CA Paris, 5e ch. B, 18 juin 1997, n° 27439-95
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Briand (ès qual.)
Défendeur :
Alain Manoukian (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vigneron
Conseillers :
Mmes Jaubert, Percheron
Avoués :
Me Cordeau, SCP Bourdais Virenque
Avocats :
Mes Bensoussen, Gast.
Aux termes d'un contrat conclu le 29 mai 1991 la société Nouvelle d'Exploitation La Sweaterie (ci-après la Sweaterie) a concédé à la société Mireille Esthétique une franchise lui conférant le droit d'exploiter sur la ville du Mans et ses alentours et sous l'enseigne " La petite sweaterie " un système de distribution spécialisé dans la vente de vêtements et accessoires destinés aux bébés de 0 à 24 mois portant la griffe " baby sweat " ainsi qu'aux enfants de 4 à 10 ans revêtus de la griffe " O'Kid ".
Par un document signé le 6.4.1992 par les deux parties ces dernières ont mis fin d'un commun accord au contrat les liant, chacune d'entre elle se réservant " expressément de faire valoir ses droits ".
Par jugement du 6.9.1993 Le Tribunal de Commerce du Mans a prononcé la liquidation judiciaire de la société Mireille Esthétique.
Estimant que le contrat qu'elle avait conclu le 29.5.1991 était frappé de nullité, la société Mireille Esthétique a par acte du 26.5.1992 assigné la société La Sweaterie devant le Tribunal de commerce de Paris qui par jugement du 19.9.1995 a :
- donné acte à Maître Briand de son intervention en qualité de liquidation judiciaire de la société Mireille Esthétique
- condamné la société Nouvelle la Sweaterie à payer à Maître Briand ès qualités les sommes de 11.356,82 F au titre de la publicité, 100.000 F au titre de restitution de marges et de 200.000 F à titre de dommages et intérêts,
- condamné Maître Briand ès qualités à payer à la société Nouvelle Sweaterie la somme de 122.288,94 F au titre de marchandises impayées,
- ordonné la compensation judiciaire de ces deux sommes :
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la société Nouvelle la Sweaterie à payer à Maître Briand ès qualités la somme de 20.000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Au soutient de l'appel qu'il a ès qualités interjeté de cette décision Maître Briand fait valoir que :
- l'accord du 6.4.1992 qui concerne uniquement les modalités de cessation des relations entre les parties ne s'oppose pas à une action en justice, celles-ci ayant expressément réservé la possibilité de demander réparation du préjudice subi,
- la nullité du contrat dont il se prévaut est fondé 1°) sur le non-respect de la loi du 31.12.1989 et du décret du 4.4.1991, le franchisé n'ayant pas fourni au futur franchisé l'ensemble des informations devant permettre à ce dernier de s'engager en toute connaissance de cause 2°) sur le dol les renseignements communiqués étant incomplets et le compte d'exploitation prévisionnel étant de surcroît mensonger et n'ayant pas été élaboré à partir d'éléments vérifiables ce qui constitue une manœuvre dolosive également une carence permettant de remettre en cause le savoir-faire qui aurait du être transmis (ce d'autant qu'à la date de la signature de celui-ci le franchiseur n'était propriétaire d'aucun point d'exploitation sous l'enseigne la Petite Sweaterie) 3°) sur l'absence de cause aucun des trois éléments prévus dans le règlement d'exemption N° 4087/4088 de la commission du 30.11.1988 n'ayant été fourni au futur franchisé 4°) sur le fondement de l'article 1129 du Code civil l'article 5.2 du contrat stipulait que sauf accord écrit du franchiseur le franchisé s'interdit de vendre tout produit qui ne serait pas un produit distribué ou agréé par le franchiseur " ;
- le franchiseur ne peut se contenter de faire état de l'indépendance juridique du franchisé pour se soustraire à sa responsabilité qui découle de la communication de comptes prévisionnels mensongers
- le prononcé de la nullité a pour conséquence la remise des parties en l'état antérieur à la signature du contrat dès lors il est bien fondé à demander outre l'allocation de la somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts pour les pertes subies, le paiement de la somme de 200 000 F correspondant à la restitution de la marge bénéficiaire ainsi que la restitution des sommes versées au franchiseur à savoir 273 421,75 F se décomposant de la façon suivante :
- 50 000 F au titre du droit d'entrée,
- 9 575,74 F au titre des redevances,
- 17 952 F au titre de l'agencement,
- 195 894 F au titre du matériel et de l'enseigne,
la société La Sweaterie qui n'a pas déclaré sa créance ne pouvait obtenir un quelconque paiement au titre des marchandises.
