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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. civ., 23 janvier 1989, n° 2914-87

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Top Agri (SARL), Comptoir Puylaurentais (SARL)

Défendeur :

Duquesne Purina (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jorda

Conseillers :

Mme Mettas, M. Lebreuil

Avoués :

SCP Boyer-Lescat-Boyer, SCP Rives

Avocats :

SCP Alquier-Descarpentrie-Thiery, Me Sardi.

T. com. Castres, du 5 août 1987

5 août 1987

Attendu que suivant acte en date du 6 septembre 1968, Mme Chatillon, agissant en sa qualité de PDG de la SA " Union Lauragaise Agricole " (ULA) a acquis des époux Pontier un fonds de commerce de meunerie, graineterie, produits agricoles exploité à Puylaurens, et bénéficiant d'un contrat d'exclusivité pour la négociation des aliments destinés au bétail, produits par la SA " Duquesne Purina " ;

Attendu qu'en 1986, Mme Chatillon, devenue gérante de la SARL " Top Agri " qui a pris la suite, dès 1978, de la SA " ULA ", a fait part à la Sté Duquesne Purina de son intention de céder son fonds de commerce ;

Attendu que le 17 février 1987, la SA " Duquesne Purina " a refusé de donner son agrément à la cession de la concession aux frères Batailhou, acquéreurs présentés par Top Agri, en raison de leur inexpérience dans le domaine agricole ;

Attendu que la SARL " Top Agri " lui a néanmoins fait savoir que le fonds serait désormais exploité par la SARL " Comptoir Puylaurentais ", cogérée par les frères Batailhou ;

Attendu que c'est dans ces conditions que le 24 février 1987, la SA " Duquesne Purina " a reproché à la SARL " Top Agri " d'avoir unilatéralement rompu le contrat de concession, et que le 23 avril 1987, elle l'a averti qu'à compter du 1er juillet 1987, M. Cros serait son concessionnaire exclusif ;

Attendu que suivant exploit du 17 mai 1987, la Sté Top Agri et la Sté Comptoir Puylaurentais ont fait assigner la SA " Duquesne Purina " devant le Tribunal de Commerce de Castres pour la contraindre à leur livrer les marchandises commandées ;

Attendu qu'en limine litis, la Sté Duquesne Purina a soulevé l'incompétence du Tribunal de Commerce de Castres au profit du Tribunal de Commerce de Paris, en soutenant que les parties étaient liées par un contrat du 1er mars 1988 comportant une clause attributive de compétence au Tribunal de Commerce de la Seine ;

Attendu que les premiers juges ont fait droit à cette exception d'incompétence suivant jugement du 5 août 1987, mais que par arrêt du 23 novembre 1987, évoquant le fond de l'affaire, la Cour a déclaré bien fondé le contredit formé par la Sté Top Agri et le Comptoir Puylaurentais, en l'état " des incertitudes " que pèsent sur le contrat du 1er mars 1988, et sur son applicabilité aux relations contractuelles ayant existé entre les Stés Top Agri et Duquesne Purina ;

Attendu que par conclusions signifiées le 20 janvier 1988, les SARL " Top Agri " et " Le Comptoir Puylaurentais " soutiennent que la convention d'exclusivité dont bénéficiait Top Agri a été rompue abusivement par la SA Duquesne Purina ; que celle-ci n'est pas fondée à soutenir que le contrat d'exclusivité n'avait été conclu qu'intuiti personae, et qu'elle était en droit de refuser l'agrément d'un nouveau concessionnaire, alors en réalité que la personnalité de Mme Chatillon n'était pas un élément déterminant dans les relations commerciales des parties ; que l'opération menée par la SA " Duquesne Purina " n'avait pas en réalité d'autre objet que d'évincer la SARL " Comptoir puylaurentais " au profit d'un tiers ;

Attendu qu'elles demandent en conséquence que la SA " Duquesne Purina " soit condamnée à poursuivre les livraisons sous astreinte 25 000 F pour chaque refus constaté, et à leur payer la somme de 1 200 000 F à titre de dommages-intérêts, pour le cas où elle persisterait dans son refus de toute relation commerciale, outre 8 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Attendu que la Sté Duquesne Purina, défenderesse, prétend quant à elle que le contrat du 1er mars 1968 par lequel elle a concédé la vente de ses produits à la Sté ULA est parfaitement valable, et opposable aux demanderesses ; qu'il n'a été conclu qu'en considération de la personne du concessionnaire, gérant de cette société, lequel s'était au demeurant interdit d'en céder en totalité, ou partiellement les effets ; que, de toute façon, le caractère " intuiti personae " relève de l'essence même de la concession ;

Attendu qu'elle conclut au rejet des demandes formulées par Top Agri, et par le Comptoir Puylaurentais, et sollicite, par voie de reconvention, leur condamnation au paiement des sommes de 200 000 F à titre de dommages-intérêts, en raison des frais qu'elle a été contrainte d'exposer pour mettre en place un nouveau concessionnaire, et 20 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Sur quoi,

Attendu qu'il est constant, quelque soit l'incertitude qui pèse sur la validité du contrat du 1er mars 1968, et sur son applicabilité aux rapports contractuels ayant existé entre les Stés Top Agri et Duquesne Purina, que les relations commerciales étaient régies par un contrat de concession exclusive, conclu pour une durée indéterminée, et auquel, par conséquent, le concédant pouvait mettre fin à tout moment ; qu'il est en effet tenu pour principe que la rupture d'un contrat d'exclusivité à durée indéterminée est toujours possible, même s'il est déjà d'une grande ancienneté, à condition que soit respecté le délai de préavis contractuel, ou, à défaut, un préavis de durée raisonnable, c'est-à-dire conforme aux usages commerciaux, sauf faute grave du concessionnaire justifiant une résiliation immédiate;

Attendu qu'en l'espèce la Sté Duquesne Purina a laissé à son concessionnaire un délai de 4 mois à titre de préavis, et qu'il n'est à aucun moment soutenu par les sociétés demanderesses que ce délai n'a pas été respecté, ou qu'il était insuffisant au regard des usages commerciaux dans le secteur d'activité considérée;

Attendu que les Sté Top Agri et Comptoir Puylaurentais ne peuvent donc prétendre à des dommages-intérêts qu'en démontrant que le concédant a rompu abusivement la convention;

Attendu qu'elles soutiennent à cet égard que les motifs avancés par la SA " Duquesnes Purina " pour dénoncer la concession, à savoir l'insuffisance des résultats de Top Agri, et le caractère " intuitu personae " du contrat ne sont que des prétextes, et que leur fournisseur s'est en réalité livré à une véritable opération de concurrence déloyale, par personne interposée, en leur présentant comme acquéreur éventuel un nommé Combes, puis, celui-ci ayant pris connaissance des documents comptables et commerciaux, en l'incitant à renoncer pour, finalement, soutenir l'activité concurrente qu'il a développée à Puylaurens ;

Mais attendu que la preuve de ces manœuvres n'est pas rapportée ; qu'il n'est pas démontré, en particulier, que la SA " Duquesne Purina " est responsable de la décision de M. Combes de ne pas se porter acquéreur ;

Et attendu, que les motifs allégués par Duquesne Purina pour justifier la rupture de la convention sont pertinents ; que certes l'insuffisance des résultats de Top Agri n'est pas suffisamment caractérisée, mais que la défenderesse est en revanche bien fondée à soutenir que le contrat de concession est toujours conclu " intuitu personae " quelle que soit la forme de la concession, et qu'il est en principe incessible, sauf accord du concédant;

Attendu que ces caractéristiques, inhérentes à tous les contrats d'exclusivité, ont été de surcroît rappelées à Top Agri, le 24 juillet 1981, lorsqu'a été dressé un projet de contrat, accepté et signé par Mme Chatillon, mais finalement refusé par Duquesne Purina qui n'acceptait pas que son cocontractant agrandisse sans son accord son secteur d'activité ;

Attendu qu'il était expressément prévu par ce projet, à la lumière duquel doivent être appréciées les relations contractuelles qu'au cas où le concessionnaire serait une société commerciale, il serait tenu compte de la personnalité de ses dirigeants responsables ainsi que de celles de leurs principaux associés ou mandants ; qu'ainsi, et sans qu'il soit besoin de faire référence au document, contesté, du 1er mars 1968, il est clair que le concédant se réservait le droit d'agréer tout nouveau concessionnaire ;

Attendu que la SA " Duquesne Purina " était en droit dans ces conditions de s'opposer à ce que la SA " Comptoir Puylaurentais " au sein de laquelle les frères Batailhou, dont elle redoutait l'inexpérience en matière agricole, occupaient les fonctions de cogérants, reprenne la concession ;

Attendu qu'il y a lieu, par suite, de débouter les Stés Top-Agri et " Comptoirs Puylaurentais " de toutes leurs demandes ;

Attendu que, de son côté, la SA Duquesne Purina ne justifie pas du préjudice qu'elle prétend avoir subi du fait de la rupture de la convention, et de la nécessité où elle s'est trouvée de rechercher un autre concessionnaire ;

Attendu qu'il est au contraire établi, par la lettre qu'elle a adressée dès le 23 avril 1987 à Top Agri pour l'informer que M. Cros serait son concessionnaire exclusif à compter du 1er juillet 1987, qu'il n'y a eu aucune solution de continuité, et que dès l'expiration de délai de préavis, la défenderesse avait remplacé son concessionnaire ; que sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 200 000 F n'est donc pas fondée ;

Attendu qu'il serait en revanche inéquitable de laisser à sa charge les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'exposer à l'occasion du présent litige, et en considération desquels, les Stés Top Agri et le Comptoir Puylaurentais seront condamnés à lui payer la somme de 4 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Et attendu que ces 2 sociétés, qui succombent en toutes leurs prétentions, supporteront la charge des dépens.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant par voir d'évocation, Déclare la Sté Top Agri, et la Sté " Le Comptoir Puylaurentais " mal fondées en leurs demandes ; les en déboute ; Rejette la demande reconventionnelle de la SA " Duquesne Purina " tendant au paiement de la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts ; Condamne les Stés Top Agri et Comptoirs Puylaurentais à payer à la SA Duquesne Purina la somme de 4 000 F (quatre mille francs) par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Les condamne en outre en tous les dépens.