CA Paris, 14e ch. C, 23 octobre 1986, n° 86-013415
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Mourat
Défendeur :
Natalys (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Remuzon
Conseillers :
MM. Tarisien, Bergougnan
Avoués :
SCP Teytaud & Teytaud, Me Roblin
Avocats :
Mes Threard, Binder.
Par acte sous seings privés du 6 février 1973, Odette Mourat, propriétaire à Luçon d'un fonds de commerce de prêt-à-porter pour enfants et femmes enceintes, a contracté avec la Société Natalys une convention lui donnant la qualité d'Agent exclusif comportant le droit d'utiliser l'enseigne et les marques de la Société Natalys, et un engagement par lequel cette Société promettait de fournir à l'Agent exclusif les marchandises énumérées au Chapitre I ; en contrepartie, Odette Mourat acceptait la charge d'une redevance de 10 % sur le chiffre d'affaires, et s'engageait à se fournir exclusivement auprès de Natalys en marchandises figurant dans la nomenclature du Chapitre I ; le contrat était conclu pour une durée de trois années renouvelable par tacite reconduction, et comportait une clause d'interdiction de concurrence pendant une durée de deux ans, dans le périmètre d'application de l'engagement réciproque d'exclusivité ;
Par lettres du 12 décembre 1984, Odette Mourat notifia à Natalys son intention de ne pas renouveler le contrat, qui a pris fin à l'expiration de la période triennale, alors en cours, le 17 juin 1985.
Au mois d'août suivant, Natalys apprenait qu'Odette Mourat s'était affiliée à la chaîne commerciale " New Baby " ; qu'elle considère comme sa principale concurrente, et elle lui adressa par lettre recommandée du 28 août 1985, de cesser toute activité concurrentielle ; cette sommation fut renouvelée par acte d'huissier du 31 décembre qui visait expressément la clause de non-concurrence ; parallèlement, elle notifiait dans la même forme à la Société Sagam (New Baby) l'existence de celle clause et sa violation par Odette Mourat ; le 27 février 1986, la société Sagam répondait à Natalys qu'elle ignorait les obligations contractées par Odette Mourat, que, sous réserve d'en avoir confirmation par les justifications qu'elle n'avait pas encore reçues, elle cesserait " les rapports commerciaux qu'elle avait noués avec Mme Mourat " ; enfin, par acte d'huissier du 29 février 1986, elle fit connaître à celle-ci qu'elle ne pouvait maintenir " les rapports conventionnels récemment noués ", et lui fit sommation d'avoir à déposer l'enseigne " New Baby " et à faire disparaître cette marque " en tous points de son activité commerciale ".
Odette Mourat n'ayant pas déféré à ces sommations, Natalys l'a fait assigner le 14 juin 1986 pour qu'il lui soit fait injonction de cesser son activité concurrentielle sous astreinte.
Le Cour statue sur l'appel à jour fixe interjeté par Odette Mourat de l'ordonnance de référé rendue le 26 juin 1986 par le Président du Tribunal de Commerce de Paris qui a dit qu'elle devrait cesser de proposer à la vente tous les articles concurrents de la marque Natalys à compter du huitième jour de la signification sous astreinte de 200 F par jour de retard, qu'elle devrait déposer l'enseigne " New Baby " et tous signes publicitaires afférents à cette marque dans le même délai sous même astreinte par jour de retard, et qui l'a condamnée au paiement de 2.500 F au titre de l'article 700 du NCPC.
L'appelante indique tout d'abord que le 16 juin 1986, elle a fait déposer l'enseigne Natalys et retourné au fournisseur le stock de marchandises, qu'elle a ainsi entièrement rempli les obligations prévues en fin du contrat qui la liait à la société Natalys.
Elle fait grief au premier juge d'avoir considéré, aux motifs de sa décision, qu'il s'agissait " alors que selon elle, les mesures ordonnées aboutissent à la déposséder de son fonds de commerce, par perte de la clientèle acquise qui en est l'élément primordial, et que la validité de la clause de non-concurrence qui lui est opposé est sérieusement contestable ; qu'en effet, elle entend faire prononcer par la juridiction du principal, déjà saisie par assignation du 25 juillet 1986, la nullité du contrat du 6 février 1973 et par suite de la clause litigieuse qu'il contient, et fait valoir les moyens suivants :
1) c'est à tort que Natalys soutient qu'il s'agit en l'espèce d'un contrat de franchise ; cette qualification ne figure pas en effet dans le contrat et elle ne peut d'ailleurs lui être donnée, car il n'implique pas en lui-même l'existence d'un savoir-faire transmissible ; en conséquence, Natalys ne peut se prévaloir de l'arrêt rendu le 28 janvier 1986 par la Cour de Justice des Communautés Européennes, qui a dit que " les clauses indispensables pour empêcher que le savoir-faire transmis et l'assistance apportée par le franchiseur profite à toute concurrence, ne constituent pas des restrictions à la concurrence au sens de l'article 85 par. 1er du Traité CEC ".
