CA Paris, 16e ch. B, 13 mars 1986, n° 3784
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Verjat
Défendeur :
Perez (Époux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pinochet
Conseillers :
Mmes Gautier, Borra
Avoués :
SCP Narrat-Peytavi, Me Careto
Avocats :
Mes Bidoit, Dichamp.
LA COUR statue sur l'appel principal formé par Mademoiselle Verjat et sur l'appel incident formé par M. et Mme Martin Perez contre le jugement rendu le 28 novembre 1984 par la 5ème chambre du Tribunal de grande instance de Créteil.
COMMEMORATIFS
Par acte sous seing privé du 1er mars 1983, Monsieur Jean Martin Perez et Madame Anne-Marie Audoin, son épouse, ont donné à bail à Mademoiselle Dominique Verjat, pour une durée de 3, 6 ou 9 ans, une boutique de 70 m2 situé 1 place des Tilleuls à Villiers-sur-Marne (94), à usage de " esthétique parfumerie " moyennant un loyer de 4 000 F par mois la première année et de 6 000 F par mois la deuxième année, avec révision normale par période triennale.
Depuis le 16 juillet 1981, la SARL Carlos Coiffure, dont les époux Martin Perez sont les seuls associés, exploite un salon de coiffure dans un magasin situé dans le même immeuble et contiguë à la boutique louée à Mademoiselle Verjat.
Par un jugement du Tribunal de grande instance de Créteil du 4 juillet 1984, qui n'est pas produit aux débats, Mademoiselle Verjat a obtenu une déspécialisation restreinte (vente de bijoux fantaisie, foulards, petite maroquinerie) qui lui avait été refusé par les bailleurs.
Par acte d'huissier du 19 mars 1984, Mademoiselle Verjat a assigné M. et Mme Martin Perez devant le Tribunal de grande instance de Créteil pour faire juger qu'en contradiction avec la clause de non-concurrence prévue au bail, les bailleurs, qui exploitent sous couvert de la SARL Carlos Coiffure un salon de coiffure et sous couvert de la SARL Lavande, un magasin de linge de maison et cadeaux, avaient, depuis le mois d'octobre 1983, développé la diffusion de produits de parfumerie ainsi que des activités connexes ou complémentaires qui constituaient des actions de concurrence.
Elle a exposé que les bailleurs agissaient, en outre, par tous les moyens et quotidiennement pour nuire aux intérêts de leur locataire par des coupures d'eau, et des scènes d'insultes dans son magasin, devant le personnel et les clients.
Elle a demandé au tribunal leur condamnation à 250 000 F de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi et 7 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par jugement du 28 novembre 1984, le tribunal saisi a débouté Mlle Verjat de tous ses chefs de demande, a débouté M. et Mme Martin Perez de leur demande en 10 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive et en 7 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a mis les dépens à la charge de Mlle Verjat.
RECOURS
Mlle Verjat, appelante principale, demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris, de dire que les époux Martin Perez devront cesser de vendre par l'intermédiaire de leur société Carlos coiffure tous produits de parfumerie ainsi que les produits des activités complémentaires de la parfumerie, sous astreinte de 200 F par jour, de les condamner à payer 250 000 F de dommages-intérêts, 7 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les dépens de première instance et d'appel.
M. et Mme Martin Perez, intimés, concluent à la confirmation de la décision attaquée en ce qu'elle a débouté Mlle Verjat de ses demandes. Formant appel incident, ils prient la Cour d'infirmer le jugement pour partie et de leur accorder 10 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive, 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et de la condamnation aux dépens.
