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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 23 mai 1997, n° 95-25636

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Niel

Défendeur :

Honda France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rognon

Conseillers :

Mme Cabat, M. Betch

Avoués :

SCP Roblin Chaix de Lavarene, SCP Gaultier-Kistner

Avocats :

Mes Fourgoux, Soustiel.

T. com. Paris, 8e ch., du 27 sept. 1995

27 septembre 1995

M. Niel a été lié à la SA Honda France par une succession de contrats à durée déterminée non renouvelables par tacite reconduction et ayant pour objet une concession multimarques de deux roues à moteur pour une zone située dans le département du Calvados. Celui signé le 8 janvier 1991 et devant se terminer le 31 décembre 1991 a été résilié, le 27 septembre 1991 par la SA Honda avec un préavis de trois mois, résiliation que M. Niel a dénoncée comme abusive.

Sur le litige ainsi né entre les parties, le Tribunal de Commerce de Paris a, par jugement du 27 septembre 1995, rejeté l'intégralité de ses demandes et l'a condamné à payer, à la SA Honda France, les sommes de 50.000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et 15.000 F en application des dispositions de l'article 700 du NCPC.

M. Niel a interjeté de cette décision un appel au soutien duquel il fait valoir :

Qu'en choisissant un nouveau concessionnaire sans appliquer des critères objectifs de sélection puisque celui-ci ne présente pas une installation et des atouts commerciaux aussi propices que ceux qu'il lui offrait, la SA Honda a remis en cause la licéité de son réseau et s'est livrée à des pratiques discriminatoires exclusives de l'application du règlement d'exemption 1983-83,

Que le contrat de concession signé n'a pas fait l'objet d'une décision individuelle d'exemption de sorte que la SA Honda France ne peut se prévaloir des clauses qui y sont incluses,

Que pour sa conclusion, les dispositions de la loi du 31 décembre 1989 prévoyant une information précontractuelle obligatoire n'ont pas été respectées,

Il ajoute que le comportement abusif de la SA Honda France et son défaut de loyauté sont caractérisés par le refus de prise en compte par celle-ci de l'ancienneté de leurs relations, l'insuffisance du délai de préavis donnant à sa décision de non-renouvellement du contrat le caractère d'une brusque rupture ainsi que par les motifs fallacieux et injustifiés avancés par cette société pour motiver sa résiliation.

M. Niel conclut à l'inopposabilité des stipulations du contrat de concession faute de respect par le concédant des dispositions de la loi du 31 décembre 1989, à la non conformité de ce contrat aux dispositions de l'article 85-1 du traité de Rome, à l'impossibilité de le voir bénéficier d'une exemption. Il demande le constat de la nullité ou de l'inopposabilité de la clause de retrait d'exclusivité qui y est insérée, et excipe du comportement abusif de la SA Honda France pour demander sa condamnation au paiement des sommes de 1.700.000 F à titre de dommages-intérêts compensateurs du préjudice causé et 15.000 F en application des dispositions de l'article 700 du NCPC.

La SA Honda France lui objecte que s'agissant d'un contrat à durée déterminée elle n'était pas tenue à justifier d'un motif pour le résilier à son échéance. Elle rappelle la faiblesse des performances commerciales réalisées par M. Niel comparées à celles de distributeurs voisins et la chute constante du nombre de ses ventes constatées durant les dernières années pour rejeter toute idée de discrimination dont il aurait été victime ou d'une éviction organisée dont il aurait fait l'objet. Elle ajoute qu'ayant adopté un réseau de distribution sélective et exclusive en 1993, soit postérieurement à la résiliation du contrat qui l'avait liée à l'appelant, l'argumentation développée par celui-ci sur l'absence d'une exemption individuelle ou catégorielle devient inopérante. Elle fait valoir, en outre, que la Commission des Communautés Européennes a reconnu que le contrat de distribution alors établi pouvait bénéficier de l'exemption par catégorie prévue par le règlement 1983-83 de sorte que M. Niel ne peut valablement exciper de l'illicéité du réseau qu'il dénonce pas davantage qu'il ne peut invoquer un défaut de respect des dispositions de la loi du 31 décembre 1989 puisqu'il a été un concessionnaire multimarques et que cette loi n'a vocation à s'appliquer qu'aux concessionnaires tenus envers le concédant par un engagement d'exclusivité ou de quasi exclusivité. Elle fait valoir que le délai de préavis de trois mois prévu pour la résiliation d'un contrat à durée déterminée est suffisant ce alors surtout qu'il ne s'agissait pas d'un contrat de distribution exclusive et qu'elle a loyalement exposé à M. Niel, ce qu'elle n'était pourtant pas tenue de faire, les raisons de son refus de renouvellement qui n'a donc constitué en rien un abus de droit.

