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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 13 mars 1989, n° 5-88

REIMS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Garage Jack Thomas (SARL)

Défendeur :

Sidat Toyota France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Falcone

Conseillers :

Mme Minini, M. Mahieux

Avoués :

SCP Six-Guillaume, SCP Chalicarne-Delvincourt

Avocats :

Mes Leibovici, Threard

T. com. Troyes, du 9 nov. 1987

9 novembre 1987

LA COUR,

Faits, procédure et moyens des parties

Par contrat du 8 janvier 1985, la société Sidat Toyota France a concédé sans exclusivité à la société Garage J. Thomas le droit de vente des produits Toyota dans l'arrondissement de Troyes.

Ce contrat a été souscrit pour une année sans possibilité de tacite reconduction et il était prévu que " dans l'intérêt réciproque des parties, celle qui ne désirerait pas contracter à nouveau lors de l'expiration du présent contrat, devra en prévenir l'autre au moins 3 mois avant la date d'expiration du présent contrat par lettre recommandée " ;

Par courrier du 28 novembre 1985, le Garage Thomas a informé la société Sidat Toyota qu'il n'entendait pas poursuive ses relations commerciales au-delà du 1er janvier 1986.

Estimant que cette dénonciation était tardive, la société Sidat Toyota a fait assigner la garage Thomas en paiement de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat ;

Par jugement du 9 novembre 1987, le Tribunal de commerce de Troyes a :

- dit qu'il y a eu rupture abusive par la SARL Thomas du contrat de concession non exclusive conclu le 8 janvier 1985 ;

- condamné la SARL Thomas à payer à la société Sidat Toyota France la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts ainsi que celle de 3 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La SARL Garage Thomas a interjeté appel de ce jugement.

Elle demande à la cour de débouter la société Sidat de toutes ses demandes et de la condamner au paiement d'une somme de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Thomas expose que la société Sidat n'a pas tenu ses engagements ce qui l'a amenée à cesser les relations commerciales mais que jusqu'au 31 mars 1986, elle assuré le service après-vente auprès de sa clientèle.

Elle invoque divers moyens au soutien de son appel :

- il s'agit là d'un contrat à durée déterminée qui est venu à son terme et il n'y a pas eu résiliation ;

- la société Sidat n'a subi aucun préjudice du fait du non respect du préavis de trois mois.

- à titre subsidiaire, le contrat est nul car le prix de vente n'est pas déterminé et n'est pas déterminable en dehors de la seule volonté du vendeur ;

- le contrat est nul par application de l'article 85-2e traité de la CEE en raison de la clause d'exclusivité.

La société Sidat Toyota France conclut à la confirmation du jugement entrepris et au paiement d'une indemnité de 20 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de prodédure civile.

Elle répond qu'elle a toujours rempli ses obligations et que la société Thomas ne rapporte pas la preuve contraire.

Que le règlement communautaire 123-85 est inapplicable en l'espèce car il ne s'agit pas d'une concession exclusive puisque le garage Thomas était déjà concessionnaire Lada.

Que le garage Thomas aurait dû informer son cocontractant de sa décision avant le 30 septembre 1985, alors surtout que la société Sidat avait, elle, manifesté son intention de poursuivre le contrat.

Qu'elle a subi un préjudice car elle a dû en toute hâte trouver une solution de remplacement auprès de ses clients.

Qu'il ne s'agit pas d'un contrat de vente mais d'un contrat de distribution et que c'est au moment de la signature de chaque vente de véhicule que le prix est fixé.

Motifs de l'arrêt

Attendu que le contrat de concession liant les parties a été conclu pour une durée déterminée de 1 an ;

Qu'il est expressément prévu qu'il se terminera de plein droit le 31 décembre 1985 " sans aucune possibilité de tacite reconduction " mais que " dans l'intérêt réciproque des parties, celle qui ne désirerait pas contracter à nouveau lors de l'expiration du présent contrat devra en prévenir l'autre au moins 3 mois avant la date d'expiration du présent contrat par lettre recommandée " ;

Qu'il en résulte que les parties n'ayant pas renouvelé le contrat, celui-ci s'est achevé le 31 décembre 1985.

