémentaires ".

En droit français (article 12 de la loi du 25 juin 1991, relative aux rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants), la dette d'indemnité de clientèle est une obligation autonome ; en effet, cette obligation, indépendante du caractère licite ou non de la rupture, ne se substitue pas à une obligation contractuelle originaire qui aurait été transgressée.

En application de l'article 1247 du code civil, l'obligation de paiement de l'indemnité de clientèle doit s'exécuter au lieu du domicile du débiteur, soit en l'espèce aux Pays-Bas.

C'est donc à tort que les premiers juges ont retenu leur compétence pour statuer sur cette demande .

Le tribunal saisi de plusieurs demandes demeure compétent pour statuer sur une obligation litigieuse secondaire devant s'exécuter dans son ressort même s'il ne l'est pas sur l'obligation litigieuse principale .

En effet, la compétence de la juridiction saisie pour statuer sur une demande ne saurait être affectée par l'existence d'une autre demande relevant de la compétence d'une juridiction étrangère ; au demeurant, la personne qui engage une procédure a toujours la faculté de limiter le nombre de ses demandes.

L'obligation de paiement d'une indemnité de préavis se substitue à celle de respecter la durée du préavis, laquelle devait s'exécuter en France.

Le Tribunal de commerce de Créteil est donc compétent pour statuer sur la demande de ce chef.

La demande en dommages-intérêts tendant à la réparation du dommage résultant de la rupture abusive du contrat, l'obligation litigieuse est celle qu'avait la société FN de respecter celui-ci en ne commettant pas d'abus dans la cessation des relations contractuelles.

Cette obligation devant s'exécuter en France, le Tribunal de commerce de Créteil est compétent pour connaître de cette demande.

Le contredit formé par la société FN étant partiellement fondé, il ne peut présenter un caractère abusif, de sorte que la demande en dommages-intérêts formée de ce chef par M. Hoff sera rejetée.

Il ne convient pas de priver la société FN du bénéfice du double degré de juridiction ; M. Hoff sera donc débouté de sa demande d'évocation.

Il n'y a pas lieu en la cause à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par ces motifs, Déclare le contredit partiellement fondé ; Dit que le Tribunal de commerce de Créteil n'est pas compétent pour statuer sur la demande en paiement d'indemnité de clientèle formée par M. Hoff ; Renvoie sur ce point les parties à mieux se pourvoir ; Rejette pour le surplus le contredit ; Déboute M. Hoff de sa demande d'évocation ; Renvoie en conséquence les parties devant le Tribunal de commerce de Créteil pour qu'il soit statué sur les demandes en paiement d'indemnité de préavis et de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat d'agence commerciale ; Déboute M. Hoff de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Met les frais du contredit à la charge de M. Hoff.