CJCE, 6e ch., 5 juin 1997, n° C-41/96
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
VAG-Händlerbeirat (eV)
Défendeur :
Syd-Consult
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Mancini
Avocat général :
M. Tesauro
Juges :
Murray, Hirsch, Ragnemalm, Schintgen (rapporteur)
Avocats :
Mes Kunath, Bechtold, Loseries, Fedder
LA COUR
(sixième chambre),
1. Par ordonnance du 4 octobre 1995, parvenue à la Cour le 13 février 1996, le Landgericht Hamburg a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle relative à l'étanchéité d'un système de distribution sélective, bénéficiant d'une exemption au titre du règlement (CEE) n° 123-85 de la Commission, du 12 décembre 1984, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles (JO 1985, L. 15, p 16), comme condition de son opposabilité aux tiers.
2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'une action en concurrence déloyale intentée par VAG-Haendlerbeirat eV (ci-après "VAG"), qui est l'association allemande des concessionnaires agréés par Volkswagen AG (ci-après "VW"), à l'encontre de la société SYD-Consult.
3. A l'intérieur de l'Union européenne, VW distribue, exclusivement par l'intermédiaire de concessionnaires agréés qui traitent directement avec les consommateurs finals, les véhicules automobiles qu'elle fabrique. Les contrats de distribution souscrits par ces concessionnaires disposent, notamment, qu'il leur est interdit de vendre des véhicules neufs à des revendeurs qui ne sont pas liés à VW par un contrat de distribution.
4. Bien que n'étant pas liée par un tel contrat, SYD-Consult vend en Allemagne des véhicules neufs de la marque VW qui sont achetés en Italie auprès de concessionnaires agréés et réimportés en Allemagne. Comme les prix de vente pratiqués en Italie sont nettement inférieurs à ceux pratiqués en Allemagne, SYD-Consult est en mesure d'offrir les véhicules à ses clients allemands à des prix inférieurs à ceux pratiqués par les concessionnaires agréés allemands.
5. A l'appui de l'action en concurrence déloyale qu'elle a intentée devant le Landgericht Hamburg afin de faire cesser les activités de SYD-Consult, VAG a invoqué le fait que, à l'intérieur de l'Union européenne, VW a constitué un système de distribution sélective exempté en vertu du règlement n° 123-85 et que SYD-Consult s'est procuré des voitures neuves relevant dudit système en profitant d'une rupture de contrat de concessionnaires italiens, acquérant ainsi un avantage concurrentiel injustifié, condamnable au titre de l'article 1er du Gesetz gegen den unlauteren Wettbewerb (loi allemande sur la concurrence déloyale, ci-après l' " UWG ").
6. Devant la juridiction nationale, SYD-Consult a objecté principalement que le système de distribution sélective de VW n'est pas étanche de sorte que, conformément à la jurisprudence allemande en la matière, les conditions d'une violation de l'article 1er de l'UWG ne seraient pas réunies. Il résulte de l'ordonnance de renvoi que, en vertu de cette jurisprudence, l'acquisition et la vente, par des tiers étrangers à un système de distribution sélective, de marchandises relevant d'un tel système ne constituent une infraction à l'article 1er de l'UWG que lorsque le système est lui-même juridiquement valide et étanche en théorie et en pratique.
7. VAG a rétorqué que l'arrêt de la Cour du 13 janvier 1994, Cartier (C-376-92, Rec. p. I-15), a établi l'incompatibilité de cette jurisprudence allemande avec le droit communautaire et que, dès lors, le principe de l'application pleine et uniforme du droit communautaire s'oppose à ce que l'étanchéité du système de distribution sélective puisse conditionner la mise en cause d'un tiers, même dans le droit allemand de la concurrence déloyale.
8. Considérant que la solution du litige pendant devant lui dépendait de l'interprétation de cet arrêt et de son applicabilité aux faits de l'espèce, le Landgericht Hamburg a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
" Eu égard à l'arrêt rendu par la Cour de justice le 13 janvier 1994 dans l'affaire C-376-92 Metro-SB-Maerkte GmbH & Co KG/Cartier SA, une application du droit national allemand est-elle compatible avec le droit communautaire, et en particulier avec le principe de l'application pleine et uniforme du droit communautaire, lorsqu'elle se caractérise comme suit :
Les tiers, qui en dehors d'un système de distribution sélective exempté par un règlement d'exemption par catégories adopté par la Commission des Communautés européennes en dérogeant à l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité CEE, achètent des produits relevant de ce système, ne peuvent être mis en cause en vue de mettre fin à la distribution des produits relevant du système de distribution sélective que si - outre les autres conditions de l'article 1er du Gesetz gegen den unlauteren Wettbewerb (UWG) - le système de distribution sélective est étanche la réponse sera-t-elle différente selon que le système de distribution sélective n'est étanche qu'en théorie ou bien en théorie et en pratique ? ".
9. Par cette question, la juridiction de renvoi demande en substance si les dispositions de l'article 85, paragraphe 3, du traité et celles du règlement n° 123-85 doivent être interprétées en ce sens qu'elles font obstacle à l'application d'une jurisprudence nationale en matière de concurrence déloyale selon laquelle un système de distribution sélective, même exempté conformément à ces dispositions, n'est opposable aux tiers que s'il est étanche.