Cela étant exposé, LA COUR,
SUR LA CLAUSE DE NON-CONCURRENCE
Considérant qu'il est prévu au bail conclu entre les parties que le bailleur " s'interdit de louer à qui que ce soit ou d'exploiter directement ou indirectement, dans l'immeuble dont font partie les lieux loués, un commerce similaire à celui du preneur " ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que la SARL Carlos Coiffure, qui exploite le salon de coiffure voisin du magasin de Mlle Verjat, est constituée par les époux Martin Perez qui en sont les seuls associés ; qu'il s'agit donc du cas d'exploitation indirecte visée par la clause ; qu'il en fut de même pendant une courte période pour la SARL Lavande ; que cependant Mlle Verjat ne vise plus, devant la Cour, les activités de cette dernière société ;
Considérant que les activités autorisées par les bailleurs en ce qui concerne le fonds de Mlle Verjat sont celles de " parfumerie, esthétique " auxquelles Mlle Verjat a fait ajouter, ainsi que cela résulte de l'extrait K bis du registre du commerce " bijoux fantaisie, petite maroquinerie, foulards, articles de toilette, barrettes, peignes, brosses à cheveux, cosmétiques, savons, articles de Paris, tabletterie " ;
Considérant que l'objet social de la société Carlos Coiffure, tel qu'il résulte de l'extrait K bis du registre du commerce est le suivant : " coiffure pour hommes et femmes, soins esthétiques de beauté, la parfumerie " ;
Considérant que M. et Mme Martin Perez déclarent que depuis que la société Carlos Coiffure a installé un établissement secondaire dans l'immeuble du 1 place des Tilleuls, le 16 juillet 1981, elle n'a jamais exercé à titre principal l'activité de soins esthétiques et de parfumerie ;
Considérant qu'ils ont donc pu lors de la signature du bail de Mlle Verjat, en 1983, lui assurer l'exclusivité de l'exercice des ces deux activités dans l'immeuble, s'engageant ainsi à ne pas les exercer pour l'avenir dans leur propre fonds de commerce ;
Considérant que la clause d'exclusivité doit s'interpréter de manière restrictive et ne s'applique qu'au commerce principal autorisé à l'exclusion des activités accessoires;
Considérant que les deux commerces en cause, s'ils sont distincts l'un de l'autre, se rattachent cependant au même domaine de l'hygiène et de la beauté et qu'il est inévitable qu'ils présentent des zones marginales communes;
Considérant que, pour justifier de l'existence de l'infraction à la clause susvisée du bail, Mlle Verjat produit un constat d'huissier du 31 janvier 1984 ; qu'il en résulte qu'à cette date les produits suivants étaient proposés à la vente dans le salon de coiffure : un lot de vernis à ongles Carita, trois séries d'eau de toilette Crabtee et Evelyn, un savon, un lot d'eau de toilette Carita pour Monsieur, un lot de bains de beauté Cosmil, un lot de laques pour cheveux Cosmil, un lot de crèmes Tonialg, des bijoux fantaisie et des colifichets, des peignes, brosses, rasoirs, crèmes à raser et gel pour cheveux ;
Considérant que la vente de ces produits, en nombre restreint et en choix limité, constitue un accessoire normal de l'activité de coiffeur et ne peut constituer une violation de la clause d'exclusivité;
Considérant en conséquence, que la décision du premier juge doit être confirmée sur ce point ;
SUR LES TROUBLES DE JOUISSANCE
Considérant qu'il est établi qu'à deux reprises le 17 décembre 1983 et le 16 février 1984, M, Martin Perez a, sans raison valable, coupé l'arrivée d'eau dans le magasin de Mlle Verjat pendant les heures d'ouverture de celui-ci, sans en avertir auparavant sa locataire et s'est opposé à ce qu'elle fasse installer un compteur d'eau personnel dans les lieux loués ;
Que de la même façon il a refusé pendant plusieurs mois de donner l'accord nécessaire pour la délivrance du certificat de conformité après l'exécution des travaux d'aménagement du fonds par la locataire ;
Que le 15 février 1984, à 20 heures, il est venu dans le magasin de Mlle Verjat et, après une discussion avec le père de celle-ci, il l'a insultée et menacée de faire fermer la boutique ;
Considérant que M. Martin Perez pour tenter d'expliquer, sinon de justifier, son attitude à l'encontre de sa locataire, précise qu'elle ne payait les loyers qu'avec retard ;
Qu'un commandement notifié le 6 décembre 1983 indique qu'à cette date, Mlle Verjat devait encore un solde de loyers de mars 1983, le loyer de novembre 1983 et celui de décembre 1983 ;
Qu'un commandement de payer du 22 mai 1984 lui réclamait les loyers de mars et avril 1984 ;
Qu'un commandement de payer du 25 juin 1985 réclamait le paiement d'un solde de loyers de décembre 1984, ainsi que les loyers de janvier, février et mars 1985 ;
Considérant qu'il résulte des déclarations des parties et des documents produits qu'une mauvaise entente existait entre les bailleurs et la locataire qui s'opposaient fréquemment en raison de leur voisinage ;
Considérant en outre que Mlle Verjat ne fait pas la preuve du préjudice que lui a causé le comportement inadmissible du bailleur ; qu'elle ne précise pas les répercussions qui en ont résulté dans le fonctionnement de son commerce ;
Considérant que la décision du premier juge doit être confirmé de ce chef ;
SUR L'APPEL INCIDENT
Considérant que les époux Martin Perez n'établissent pas que Mlle Verjat ait commis un acte de malice ou de mauvaise foi susceptible de constituer un abus de droit d'agir en justice et pouvant donner lieu à des dommages-intérêts ; que leur demande ne peut être accueillie sur ce point ;
Considérant qu'il n'est pas équitable de laisser à la charge de M. et Mme Martin Perez les frais non compris dans les dépens qu'ils ont pu exposer ;
Par ces motifs, et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR: Déboute Mlle Verjat de son appel principal et M. et Mme Martin Perez de leur appel incident ; Confirme le jugement rendu le 28 décembre 1984 par la 5ème chambre du Tribunal de grande instance de Créteil ; Condamne Mlle Verjat aux dépens de l'appel principal et M. et Mme Martin Perez aux dépens de l'appel incident ; Autorise les avoués de la cause à recouvrer directement la partie des dépens dont ils auraient fait l'avance, dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.