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Décisions

CA Agen, 1re ch., 18 juin 1984, n° 528

AGEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Marostica

Défendeur :

Campara

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Penavayre

Conseillers :

M. Huot-Marchand, Mme Roger

Avoués :

SCP Narran, SCP Tandonnet

Avocats :

Mes Saint Ygnan, Gouffrant.

T. com. Auch., du 21 janv. 1983

21 janvier 1983

I. FAITS ET PROCEDURE

Par acte sous seing privé du 14 juin 1982, Yolande Campara a donné à bail en gérance libre à Gilbert Marostica un fonds de commerce de boucherie-charcuterie exploité rue d'Albret à Barbotan pour une durée d'un an ayant commencé à courir le 1er avril 1982 ;

Marostica a résilié ce contrat par lettre recommandée du 31 août 1982 pour le 30 septembre suivant ;

Sur assignation de Yolande Campara, le Tribunal de commerce d'Auch, dans un jugement du 21 janvier 1983, l'a condamné à payer la somme de 80.000 F avec intérêts de droit à compter du jour du jugement ;

Marostica a relevé appel de cette décision le 7 février 1983 ;

II. MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Marostica conclut à la réformation du jugement entrepris, demande à la Cour de déclarer nul le contrat de location-gérance conclu le 14 juin 1982, forme un appel incident en remboursement de 50.000 F qu'il a réglés à Mme Campara, et sollicite la condamnation de celle-ci au paiement de la somme de 2.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Au soutien de ses demandes, Marostica fait valoir qu'au moment de la signature du contrat de location-gérance le 1er avril 1982, la propriétaire du fonds n'était commerçante que depuis le 15 février 1979, donc depuis moins de sept ans ; qu'elle n'a obtenu du président du Tribunal de grande instance d'Auch que le 22 juin 1982 l'autorisation de mettre en location-gérance son fonds de commerce, soit deux mois après la signature du contrat ; qu'ainsi cette convention consentie antérieurement à cette ordonnance est nulle et ne peut lui être opposée.

Il soutient en second lieu que la cause de son engagement pour le contrat de location-gérance était l'acquisition du fonds de commerce moyennant un prix convenu sur lequel les versements déjà effectués à titre de loyer viendraient en déduction ; il soutient que la location-gérance qu'il avait acceptée moyennant un loyer de 10.000 F par mois était assortie d'une promesse de vente sous seing privé signée le même jour et que, Mme Campara ayant refusé l'imputation des loyers sur le prix d'acquisition, il n'a pas donné suite à cette convention ; il soutient que la cause du contrat de location-gérance ayant disparu, ce dernier doit donc être considéré comme nul et qu'il est donc en droit de solliciter le remboursement des loyers versés entre le 1er avril 1982 et le 31 août 1982 ;

Yolande Campara ne conteste pas qu'un acte sous seing privé ait été signé le 4 mai 1982, par lequel elle s'engageait à vendre à Marostica le fonds de commerce dont s'agit, mais elle indique que cet acte avait été signé sous condition suspensive d'obtention des prêts contractés à cet effet par l'acquéreur, et c'est la raison pour laquelle Marostica n'a jamais donné suite à cette promesse de vente ;

Elle fait valoir que Marostica a rompu unilatéralement le contrat de location-gérance alors que la seule cause de cet acte était la remise du fonds de commerce, de la clientèle, et de tout le matériel ;

Mme Campara indique que les deux contrats de location-gérance et de vente ne sont pas liés et que s'il en était autrement, M. Marostica n'aurait pas manqué de lui adresser une mise en demeure de régulariser l'acte de vente ;

Que d'ailleurs dans sa lettre de congé du 31 août 1982, il ne donne pour seul motif que la fin de la saison thermale et le montant du chiffre d'affaires qui s'était avéré inférieur à ce qu'il espérait ;

Mme Campara soutient qu'en rompant prématurément et unilatéralement cette convention, M. Marostica ne s'est pas dégagé de ses obligations qui consistent à payer le montant des loyers jusqu'au terme prévu et qu'en conséquence, il doit être condamné à régler ces montants, ainsi qu'une somme de 20.000 F à titre de dommages-intérêts à titre de réparation du préjudice qu'elle a subi en raison de la fermeture prématurée du fonds de commerce et à la diminution de la valeur de ce fonds avec perte de clientèle qui s'en est suivie ainsi que l'obligation de payer au propriétaire des murs le loyer aux lieu et place de M. Marostica.