Il prie en conséquence la Cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat,
- condamner la société La Sweaterie à restituer la somme de 273 421,74 F ainsi que la marge bénéficiaire à hauteur de 200 000 F et à payer la somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts,
- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Mireille Esthétique à payer à La Sweaterie la somme de 122 188,94 F
- condamner La Sweaterie à payer la somme de 25 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Madame Blot gérante de la société Mireille Esthétique et son mari sont intervenus volontairement par conclusions du 6.2.1995 et concluant à la condamnation de la société La Sweaterie à leur payer la somme de 1.620.959,67 F augmentée des intérêts au taux légal à compter du 6.2.1997 montant du préjudice personnel subi par eux et résultant directement de la légèreté de la société La Sweaterie qui a présenté " l'activité franchisée " de façon alléchante " mais ne reposant sur aucune étude sérieuse " ainsi que la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
La société Alain Manoukian venant aux droits de la société Nouvelle Sweaterie réplique que :
- Monsieur et Madame Blot sont irrecevables en leur intervention volontaire,
- une résiliation amiable étant intervenue le 6.4.1992 il y a lieu de débouter l'appelant de ses demandes,
- en tout état de cause 1°) les chiffres communiqués font état d'une moyenne et ne peuvent donc être assurés à tous les franchisés qui sont des commerçants indépendants dont le chiffre d'affaires dépend de leurs qualités personnelles et de leurs performances commerciales et qui par ailleurs doivent se renseigner ; or en l'espèce, la société Mireille Esthétique a été de nombreux mois en contact avec elle avant de signer le contrat et pouvait se renseigner sur le marché en question, l'enseigne, sa zone d'exclusivité en conséquence de quoi elle ne peut prétendre avoir été trompée, 2°) l'appelant se contente de dénoncer l'absence d'information précontractuelle sans détailler laquelle de ces informations aurait conduit à ne pas signer le contrat de franchise or la nullité du contrat pour non-respect de la Loi Doubin est acquise à la condition que le consentement du cocontractant ait été vicié et qu'il ne se soit pas engagé en connaissance de cause 3°) le règlement d'exemption n'impose pas que l'enseigne soit notoire mais seulement qu'elle doit constituer le signe de ralliement de la clientèle, de plus le franchisé limite à tort l'assistance du franchiseur à la fourniture du compte d'exploitation du contrat plaint du défaut d'assistance ce qui permet de dire qu'il était satisfait.
Elle demande à la Cour de :
- déclarer irrecevable l'intervention volontaire des époux Blot,
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Maître Briand ès qualités à lui payer la somme de 122 288,94 F.