Que la demande présentée par la société Sidat a pour fondement le fait que le garage Thomas ne l'a pas informée de son intention de ne pas renouveler le contrat au moins 3 mois avant la date d'expiration et que le non-respect de ce délai lui a causé un préjudice ;

Attendu que le garage Thomas soulève la nullité du contrat et par conséquent celle de la clause dont il est demandé de faire application ;

Qu'il invoque l'article 85-2 du traité de Rome ;

Attendu que l'article 85-1 du traité CEE pose comme principe que sont interdits tous accords entre entreprises qui ont pour objet ou effet d'empêcher ou de restreindre le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun ;

Que ces accords sont nuls de plein droit ;

Attendu que l'article 85-3 du traité prévoit que dans certains cas, l'article 85-1 peut être déclaré inapplicable ;

Attendu qu'en référence à ce texte, la Commision des Commuanutés européennes a arrêté un règlement n° 123-85 par lequel elle déclare inapplicable, sous certaines conditions, l'article 85 § 1 du traité CEE, aux accords auxquels ne participent que deux entreprises et dans lesquels une partie à l'accord s'engage vis à vis de l'autre à ne livrer, à l'intérieur d'une partie définie du marché commun, que à celle-ci ou que à celle-ci et à un nombre déterminé d'entreprise du réseau de distribution, dans le but de la revente, des véhicules automobiles ;

Que l'article 3 de ce règlement prévoit que l'exemption s'applique également lorsque l'engagement décrit à l'article 1er est lié à l'engagement du distributeur de ne pas conclure avec des tiers des accords de distribution ou de service de vente pour des produits concurrents des produits contractuels ;

Attendu qu'il résulte de ces textes que pour échapper à l'interdiction de l'article 85-1 du traité CEE les contrats de concession exclusive doivent être conformes aux prescriptions édictées par l'article 5 du règlement 123-85 ;

Attendu qu'il n'est pas contesté que le contrat litigieux n'est pas conforme à cet article ;

Que la société Sidat Toyota France soutient qu'elle n'avait pas à mettre son contrat en conformité, car le règlement communautaire ne lui serait pas applicable s'agissant d'une concession non exclusive ;

Attendu que la Commission des Communautés européennes définit ainsi les accords concernés par son règlement : " Il s'agit des accords de durée déterminée ou indéterminée par lesquels le co-contractant fournisseur charge le cocontractant vendeur de promouvoir dans un territoire déterminé la distribution et le service de vente et d'après-vente de produits déterminés du secteur des véhicules automobiles et par lequel le fournisseur s'engage envers le distributeur à ne livrer dans le territoire convenu des produits contractuels en vue de la revente qu'au distributeur ou, entre le distributeur, qu'à un nombre limité d'entreprises du réseau de distribution " ;

Attendu que ce texte ne formule une exigence d'exclusivité que par rapport au fournisseur et non au distributeur ;

Qu'ainsi pour que le règlement 123-85 soit applicable, il suffit que l'engagement du fournisseur soit exclusif sans qu'importe que le distributeur soit ou non tenu de vendre exclusivement les produits fournis par le concédant ;

Attendu qu'en l'espèce, la société Sidat Toyota a concédé le droit de vente de ses produits au garage Thomas exclusivement ;

Que le fait que le garage Thomas soit également concessionnaire Lada n'a pas pour effet de lui rendre inapplicable le règlement 123-85 ;

Que le contrat aurait dû, avant le 1er octobre 1985, être mis en conformité avec le règlement communautaire ;

Que ne l'ayant pas été, il est nul et aucune de ses clauses ne peut recevoir application ;

Attendu que le jugement sera infirmé et la société Sidat Toyota France déboutée de sa demande ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'appelant les frais irrépétibles qu'il a exposés et que la cour fixe à 5 000 F ;

Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris ; Statuant à nouveau, Déboute la société Sidat Toyota France de l'ensemble de ses demandes ; Condamne la société Sidat Toyota France à payer à la société Garage Jack Thomas une indemnité de Cinq Mille francs (5 000 F) par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Sidat Toyota France aux dépens de première instance et d'appel ; Dit que ces derniers seront recouvrés par la SCP Six-Guillaume, Avoué, selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.