Mme Campara sollicite en outre la somme de 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

III. DECISION

Attendu que les conditions édictées par l'article 4 de la loi du 20 mars 1956 doivent être remplies à la date à partir de laquelle la location-gérance du fonds de commerce est concédée, soit que le délai légal d'exploitation qui est requis chez le bailleur du fonds ait été effectivement accompli, soit que le bailleur bénéficie d'une décision du président du Tribunal de grande instance supprimant le délai ou le réduisant à une durée moindre;

Mais attendu que l'autorisation accordée par une ordonnance qui ne vise pas la période antérieure à sa date ne vaut qu'à partir de celle-ci;

Attendu dès lorsqu'il convient de prononcer en application de la loi du 20 mars 1956 la nullité de la convention de location-gérance consentie antérieurement à ladite ordonnance.

Attendu que tel est bien le cas en l'espèce ; qu'en effet, il n'est pas contesté que Marostica est rentré dans les lieux le 2 avril 1982, à la date précisément où Mme Campara a présenté sa requête en réduction du délai d'exploitation ;

Attendu qu'elle ne saurait prétendre avec quelque vraisemblance que Marostica est rentré dans les lieux en exécution d'un acte sous seing privé de vente du fonds de commerce ; que celui-ci n'a été signé en effet que le 4 mai 1982, soit plus d'un mois après ;

Attendu que le fait que le contrat de location-gérance n'ait été signé et enregistré que le 14 juin 1982, soit postérieurement à l'autorisation donnée par le président du Tribunal de grande instance, est sans effet sur le fait que ce contrat a été conclu entre les parties avant cette autorisation, ainsi qu'en témoigne l'inscription au registre du commerce portant la mention : " fonds reçu en location-gérance de Mme Campara Yolande le 1er avril 1982 ";

Attendu que c'est bien à cette date qu'il faut se placer pour apprécier la validité de ce contrat ; qu'à l'évidence il est nul en application des dispositions de la loi du 20 mars 1956.

Attendu que Mme Campara est donc mal fondée à réclamer le paiement des loyers ayant couru depuis le 30 septembre 1982 jusqu'à la fin de la période pour laquelle il était conclu.

Attendu cependant que Gilbert Marostica est également mal fondé à réclamer le remboursement des loyers qu'il a versés pour la période du 1er avril au 30 septembre 1982 ;

Qu'en effet, il a occupé et exploité le fonds de commerce situé à Barbotan les Thermes, en a perçu les revenus durant cette période, en contrepartie de ces loyers ; que décider de leur remboursement reviendrait à créer en sa faveur un enrichissement sans cause ; qu'il doit donc être débouté de sa demande reconventionnelle sur ce point.

Attendu qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de Gilbert Marostica ceux des frais non compris dans les dépens dont il a fait l'avance, alors surtout qu'il bénéficie de l'aide judiciaire.

Attendu que Mme Campara qui succombe dans l'instance devra supporter la charge des dépens d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, Réformant le jugement entrepris ; Dit nul et de nul effet le contrat de location-gérance conclu entre les parties le 1er avril 1982, et enregistré le 14 juin suivant ; En conséquence déboute Mme Campara de sa demande en paiement des loyers pour la période du 1er octobre 1982 au 30 avril 1983 ; Déboute Gilbert Marostica de sa demande en remboursement des loyers versés à Mme Campara ; Déboute les parties de leurs autres demandes, fins et conclusions ; Condamne Mme Campara aux dépens d'appel qui seront recouvrés par la SCP Narran, avoués, selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, étant toutefois précisé que Marostica bénéficie de l'aide judiciaire.