10. En vue de répondre à cette question, il y a lieu de préciser, en premier lieu, qu'il résulte de l'ordonnance de renvoi que la jurisprudence allemande invoquée par VAG a été développée dans le contexte de litiges dans lesquels les producteurs d'une marchandise demandaient aux distributeurs agréés le respect de leurs engagements contractuels et repose sur l'idée que l'on ne peut exiger d'un distributeur agréé le respect de ses engagements que si le système de distribution sélective est étanche dans chacun de ses éléments, sous peine de le placer dans une situation concurrentielle déloyale par rapport à des tiers.
11. Selon cette jurisprudence, un système de distribution sélective ne lie donc les parties et ne peut être opposé aux tiers que s'il est absolument étanche, auquel cas le tiers qui a réussi à se procurer des produits relevant du système est présumé avoir profité d'une rupture de contrat par un distributeur agréé.
12. En deuxième lieu, il convient de rappeler que, dans l'arrêt Cartier, précité, point 28, la Cour a constaté que l'étanchéité d'un système de distribution sélective n'est pas une condition de sa validité au regard du droit communautaire. Cette constatation est notamment fondée sur la considération que, pour porter un jugement sur la légalité d'un accord au regard de l'article 85 du traité, il n'est pas nécessaire de vérifier si les conditions sont remplies pour que cet accord puisse être opposé à des tiers par le jeu d'une action en concurrence déloyale (point 24).
13. Il en découle qu'un système de distribution sélective, qui n'est pas étanche et qui ne peut donc pas, en vertu d'une jurisprudence nationale en matière de concurrence déloyale, être opposé aux tiers, peut être valide au regard de l'article 85, paragraphe 1, du traité.
14. Dès lors, il ne saurait être déduit de l'arrêt Cartier, précité, qu'une jurisprudence nationale en matière de concurrence déloyale, en vertu de laquelle un système de distribution sélective qui n'est pas étanche n'est pas opposable aux tiers, est incompatible avec les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité.
15. En troisième lieu, il importe d'observer que ce qui est vrai pour les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité, doit l'être, à plus forte raison, pour les dispositions de l'article 85, paragraphe 3, du traité ou celles d'un règlement de la Commission concernant l'application de cette disposition du traité à des catégories d'accords et de pratiques concertées, tel que le règlement n° 123-85.
16. En effet, comme la Cour l'a encore rappelé dans les arrêts du 15 février 1996, Grand garage albigeois et autres (C-226-94, Rec. p. I-651, point 15), et Nissan France et autres (C-309-94, Rec. p. I-677, point 15), le règlement n° 123-85, en tant que règlement d'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité, n'établit pas de prescriptions contraignantes affectant directement la validité ou le contenu de clauses contractuelles ou obligeant les parties contractantes à adapter le contenu de leur contrat, mais se limite à donner aux opérateurs économiques du secteur des véhicules automobiles certaines possibilités leur permettant, malgré la présence de certains types de clauses d'exclusivité et de non-concurrence, dans leurs accords de distribution et de service de vente et d'après-vente, de faire échapper ceux-ci à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1.
17. Il résulte par ailleurs de ces deux arrêts (point 20) que le règlement n° 123-85 ne saurait être interprété comme interdisant à un opérateur étranger au réseau officiel de distribution d'une marque automobile déterminée et qui n'a pas la qualité d'intermédiaire mandaté, au sens de l'article 3, point 11, du règlement, de se procurer des véhicules neufs de cette marque par la voie d'importations parallèles et d'exercer l'activité indépendante de commercialisation de ces véhicules(voir, en ce sens, en dernier lieu, arrêt du 20 février 1997, Fontaine et autres, C-128-95, non encore publié au Recueil, point 17).
18. Enfin, comme la Cour l'a encore relevé dans l'arrêt Fontaine et autres, précité, points 13 et 16, le règlement n° 123-85, conformément à la fonction qui lui est assignée dans le cadre de l'application de l'article 85 du traité, ne concerne que les rapports contractuels entre les fournisseurs et leurs distributeurs agréés, en fixant les conditions auxquelles certains accords qui les lient sont licites au regard des règles de concurrence du traité, et ne saurait affecter les droits et obligations des tiers par rapport aux contrats conclus entre les constructeurs automobiles et leurs concessionnaires, et notamment ceux des négociants indépendants.
19. Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question préjudicielle que ni les dispositions de l'article 85, paragraphe 3, du traité ni celles du règlement n° 123-85 ne doivent être interprétées en ce sens qu'elles font obstacle à l'application d'une jurisprudence nationale en matière de concurrence déloyale selon laquelle un système de distribution sélective, même exempté conformément à ces dispositions, n'est opposable aux tiers que s'il est étanche.
Sur les dépens
20. Les frais exposés par le gouvernement français et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
(sixième chambre),
statuant sur la question à elle soumise par le Landgericht Hamburg, par ordonnance du 4 octobre 1995, dit pour droit :
Ni les dispositions de l'article 85, paragraphe 3, du traité CE ni celles du règlement (CEE) n° 123-85 de la Commission, du 12 décembre 1984, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles, ne doivent être interprétées en ce sens qu'elles font obstacle à l'application d'une jurisprudence nationale en matière de concurrence déloyale selon laquelle un système de distribution sélective, même exempté conformément à ces dispositions, n'est opposable aux tiers que s'il est étanche.