Livv
Décisions

CA Nancy, 2e ch., 16 mai 1986, n° 2516-85

NANCY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Automobiles Peugeot (Sté), Verdun Auto (SA)

Défendeur :

Hocquet (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Raffaitin

Conseillers :

M. Domiar, Mme Aldige

Avoués :

Mes Millot, Sicard

Avocats :

Mes Chresteil, Threard.

T. com. Verdun, du 22 avr. 1983

22 avril 1983

Faits et procédure :

Créée en 1961, la SA Verdun Auto a conclu pendant plusieurs années des contrats de concession annuels avec la SA des automobiles Peugeot, le dernier le 2 janvier 1981 pour une durée de deux ans. Sur son dépôt de bilan, la SA Verdun Auto a fait l'objet d'un jugement de liquidation de biens le 23 juillet 1981 et Maître Hocquet a été désigné en qualité de syndic. Par jugement du 26 mars 1982, le tribunal a reporté la date de cessation des paiements.

Suivant exploit du 30 août 1982, le syndic a assigné la SA Peugeot devant le Tribunal de commerce de Verdun afin de la faire déclarer responsable pour avoir : 1) aggravé le passif de la SA Verdun pour la période du 1er janvier 1981 au 23 juillet 1981 en raison de son soutien financier abusif et fautif qui a retardé le dépôt de bilan en maintenant cette société artificiellement en vie, 2) provoqué la liquidation des biens alors qu'un règlement judiciaire eut été possible en retirant sans préavis ses véhicules neufs et en arrêtant la livraison des pièces détachées.

Par le jugement déféré, le tribunal a considéré que par son soutien financier abusif pendant la période allant du 1er avril au 23 juillet 1981, la SA Peugeot avait commis une faute qui engageait sa responsabilité dans l'accroissement du passif, mais il a estimé par contre qu'il n'était pas sérieux de reprocher en même temps à cette société d'avoir contraint la société Verdun Auto de déposer son bilan en reprenant les véhicules dont la mise en vente était l'objet principal de son commerce. Il a en conséquence condamné la SA Peugeot à payer au syndic de la liquidation des biens de la SA Verdun Auto le montant de l'augmentation du passif intervenue entre le 1er avril et le 23 juillet 1981, avec intérêts au taux légal à compter du jugement. Pour évaluer cette somme, il a désigné un expert, M. Losser, (remplacé par M. Chavannes Albert, expert comptable, suivant jugement du 27 mai 1983), en invitant la société Peugeot à consigner au greffe du tribunal de commerce une provision de 2 000 F. En outre, il a condamné la société Peugeot à verser immédiatement entre les mains du syndic une somme provisionnelle de 500 000 F.

Moyens et prétentions des parties :

La SA Peugeot, appelante, fait valoir qu'il n'est établi à son égard ni une faute au sens des articles 1382 et 1383 du code civil, ni un abus de droit, de nature à entraîner une quelconque responsabilité à sa charge dans le dépôt de bilan et le passif de la société Verdun Auto ; qu'en effet les difficultés financières de celle-ci ne résultent nullement du contrat de concession ; que s'il est exact que des traites ont été impayées à compter du 20 janvier 1981, il n'est pas établi que cette société Verdun Auto ait été en état de cessation de paiement. Elle conclut en conséquence à l'infirmation du jugement afin que le syndic, Maître Hocquet, soit débouté de sa demande et condamné à lui payer une somme de 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Maître Hocquet, ès qualités de syndic de la liquidation des biens de la SA Verdun auto, conclut au contraire à la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré fautive l'attitude de la société Peugeot et l'a déclarée responsable de l'aggravation du passif, mais formant appel incident, il demande à la Cour de dire que c'est depuis le 1er janvier 1981 que la société Peugeot doit répondre de sa faute. Il sollicite la confirmation du jugement pour le surplus, c'est à dire l'expertise et le versement par la société Peugeot à titre provisionnel de la somme de 500 000 F.

Vu le jugement, les pièces régulièrement produites et les conclusions des parties auxquelles il est fait référence pour plus ample exposé des faits et moyens ;

Attendu que Maître Hocquet, ès qualité de syndic de la liquidation des biens de la SA Verdun Auto exerce, au nom de la masse, une action en paiement de dommages et intérêts contre un créancier dans la masse, la SA Peugeot, qu'il estime coupable d'avoir contribué par ses agissements fautifs à l'aggravation du passif ;

Qu'il ne s'agit donc pas de rechercher, ainsi que le prétend la société Peugeot dans ses conclusions, si celle-ci est responsable de la mauvaise gestion de la société Verdun Auto avec laquelle elle était liée par un contrat de concession ;

Qu'il importe seulement de vérifier si la société Peugeot a commis une faute vis à vis des autres créanciers de la masse ;

Or attendu qu'il est constant que depuis 1978, les résultats de la société Verdun Auto ont accusé un déficit, comblé par la vente de biens personnels de Mme Veuve Louis Heller, Président Directeur Général depuis 1961 jusqu'en mai 1981, date de son décès ;

Attendu qu'en 1980, le directeur général adjoint, M. Claude Heller, a avisé la société Peugeot, par l'intermédiaire du directeur général de Nancy, de son intention de céder une partie des actions et la direction générale à un partenaire susceptible de l'aider à redresser la situation ;

Attendu que M. Heller a proposé à la société Peugeot la candidature de M. Leloup, alors concessionnaire Talbot à Verdun ;

Que celle-ci n'a pas été acceptée, la société Peugeot préférant une autre société avec laquelle elle avait engagé des pourparlers qui ne devaient d'ailleurs pas aboutir ;

Attendu que par conséquent la société Peugeot connaissait parfaitement la situation de la société Verdun Auto à la fin de 1980 ;

Que certes, c'est seulement le 26 mars 1981 que la société Verdun Auto a transmis à la société Peugeot la situation du bilan pour l'exercice 1980 duquel il ressortait une perte d'exploitation de 1 237 067 F ;

Mais attendu qu'en réalité dès le 21 octobre 1980, la société Peugeot s'était fait remettre un bilan prévisionnel pour l'exercice 1981 duquel il résultait une exploitation déficitaire de 345 425 F à partir de la vente de 750 voitures neuves ;

Qu'il convient d'ailleurs de remarquer que cette analyse prévisionnelle devait apparaître d'autant plus excessive concernant l'objectif de vente que la société Verdun Auto n'avait vendu en 1980 que 480 voitures ;

Attendu qu'en outre, de par son contrat de concession, la société Peugeot était en mesure d'analyser parfaitement la situation véritable de son concessionnaire ;

Qu'en effet il ressort du contrat que non seulement les copies de bilans et des comptes d'exploitation et de pertes et profits de l'entreprise concessionnaire devait être fournis au constructeur à la fin de chaque exercice comptable, mais que le concessionnaire devait également fournir les situations comptables en cours d'exercice que le constructeur se réservait de lui demander ;

Qu'autrement dit la SA Peugeot ne pouvait ignorer la véritable situation financière de son concessionnaire lorsque le 2 janvier 1981, le contrat précédent de un an étant venu à expiration le 31 décembre 1980, elle a passé avec la société Verdun Auto un nouveau contrat de concession pour deux ans ;

Attendu que certes la situation de celle-ci n'était pas alors irrémédiablement compromise ;

Que néanmoins, la société Verdun Auto se trouvait déjà en état de cessation de paiement, ne pouvant plus faire face à son passif immédiatement exigible compte tenu de son actif disponible ;

Qu'en effet dès janvier 1981, elle n'a plus payé les traites de la société Peugeot ;

Que d'ailleurs par jugement, devenu définitif, en date du 26 mars 1982, le tribunal de commerce a reporté au 4 décembre 1980, la date de cessation de paiements ;

Que c'est donc, en période suspecte, que la société Peugeot a conclu avec la société Verdun Auto un nouveau contrat de concession qui aggravait en fait la situation du concessionnaire, malgré les résultats de l'étude prévisionnelle à laquelle il avait été procédé et alors que n'apparaissait aucune contrepartie dans la gestion de l'entreprise du fait du refus de la candidature de M. Leloup, lequel devait d'ailleurs après la liquidation des biens de la SA Verdun Auto devenir le concessionnaire Peugeot à Verdun ;

Attendu en effet que la société Peugeot, dans son nouveau contrat a imposé les deux marques Peugeot et Talbot à son concessionnaire ;

