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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 17 janvier 1989, n° 87-013489

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Azur Plaisance (Sté)

Défendeur :

Chantiers Beneteau (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosnel

Conseillers :

MM. Robiquet, Guérin

Avoués :

Mes Bolling, Kieffer-Joly

Avocats :

Mes Chouraqui, Tieffry.

T. com. Paris, 15e ch., du 5 juin 1987

5 juin 1987

LA COUR : - Statuant sur l'appel formé le 29 juillet 1987 par la Société Azur Plaisance du jugement rendu le 5 juin 1987 par le Tribunal de Commerce de Paris (15e chambre) dans le litige l'opposant à la Société Beneteau, ensemble sur la demande reconventionnelle de cette dernière au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Faits et procédure :

Suivant contrat du 29 septembre 1981, la Société Beneteau (ou : Chantiers Beneteau) accordait à la Société Azur Plaisance la concession exclusive de vente de ses bateaux pour une durée de 3 années dans le département des Alpes Maritimes, y compris la Principauté de Monaco.

L'article II du contrat prévoyait en son alinéa 5 que la Société Azur Plaisance s'engageait " à ne vendre ou faire vendre, directement ou indirectement, aucun produit directement concurrent de ceux faisant l'objet du présent contrat ".

L'article XVI stipulait que Beneteau pourrait résilier le contrat à tout moment si dans les 30 jours d'une notification invoquant un manquement contractuel du concessionnaire notamment à l'article II-5, celui-ci ne se conformait pas à ses obligations en mettant fin au manquement. Cette résiliation interviendrait alors de plein droit sans recours à une autorité judiciaire.

Le contrat était renouvelé pour une période de 3 années qui devait se terminer le 29 septembre 1987.

Or, Beneteau faisait connaître à Azur Plaisance, le 3 juin 1985 qu'en raison de ses manquements contractuels, à notamment l'article II-5 du contrat, celui-ci serait résilié de plein droit en application de son article XVI si elle ne mettait pas fin à ces manquements, puis le 4 juillet 1985 lui confirmait cette résiliation.

Le 17 octobre 1985, Azur Plaisance a assigné Beneteau en paiement de 4.800.000 F à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de concession, outre 50.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Beneteau a demandé reconventionnellement la condamnation d'Azur Plaisance au paiement de la somme de 2.030.000 F pour pertes et marges sur le chiffre d'affaires 1984-85 par rapport aux quotas contractuels et de celle de 2265000 F au titre des ventes qu'elle n'a pu réaliser en l'absence de concessionnaire entre le 4 juillet 1985 et le début de 1986.

Par jugement du 5 juin 1987, le Tribunal de Commerce a débouté les parties de leurs demandes principales et reconventionnelles et a condamné Azur Plaisance aux dépens.

La société Azur Plaisance demande à la Cour de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Beneteau de ses demandes reconventionnelles, de l'infirmer pour le surplus, de dire que Beneteau a rompu abusivement le contrat de concession et de la condamner à lui payer la somme de 4.800.000 F à titre de dommages-intérêts de ce chef ainsi que celle de 50.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

La société Beneteau (ou : Chantiers Beneteau) prie la Cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de condamner Azur Plaisance à lui payer la somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Discussion :

Considérant qu'il y a lieu d'observer que Beneteau, qui demande la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, ne reprend pas devant la Cour ses demandes reconventionnelles en dommages-intérêts qui ont été rejetées par le Tribunal de Commerce ;

I - SUR LA RESILIATION DU CONTRAT DE CONCESSION ;

Considérant que Beneteau reproche à Azur Plaisance d'avoir violé son obligation de non-concurrence prévue à l'article II paragraphe 5 du contrat de concession exclusive en vendant ou faisant vendre des bateaux concurrents par l'intermédiaire de la Société International Marine ;

Considérant qu'il résulte de l'extrait du Registre de Commerce de Paris et n'est pas contesté que Jean Pierre Martial, PDG d'Azur Plaisance, a créé en mai 1984 avec des membres de sa famille la S.A. International Marine dont il était PDG et qui avait même objet social que Azur Plaisance ;

Considérant qu'Azur Plaisance soutient que la clause de non-concurrence prévue au contrat de concession ne peut concerner que les activités du concessionnaire à l'intérieur du territoire concédé et ne lui interdit pas d'exercer son activité en dehors de ce territoire sur des produits concurrents de ceux du concédant, qu'en effet cette obligation de non-concurrence n'est que la contrepartie de l'engagement d'exclusivité accordé par le concédant sur ce territoire, qu'il en résulte que Beneteau ne peut lui reprocher des ventes de bateaux concurrents aux Etats-Unis d'Amérique ;

Mais considérant que la clause de non-concurrence stipulée à l'article II alinéa 5 du contrat ne comporte aucune limitation au territoire concédé, que Beneteau ne pouvait en effet admettre qu'Azur Plaisance puisse profiter de sa qualité de concessionnaire exclusif dans ce territoire pour la concurrencer en dehorset que dans le cas où l'appelante aurait pensé qu'elle avait cette possibilité elle n'aurait pas eu à faire effectuer les ventes incriminées par International Marine ;

Considérant que l'appelante, tout en reconnaissant que le contrat de concession en cause échappe à l'application de l'article 85 du Traité de la Communauté Économique Européenne qui ne concerne que la liberté du commerce entre États membres, fait observer que le Règlement n° 1983-83 de la Commission de Bruxelles stipule dans ses motifs que les restrictions de concurrence admises dans un accord de concession exclusive " obligent le concessionnaire exclusif à concentrer ses activités sur les produits visés au contrat et sur le territoire concédé " ;

Mais considérant que, comme le relève Beneteau, ce Règlement prévoit seulement dans l'article 2 paragraphe 2 de son dispositif que peut être imposée au concessionnaire exclusif comme restriction de concurrence " l'obligation de ne pas fabriquer ou distribuer des produits concurrents à ceux visés au contrat " sans limiter cette obligation au territoire concédé, qu'en tout état de cause ce Règlement communautaire n'est pas applicable en l'espèce ;

Considérant en outre qu'il résulte des documents produits que la promotion de ventes de bateaux concurrents par International Marine a été effectuée dans les locaux et par le personnel d'Azur Plaisance à Antibes, c'est-à-dire dans le territoire concédé ;

Considérant que la vente de ces bateaux aux Etats-Unis d'Amérique ne pouvait que concurrencer l'intimée présente dans ce pays par sa filiale Beneteau USA;

Considérant que subsidiairement, l'appelante soutient que la clause de non-concurrence prévue au contrat de concession exclusive serait nulle comme n'étant pas limitée dans le temps et dans l'espace comme l'impose la jurisprudence ;

Mais considérant que la jurisprudence invoquée concerne les clauses de non-concurrence liant un salarié à son employeur après la cessation du contrat de travail et que leur limitation a pour objet de permettre à cet ancien salarié de retrouver une activité professionnelle, qu'il n'en est nullement ainsi pour une clause de non-concurrence dans un contrat de concession exclusive applicable pendant la durée de cette concession, que le concessionnaire ne peut alors se plaindre de ne pouvoir exercer d'autres activités alors qu'il doit se consacrer exclusivement à celles prévues par le contrat ;

Considérant qu'il en résulte que cette clause de non-concurrence ne doit pas être déclarée nulle ;

Considérant que ce n'est que " infiniment subsidiairement " que l'appelante soutient que le contrat conclu entre elle et Beneteau ne peut s'appliquer à International Marine qui est une entité juridique distincte d'Azur Plaisance ;

Considérant en effet que si International Marine a son siège social indiqué au Registre du Commerce comme étant à Paris, il résulte des documents produits qu'elle a non seulement, le même président que Azur Plaisance mais encore les mêmes numéros de téléphone et de télex et que ses activités commerciales s'effectuent dans les locaux de cette dernière à Antibes ;

Considérant que si une clause de non-concurrence ne peut lier que les cocontractants, il apparaît ainsi que l'appelante, par l'intermédiaire d'une société de façade, a engagé son infrastructure commerciale et l'activité de ses dirigeants dans une activité directement concurrente de celle de Beneteau, violant son obligation de non-concurrence stipulée à son contrat de concession exclusive ;

Considérant qu'Azur Plaisance soutient que l'intimée serait de mauvaise foi car elle savait que son président Martial était en même temps le président d'International Marine depuis mai 1984, ce qui ne l'a pas empêchée de renouveler le contrat de concession exclusive ;

Mais considérant que Beneteau fait exactement valoir qu'elle n'a connu la concurrence d'Azur Plaisance qu'en 1985 par les documents produits et notamment les publications effectuées aux Etats-Unis d'Amérique ;

Considérant que Azur Plaisance allègue encore que Beneteau aurait fait preuve de mauvaise foi à son égard dans d'autres circonstances, mais que les faits qu'elle lui reproche et que l'intimée conteste ne sont pas établis et ne pouvaient en tout état de cause autoriser l'appelante à violer la clause de non-concurrence ;

Considérant que, comme l'ont dit les magistrats consulaires, le concessionnaire ayant une obligations générale de loyauté à l'égard du concédant et s'étant engagé contractuellement à développer ses ventes, la violation de la clause de non-concurrence par Azur Plaisance constitue un manquement grave tant à la lettre qu'à l'esprit du contrat, qu'elle justifiait la résiliation de ce contrat de concession exclusive par application de son article XVI, qu' Azur Plaisance doit donc être déboutée de sa demande pour rupture abusive de contrat ;

II - SUR L'ARTICLE 700 DU NOUVEAU CODE DE PROCEDURE CIVILE :

Considérant qu'il est équitable de laisser à la charge d'Azur Plaisance, qui succombe en ses prétentions, les frais non taxables qu'elle a exposés, qu'elle doit être déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Considérant qu'il serait en revanche inéquitable de laisser supporter à Beneteau, qui a gain de cause en sa défense, les frais non compris dans les dépens qu'elle a dû exposer, qu' Azur Plaisance doit être condamnée à lui payer la somme justifiée de 10.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Par ces motifs, Et ceux non contraires des premiers juges, Déboute la Société Azur Plaisance de son appel ; Confirme le jugement rendu le 5 juin 1987 par le Tribunal de Commerce de Paris (15e chambre) en toutes ses dispositions ; Ajoutant au jugement, Condamne la Société Azur Plaisance à payer à la Société Beneteau (ou : Chantiers Beneteau) la somme de 10.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne la Société Azur Plaisance aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés directement contre elle par Me Bolling, avoué, pour ceux dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.