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer la somme de 100 000 F au titre de la restitution des marges et celle de 200 000 F à titre de dommages et intérêts,
- lui donner acte de ce qu'elle a toujours accepté de rembourser à la liquidation judiciaire les royalties et les redevances publicités perçues au titre de l'année 1991 pour un montant de 11 356,82 HT,
- constater que la liquidation judiciaire de la société Mireille Esthétique est débitrice à son égard de la somme de 122 288,84 F au titre des marchandises impayées ;
- condamner en conséquence la liquidation judiciaire après compensation à la somme de 110 932,12 F TTC
- condamner Maitre Briand ès qualités à lui payer la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
CELA ETANT EXPOSE,
I - Sur l'intervention volontaire de Monsieur et Madame Blot :
Considérant que les époux Blot soumettent à la Cour, un litige nouveau et demandent des condamnations personnelles qui n'ont pas subi l'épreuve du premier degré de juridiction ;
que leur intervention est en conséquence irrecevable ;
II - Sur la nullité du contrat conclu le 29.5.1991 :
Considérant que d'accord entre elles, les parties se sont le 6.4.1992 réservées expressément " de faire valoir leurs droits " ;
que Maitre Briand ès qualités est donc recevable en son action tendant notamment à voir prononcer la nullité du contrat de franchise ;
Considérant qu'il résulte des conclusions de Maitre Briand signifiées le 13.12.1996 qu'en mars 1991 la société Nouvelle La Sweaterie a remis à Madame Blot, une étude d'implantation comportant des comptes d'exploitation prévisionnels ;
Que le franchiseur ne soutient pas ni établit avoir au moins vingt jours avant la conclusion du contrat remis d'autres éléments au futur franchisé ;
Considérant qu'il ressort, des dispositions de la loi du 31.12.1989 et du décret du 4.4.1991 que 20 jours au minimum avant la signature du contrat de franchise, le franchiseur doit fournir au futur franchisé diverses informations dont son numéro d'immatriculation au registre du commerce, sa domiciliation bancaire, sa marque, l'historique de l'entreprise et des renseignements sur le marché, la présentation de son réseau d'exploitants ; les dépenses et investissements que devra effectuer le candidat en vue de l'exploitation de l'activité objet du contrat de franchise ;
Que la société Nouvelle La Sweaterie ne rapporte pas la preuve d'avoir fourni ces éléments hormis les dépenses et investissements devant être supportés par le futur franchisé alors notamment que la marque la Petite Sweaterie n'avait été déposée qu'en février 1991 et qu'à la signature du contrat de franchise aucun franchisé n'exerçant d'activité sous l'enseigne " la Petite Sweaterie " ;
Que l'obligation contractuelle de renseignement est prévue par une disposition législative qui a pour finalité la protection du futur franchisé en lui permettant de se déterminer en toute connaissance de cause;
Que le non-respect de cette obligation par le franchiseur entraîne donc la nullité du contrat de franchise faute par celui-ci d'avoir fourni au franchisé les éléments essentiels lui permettant de donner un consentement éclairé et en conséquence à la convention de remplir une des conditions prévues à l'article 1108 du Code Civil pour sa validité;
Que les moyens soulevés par la société la Nouvelle Sweaterie sont donc inopérants ;
Que le jugement sera en conséquence confirmé de ce chef ;
III - Sur les demandes en paiement formées par Maitre Briand ès qualités ;
Considérant à l'examen des pièces produites (notamment la liste des acquisitions pour l'exercice du 1.10.1990 au 30.9.1991 et les factures) que Maitre Briand justifie que la société Mireille Esthétique a versé à la société Nouvelle La Sweaterie la somme globale de 219 483,93 F.
Que cette société sera condamnée à restituer cette somme en deniers ou quittances ;
Considérant que compte tenu de l'activité exercée les premiers juges ont évalué à 30 % le montant de la marge bénéficiaire ;
Que Maitre Briand ne produit aucun élément justifiant d'une marge bénéficiaire de 50 %.
Que par ailleurs le Tribunal a fixé à 200 000 F le montant du préjudice né de l'exécution pendant près d'un an du contrat nul ;
Que le jugement sera confirmé de ces chefs non critiqués en leur principe ;
IV - Sur les demandes en paiement formées par la société Alain Manoukian venant aux droits de la société Nouvelle Sweaterie ;
Considérant que cette société ne rapporte pas la preuve d'avoir déclaré sa créance à la liquidation de la société Mireille Esthétique.
Que sa créance est éteinte ;
Qu'elle sera donc déboutée de sa demande en paiement de la somme de 122 288,94 F.
V - Sur le surplus :
Considérant qu'il est équitable d'allouer à Maitre Briand ès qualités la somme de 20 000 F au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
Qu'il n'est pas inéquitable de laisser la société intimée supporter ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
Considérant que pour une meilleure clarté de la décision il y a lieu de récrire entièrement le dispositif du jugement déféré ;
Par ces motifs, La Cour , Réforme partiellement le jugement entrepris et substituant à son dispositif le dispositif suivant et y ajoutant : Déclare irrecevable l'intervention volontaire formée par Monsieur et Madame Blot ; Prononce la nullité du contrat conclu le 29.5.1991 ; Condamne la société Alain Manoukian venant aux droits de la société Nouvelle Sweaterie à payer à Maître Briand ès qualités la somme de 219 483,93 F en deniers ou quittance, de 300 000 F ainsi que celle de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC ; Déboute la société Alain Manoukian de ses demandes.