Qu'il résulte de l'exposé du nouveau président directeur général, Claude Heller, lors de l'assemblée générale du 18 juillet 1981 au cours de laquelle fut décidé le dépôt de bilan, que la société Verdun auto, en raison du contrat bi-marques, a dû " faire face à un sur stockage portant sur les pièces de rechange Talbot et à une formation très coûteuse de la totalité du personnel " ;

Qu'elle a dû avoir recours à un prêt auprès de la Banque Populaire de Lorraine pour financer cette activité complémentaire ;

Attendu que, la société Peugeot n'aurait pas dû, dans de telles conditions, conclure avec la société Verdun Auto un nouveau contrat de concession ;

Qu'elle a commis une faute qui a eu pour effet d'aggraver la situation passive de son concessionnaire ;

Attendu qu'ensuite la société Peugeot jusqu'au dépôt de bilan de la SA Verdun Auto a manifestement soutenu celle-ci financièrement en attendant la réalisation des pourparlers qu'elle avait engagées avec un société (Compagnie Française d'Afrique Occidentale) pour la reprise de la concession de Verdun, pourparlers qui se sont poursuivis jusqu'en fin 1981 et qui ont finalement échoué ;

Qu'en effet, toutes les traites émises chaque mois à compter du 4 décembre 1980 à échéance d'un mois, tirées sur la SA Verdun auto, destinées à payer les factures de pièces de rechanges n'ont pas été réglées;

Qu'il en a été ainsi entre le 4 décembre 1980 et le 9 juin 1981, pour onze traites représentant un total de 1 304 919,74 F ;

Que si ces traites ont été présentées à une banque, la Société Française de Banque (SOFIB) dont l'adresse est celle du siège social de la SA Peugeot, 75 avenue de la Grande Armée à Paris 16ème, et rejetées avec la mention " sans provision ", celles-ci n'ont jamais été acceptées par la société Verdun Auto et portaient la mention " sans protêt " ;

Qu'en fait ainsi que l'a constaté à juste titre le tribunal la société Peugeot a par ce moyen accordé un soutien abusif à la société Verdun auto, alors qu'à la suite des impayés successifs, elle avait la possibilité, comme le prévoyait le contrat de concession en son article 14 de résilier sans mise en demeure et d'assigner cette société en paiement;

Qu'en accordant une aide à la société Verdun auto, alors en état de cessation de paiements, elle a prolongé artificiellement une situation qui n'a fait que s'aggraver;

Que dans ces conditions, par ces agissements répréhensibles la société Peugeot en maintenant l'activité de cette société a contribué à l'accroissement du passif;

Attendu qu'il convient donc en confirmant le jugement en son principe de préciser que l'expert désigné par les premiers juges devra rechercher les conséquences de l'aggravation du passif depuis le 1er janvier 1981 ;

Qu'il y a lieu également de maintenir la condamnation de la SA Peugeot à titre provisionnel de la somme de 500 000 F à payer entre les mains du syndic ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant contradictoirement ; En la forme, déclare l'appel recevable ; Au fond, confirme le jugement en tant qu'il a dit que la SA Peugeot était responsable de l'aggravation du passif de la SA Verdun Auto et l'a condamnée à payer à Maître Hocquet, ès qualités de syndic de la liquidation des biens de cette société la montant de l'augmentation du passif ; Dit toutefois que cette augmentation concerne la période depuis le 1er janvier 1981 ; Confirme le jugement qui a ordonné une expertise afin de déterminer la montant dû à ce titre par la société Peugeot et a désigné pour y procéder (par jugement subséquent) M. Albert Chavannes, expert comptable, 9 rue A. Mézières à Villerupt, qui avait accepté cette mission ; Dit que la SA Peugeot devra consigner au greffe du Tribunal de commerce de Verdun la somme de cinq mille francs (5 000 F) à titre de provision dans le mois de la signification du présent arrêt ; Dit que l'expert devra déposer son rapport au greffe du Tribunal de commerce de Verdun dans les quatre mois de sa saisine ; Confirme le jugement qui a condamné la SA Peugeot à payer dès maintenant à Maître Hocquet, ès qualités de syndic de la SA Verdun auto, la somme de cinq cent mille francs (500 000 F) à titre d'indemnité provisionnelle ; Renvoie la cause et les parties devant les premiers juges pour être statué sur le montant des dommages et intérêts après dépôt du rapport d'expertise ; Condamna la SA Peugeot aux dépens d'appel et autorise maître Sicard, avoué à faire application de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.