La SA Honda France conclut au rejet des demandes formulées à son encontre par M. Niel, demande l'attribution d'une somme portée à 100.000 F pour appel abusif ainsi que celle de 365.000 F au titre d'une clause pénale dont le montant serait exigible du fait de l'utilisation persistante par M. Niel de l'enseigne qu'il avait l'obligation contractuelle de déposer à la cessation du contrat. Enfin, elle lui réclame 50.000 F en application des dispositions de l'article 700 du NCPC.

Cela exposé

Considérant qu'il ressort de la lecture même du contrat de concession multimarques querellé que celui-ci a été conclu pour une durée déterminée d'un an ; que la SA Honda France était donc en droit de le résilier sans avoir à justifier des motifs de cette résiliation en respectant, ce qu'en l'espèce elle a fait, le délai de préavis de trois mois convenu entre les parties ;

Considérant que la SA Honda France justifie par les pièces qu'elle met aux débats que son réseau de distribution exclusive et sélective mis en place à compter de 1993 peut bénéficier, selon la Commission des Communautés Européennes, de l'exemption par catégories prévue par le règlement 1983-83 (Dictionnaire du Marché Commun) ;

Considérant que pour ces motifs l'argumentation développée par M. Niel au titre d'un défaut de justification d'une exemption individuelle et du bénéfice de l'exemption catégorielle devient inopérante ;

Considérant que si M. Niel soutient encore que le contrat conclu avec la SA Honda France l'a été sans respect des dispositions de la loi du 31 décembre 1989, force est de constater que les dispositions de cette loi ne trouvent application (article 1er) que lorsque le concédant exige du concessionnaire un engagement d'exclusivité ou de quasi exclusivité ce qui n'a pas été le cas, en l'espèce, dès lors que M. Niel a été un agent multimarques précisant même lors de la signature du contrat aujourd'hui discuté qu'il restait " concessionnaire Yamaha " et " agent Peugeot ";

Considérant que l'argumentation sur ce point de M. Niel est donc à rejeter ;

Considérant que M. Niel invoque aussi une absence de critères objectifs de sélection par la SA Honda France caractérisant une pratique discriminatoire et un comportement abusif ou déloyal de celle-ci ; qu'il ressort des pièces produites et contradictoirement discutées par les parties que les reventes Honda opérées par M. Niel ont chuté de moitié en quelques années tandis que celles réalisées par des établissements voisins connaissaient, durant la même période, des progressions sensibles ;

Considérant qu'il apparaît aussi que cet état de fait trouve au moins partiellement sa cause dans la faible surface de l'établissement de M. Niel et l'affectation de celle-ci par l'exploitant à la distribution de diverses marques de cycles et motocyclettes tandis que celle offerte par son successeur comme concessionnaire Honda est sensiblement plus grande avec tous les avantages pour la diffusion des véhicules de la marque que cette différence de surface apporte ;

Considérant que pour ces motifs l'argumentation développée sur ces points par M. Niel est également à rejeter ;

Considérant que M. Niel invoque le caractère trop faible de la durée de préavis ; qu'il a déjà été relevé que M. Niel était toujours resté concessionnaire ou agent multimarques;

Considérant qu'il a, tenant à conserver cet état, accepté d'être lié par des contrats à durée déterminée dont le délai de préavis lui était connu et dont les effets ne pouvaient pas lui échapper ; que dans ces conditions, il ne démontre ni le caractère trop bref du délai de préavis de trois mois pour un contrat conclu pour une durée d'un an, ni l'abus de droit commis par la SA Honda France qu'il allègue; qu'il y a donc lieu, pour ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, de rejeter l'intégralité des demandes qu'il présente à l'encontre de celle-ci ;

Considérant qu'au soutien de sa demande de condamnation de M. Niel au paiement du montant d'une clause pénale exigible à la suite du maintien par celui-ci, sur la devanture de son établissement, de l'enseigne ou d'inscriptions de la marque, la SA Honda France ne produit, pour démontrer la transgression par M. Niel de son obligation, que des pièces ou demandes sur ce point émanant d'elle-même et donc insusceptibles d'établir le caractère effectif ou persistant de la faute qu'elle lui impute à ce titre ; que cette demande doit donc être rejetée ;

Considérant qu'il n'est pas démontré que M. Niel a fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice ; que l'équité ne dicte pas l'attribution d'une somme à l'une ou l'autre des parties au titre des frais irrépétibles de première instance ou pour ceux d'appel ;

Par ces motifs : LA COUR ; Déclare recevable l'appel de M. Niel, Confirme la décision déférée en ce qu'elle a rejeté l'intégralité des demandes présentées par M. Niel à l'encontre de la SA Honda France, L'infirme sur les condamnations prononcées au titre d'une procédure abusive et en application des dispositions de l'article 700 du NCPC. Dit n'y avoir lieu à condamnation à paiement de somme à ces titres, Rejette toutes demandes autres ou contraires aux motifs, Condamne M. Niel au paiement des dépens de première instance et d'appel avec admission, pour ces derniers, de l'avoué concerné au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.