2) la clause de non-concurrence ne saurait, d'autre part, porter atteinte au droit d'établissement du commerçant, propriétaire du fonds de commerce ; l'application de cette clause aboutirait en l'espèce à lui interdire toute activité commerciale, même en qualité de salariée, par conséquent à la priver de son droit de propriété et même d'une possibilité de travail dans la branche d'activité qui est la sienne,
3) Si aux termes du contrat, le distributeur prend l'engagement de s'approvisionner exclusivement auprès de Natalys, l'engagement de celle-ci se limite à une remise de 38 % sur le montant des factures et au paiement d'une prime de 1 % en fin d'année ; cette clause est, selon l'appelante, contraire aux dispositions de l'article 1591 du Code Civil, le prix de vente étant indéterminé, et également contraire à l'article 1129 du même code ; en effet, selon ce contrat, c'est Natalys elle-même qui définit les produits dont le distributeur doit assurer la vente Natalys se réservant au surplus la possibilité de modifier le catalogue par une décision à laquelle le distributeur est tenu de souscrire.
Le litige, sur ses différents aspects soulève indiscutablement selon l'appelante, une contestation sérieuse dont le premier juge, statuant en matière de référé, n'avait pas à connaître ; elle conclut à l'infirmation et à la condamnation de Natalys au paiement de 10.000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Après un rappel des faits, constitutifs, selon elle d'une activité concurrentielle en violation du contrat, et ayant souligné que la société Sagam (New Baby) s'était ralliée à sa position en rompant ses relations commerciales avec Odette Mourat, Natalys soutient que la mesure prescrite par le premier juge est bien de nature conservatoire, dont l'effet est de préserver l'unité de son réseau de distribution, et que la violation caractérisée par Odettte Mourat de la clause de non-concurrence lui causait un trouble manifestement illégitime que le juge des référés avait le pouvoir de faire cesser.
Sur les deux moyens de nullité du contrat, pour indétermination du prix (art. 1591 du Code Civil) et indétermination de l'objet (art. 1129 du même Code), elle oppose une jurisprudence constante de la 4e chambre de cette Cour (23 avril 1975 Natalys c/ Camellini, 13 novembre 1984, Natalys c/ Himbert, 6 avril 1976, Natalys c/ Lelaure) qui a reconnu la validité des contrats, au motif que " toute autre solution aboutirait à condamner totalement l'existence même des contrats comportant une clause d'exclusivité d'approvisionnement ".
Elle réfute l'argument tiré par la partie adverse d'une fausse qualification du contrat qui ne saurait être, selon celle-ci, assimilé à un contrat de franchise, faute d'existence et de transmission d'un " savoir-faire ", en faisant valoir qu'elle entend d'abord se prévaloir d'une jurisprudence bien établie en matière commerciale qui reconnaît la validité des clauses de non concurrence, dans la limite de conditions strictement définiées qui sont remplies en l'espèce ; à l'argument tiré de l'arrêt de la 4e chambre de cette Cour du 13 novembre 1984 (Natalys c/ Himbert) qui a dit que " la clause de non-concurrence ne peut être valable que si elle laisse une possibilité de travail au franchisé ", Natalys répond que le fait d'interdire à Odette Mourat la vente de layettes et articles de puériculture pendant deux ans n'exclut pas la possibilité d'un commerce de vêtements de prêt-à-porter ou de vêtements pour enfants de plus de 6 ans, et ne l'autorise donc pas à prétendre que cette interdiction la priverait, en fait, de la propriété de son fonds de commerce ou de toute possibilité de travail salarié.
Elle conclut à la confirmation, après avoir fait observer que la saisine de la juridiction du principal à l'initiative d'Odette Mourat est une circonstance indifférente dans la procédure antérieurement introduite par voie de référé, et que, d'autre part, l'existence d'une contestation sérieuse, si elle devait être retenue, ne pourrait mettre obstacle au pouvoir du juge des référés ou prendre les mesures prévues au cas de dommage imminent ou de troubles manifestement illicites à l'article 809, par. 1er du NCPC
Par demande additionnelle, elle prie la Cour d'élever à 10.000 F l'indemnité qui lui a été allouée au titre de l'art. 700 du NCPC en première instance.
La Cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties à l'ordonnance déférée et aux conclusions prises en appel.
Sur ce,
Considérant que le juge des référés, statuant par décision provisoire, ne pourrait sans excéder ses pouvoirs, départager les parties sur la contestation élevée quant à la qualification du contrat ; que, sans avoir à décider si les obligations réciproques doivent être appréciées dans le cadre du contrat de franchise, comme le soutient la Société Natalys, par une analyse fondée sur la transmission du " savoir-faire " que conteste Odette Mourat, il lui appartenait seulement, alors qu'il était saisi par la Société Natalys d'une action tendant à faire cesser le trouble, selon elle, manifestement illégitime résultant d'une violation de la clause de non-concurrence, de vérifier si la validité de la clause litigieuse se heurtait à une cause de nullité évidente, et, dans le cas contraire, d'en faire application, foi était due au titre contractuel dès lors que la nullité n'en a pas été constatée par une décision au principal ; qu'à juste titre la Société Natalys fait plaider que la saisine des juges du fond, suivant assignation du 25 juillet 1986, est indifférente, en l'état actuel de la procédure ;
Considérant que le contrat du 6 février 1973 comportait une clause, dite " d'interdiction de concurrence, ainsi conçue : " en fin du présent contrat.. l'Agent exclusif s'interdit de concurrencer la Société Natalys, même comme salarié, dans le périmètre d'application des présentes, et cela pendant une durée de deux années entières et consécutives ", que le périmètre d'application était, aux termes du par. III du contrat, fixé à un rayon de 1.000 mètres à vol d'oiseau du magasin ; que la validité des clauses de non-concurrence est subordonnée, suivant une jurisprudence constante, à la double condition d'une limitation dans l'espace et dans le temps, raisonnable et conforme aux usages du commerce ; que ces conditions sont remplies en l'espèce;
Considérant qu'à tort Odette Mourat soutient que la mesure ordonnée par la décision dont appel porterait atteinte à son droit de propriété sur le fonds de commerce, par perte de la clientèle qui en est l'élément essentiel, ou même à toute possibilité d'emploi salarié dans cette branche d'activité; qu'à juste titre, en effet, Natalys réplique que le contrat d'exclusivité comporte une nomenclature d'articles strictement définis au par. I du contrat, qui laisse en dehors de ses prévisions des articles de vêtements de prêt-à-porter classique et de vêtements ou articles pour enfants de plus de 6 ans, pour lesquels Odette Mourat était autorisée à faire commerce, aussi bien à son compte qu'en qualité de salariée ;
Considérant, sur les moyens de nullité tirés de l'indétermination de la chose vendue et du prix (art. 1129 et 1591 du Code Civil) qu'à bon droit Natalys réplique qu'Odette Mourat ne pouvait ignorer la nature des marchandises livrées pour revente puisque celles-ci correspondaient à son objet social et figuraient dans un catalogue de large diffusion dans le public, et que l'art. 1591 du Code Civil exige seulement que le prix de vente puisse être déterminé, par relation avec des éléments indépendants de la volonté des parties ; que tel est bien le cas en l'espèce, le contrat (par. III, al. 9) prévoyant que l'Agent exclusif ne pouvait vendre à une prix supérieur à celui du catalogue, lui-même fixé selon un tarif établi en fonction des contraintes de la concurrence, et porté à la connaissance du public à intervalles réguliers ; qu'ainsi l'Agent exclusif avait à l'avance connaissance du prix, dont les variations ne dépendaient que des remises accordées par Natalys, en l'espèce 38 % sur le montant des factures ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en l'état, et sous réserve de l'appréciation des juges du fond déjà saisis, Odette Mourat ne rapporte pas la preuve déterminante de la nullité du contrat qui lui est opposé, et qu'à bon droit le premier juge a considéré que l'activité concurrentielle exercée par celle-ci en violation de ce contrat constituait un trouble manifestement illégitime qu'il lui appartenait de faire cesser en application de l'art . 809 et 873 par. 1er du NCPC ; que la décision déférée doit être en conséquence confirmée en toutes ses dispositions ;
Considérant qu'Odette Mourat qui succombe en son appel ne peut prétendre au bénéfice de l'article 700 du NCPC ; que l'équité ne commande pas d'allouer à la Société Natalys au titre de ce texte une indemnité supplémentaire qu'elle a obtenue en première instance ;
Par ces motifs, Statuant par arrêt contradictoire, Dit Odette Mourat née Byrotheau recevable mais non fondée en son appel ; Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ; Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du NCPC; Condamne Odette Mourat aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC