CA Paris, 4e ch. B, 23 mars 1989, n° 86-018320
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Euro Garage (SA)
Défendeur :
Régie nationale des usines Renault
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnefont
Conseillers :
Mme Beteille, M. Gouge
Avoués :
SCP Roblin-Chaix de Lavarene, SCP Duboscq-Pellerin
Avocats :
Mes Thréard, Simon
La société Euro Garage était l'un des deux concessionnaires Renault pour La Rochelle depuis 1975 en vertu de contrats d'exclusivité à durée déterminée. En janvier 1982, c'est un contrat de deux ans qui a été signé. Le 24 juin 1983 a été publié au Journal Officiel des Communautés Européennes un projet de règlement sur l'application de l'article 85 paragraphe 3 du Traité de Rome à des accords de distribution et de service avant et après-vente de véhicules automobiles. Selon ce projet, l'exemption prévue à l'article précité s'applique aux contrats par lesquels le constructeur s'engage à ne vendre dans un territoire défini du marché commun qu'à un seul distributeur (article 1er), étant précisé que l'article 3 autorise le constructeur à stipuler que le distributeur se consacrera exclusivement à la vente de ses produits et ne vendra pas de véhicules concurrents, limite l'exclusivité des pièces de rechange aux produits qui n'atteignent pas le même niveau de qualité, autorise la vente à un revendeur dès lors qu'il est lui-même autorisé par un utilisateur final. L'article 4 transforme en une simple obligation de moyens (s'efforcer de vendre) l'exigence minimale de distribution. Selon l'article 5, en cas d'engagement d'exclusivité ou de clause de non-concurrence, la durée de l'accord doit être d'au moins cinq ans ou prévoir un préavis de deux ans s'il est à durée indéterminée. Selon l'article 11, le règlement obligatoire dans tous ses éléments aurait dû entrer en vigueur le 1er janvier 1984 mais du retard a été pris.
Se référant à ce projet, Renault a donc écrit à Euro Garage le 28 septembre 1983 une lettre recommandée avec avis de réception par laquelle elle l'avisait qu'un contrat, semblable au contrat antérieur, serait proposé à sa signature en janvier 1984 ajoutant toutefois : "pour nous conformer aux nouvelles dispositions contractuelles susceptibles d'être imposées par la Commission ... nous serons amenés à vous faire signer durant l'année 1984, soit un nouveau contrat soit un avenant". En janvier 1984 Euro Garage a comme prévu signé un nouveau contrat semblable en tous points au précédent aux objectifs de commercialisation près (revus en diminution).
Le 28 septembre 1984 une nouvelle lettre recommandée avec accusé de réception de Renault a repris textuellement le contenu de la lettre du 28 septembre 1983.
Le 12 décembre 1984 a été promulgué le Règlement CEE n° 123-85 de la Commission dans sa forme achevée. Ce règlement publié au Journal Officiel des Communautés le 18 janvier 1985 prend effet le 1er juillet 1985 (article 14) mais autorise jusqu'au 1er octobre 1985 à mettre en conformité les contrats qu'il concerne avec effet rétroactif au 1er juillet 1985 (article 8). Par rapport au projet, la différence porte essentiellement sur la durée des contrats à durée déterminée (quatre ans minimum) et du préavis (un an) pour les contrats à durée indéterminée (article 5). Les objectifs du concessionnaire Euro Garage ont été revus pour 1985 par un avenant non daté. Le 20 février 1985 Renault a avisé Euro Garage de son intention de ne pas renouveler le contrat de concession "au-delà du 31 décembre 1985".
Le 29 mai 1985, Euro Garage, se référant à la lettre du 29 septembre 1984, a demandé à Renault de lui adresser "l'avenant annoncé".
Le 7 juin 1985 Renault a confirmé sa lettre du "21 février 1985" précisant par ailleurs "nous nous conformerons aux dispositions arrêtées par la Réglementation Communautaire ... pour les concessions qui bénéficieront du nouveau Contrat Communautaire" et le 25 juin 1985 elle a insisté sur le terme du 31 décembre 1985 pour les relations contractuelles. Le même jour Euro Garage a rappelé l'obligation pour Renault de mettre "en harmonie" le contrat dès le 1er juillet par un avenant conformément à un engagement réitéré et en application du droit communautaire, puis le 28 juin, elle a allégué que le terme du contrat ne pouvait désormais être antérieur au 31 décembre 1987 rappelant les "promesses" de Renault et demandant une réponse sous huitaine, réponse qui intervint le 3 juillet et comportait une fin de non recevoir. Toutefois, le 8 juillet Renault annonçait à son concessionnaire : "... je présenterai à votre signature dans les meilleurs délais un avenant à votre contrat de concession signé le 1er janvier 1984 dans les conditions suivantes :
- durée six mois à compter du 30 juin 1985 ...
- zones d'activité ...
Nous conformant aux dispositions de la réglementation européenne et prenant en compte notamment les dispositions du règlement 123-85, il est bien entendu que vous êtes libéré de toute exclusivité jusqu'à la fin de nos relations contractuelles".
Le 15 juillet 1985 Euro Garage a manifesté son désaccord sur deux points :
- Renault doit préciser "les critères qui motivent la décision" et demandé pourquoi il était décidé de la "libérer de toute exclusivité".
Le 26 juillet 1985, se référant aux lettres des 28 septembre 1983 et 1984, elle a affirmé n'avoir accepté de contracter qu'"en fonction de la référence ... faite au Règlement (Communautaire)" "sous l'empire duquel nous avons tenu à placer le contenu de nos rapports" c'est-à-dire avec une durée de quatre ans et un préavis de six mois. Elle a dit n'avoir pas reçu d'avenant et n'avoir jamais demandé à être libérée de l'obligation d'exclusivité. Elle mettait Renault en demeure de lui adresser l'avenant "annoncé en 1983 et 1984".
Ces correspondances n'ont pas eu d'autre suite que contentieuse et le Tribunal de commerce de Paris (1re chambre) saisi par Euro Garage dans des circonstances suffisamment exposées par les premiers juges, a débouté le 22 septembre 1986 Euro Garage de sa demande à fins indemnitaires et l'a condamnée à payer à Renault une somme de 6.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les dépens liquidés à 215,55 F TTC.
Euro Garage a relevé appel par déclaration du 30 octobre 1986 et saisi la cour le 19 novembre 1986. Après constitution de Renault elle a conclu à l'infirmation du jugement, au prononcé avec effet au 1er juillet 1985, de la nullité des clauses d'exclusivité du contrat du 1er janvier 1984 et par voie de conséquence à l'annulation du contrat dans son ensemble, à l'existence d'une faute de Renault dans le refus de mettre le contrat en harmonie avec la réglementation européenne ainsi que d'un manquement à la bonne foi constitutif d'abus du droit, et une fraude à l'ordre public européen, à l'existence d'un préjudice tenant à la perte d'une chance de voir les rapports commerciaux se poursuivre jusqu'au 31 décembre 1987, au paiement, avec intérêts, d'une provision de 1.500.000 F à valoir sur une indemnité à déterminer après expertise, au paiement d'une somme de 50.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et des dépens de première instance et d'appel.
Renault a conclu d'abord banalement puis au fond à la confirmation, en toute hypothèse à l'absence de faute et de préjudice et au paiement d'une somme de 20.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et des dépens d'appel.
Euro Garage a développé son argumentation.
Renault a répondu par des conclusions soulevant l'irrecevabilité, subsidiairement le mal fondé de demandes nouvelles.
Euro Garage a répliqué invoquant la caducité du contrat à compter du 1er juillet 1985, l'inefficacité de la lettre de préavis, l'existence à partir de cette date d'un contrat de distribution sélective de fait sans exclusivité à durée indéterminée, à la résiliation de ce contrat sans préavis et sans motif au 1er janvier 1986, au paiement d'un indemnité de 5.013.422 F avec intérêts compensatoires à compter de l'introduction de la demande.
Renault a demandé que l'appelante soit déclarée irrecevable en ses "demandes et fondements nouveaux et déboutée" dans tous les cas.
Euro Garage a répondu sur l'irrecevabilité alléguée.
Les moyens des parties, dans leur complexité, peuvent être résumés comme suit :
Euro Garage invoque l'article 85-1 et 2 du Traité de Rome, le règlement d'application du 14 décembre 1984, un arrêt du 18 décembre 1986 par lequel la Cour de justice des Communautés a donné un avis sur l'incidence de ce règlement. Elle soutient qu'il existait dans son contrat une clause d'exclusivité réciproque nulle de plein droit et que le contrat n'ayant pas été adapté la clause est nulle.
Cette clause étant "impulsive et déterminante" sa nullité emporte celle du contrat entier. D'autre part, la correspondance établirait qu'il était de la commune intention des parties que le contrat fut mis en harmonie avec la réglementation communautaire. Renault connaissait le projet, s'était engagée à présenter un avenant dès que la réglementation nouvelle interviendrait et elle s'est contentée de transformer unilatéralement le contrat en contrat de distribution sélective. Il y aurait donc une faute de Renault qui aurait abusé de l'état de dépendance où se trouve un concessionnaire une fois qu'il a signé son contrat. Renault aurait ainsi, sans motif, éliminé un concessionnaire performant au profit d'une entreprise déficitaire.
Euro Garage ajoute que les parties savaient que le contrat devait être modifié et que le règlement d'exemption était une invite à négocier le contenu pour que les clauses essentielles ne puissent être annulées. Renault s'était engagée expressément à présenter un avenant. Il ne s'agissait certes pas d'une promesse de renouvellement mais de validation du contrat. Si les lettres de Renault n'étaient que de "précaution" il s'agirait d'une tromperie engageant sa responsabilité pré-contractuelle. L'avenant annoncé le 8 juillet 1985 n'a jamais été dressé et Renault n'a jamais écrit qu'elle s'interdisait de confier le territoire libéré à un autre concessionnaire dès le 1er juillet 1985. L'adaptation ne concernait pas que les dispositions relatives à la durée. La lettre du 8 juillet ne prenait pas en compte toutes ces modifications. Elle ne peut donc être considérée comme un avenant.
C'est en connaissance de la nécessité de modifier la clause "durée" que Renault a proposé son contrat de janvier 1984.
En dégageant unilatéralement le concessionnaire de son engagement d'exclusivité Renault a tenté d'échapper aux dispositions communautaires d'ordre public. Dans son imprécision la liberté accordée était illusoire et dissimulait une fraude. Il y a eu discrimination par rapport aux autres concessionnaires auxquels Renault a précisé quelle n'userait pas de la faculté de dénoncer leur contrat avant le 31 décembre 1986 et dont les contrats ont été modifiés sur d'autres points essentiels figurant dans le règlement.
Il y aurait pour le moins rupture de pourparlers par Renault en ne répondant pas à la demande d'explication du 15 juillet 1985. Renault ne saurait ajouter à la lettre du 8 juillet qui ne traitait pas des autres conditions du contrat. Les modifications dans les contrats du réseau au 1er janvier 1986 auraient dû l'être le 1er juillet 1985. Renault n'avait aucune obligation de modifier les clauses d'exclusivité et ce n'est pas à cela qu'elle s'était engagée. Elle ne peut se prévaloir de la lettre non motivée du 20 février 1985. Cette lettre est dénuée de portée en raison de l'application de plein droit du règlement au contrat en cours le 1er juillet. En maintenant à Euro Garage l'usage de la marque, en livrant les commandes, en payant les garanties, Renault a maintenu, de fait, un contrat de distribution sélective à durée indéterminée auquel on ne pouvait mettre fin qu'avec un préavis d'un an. Enfin, il n'y aurait pas de prétentions nouvelles mais des moyens nouveaux tendant aux fins initiales.
Renault répond qu'elle n'a jamais promis un contrat européen de quatre ans et qu'elle n'a adressé que des "lettres circulaires de précaution". Elle avait le choix entre contrat à durée déterminée ou indéterminée et la transformation en un contrat nouveau à durée déterminée n'était donc pas automatique. La suppression de l'obligation d'exclusivité du concessionnaire a été faite au seul bénéfice de celui-ci et Renault s'est interdit de confier le territoire d'Euro Garage à un tiers avant le 31 décembre 1985. Les autres obligations se sont poursuivies et il n'est résulté aucun préjudice pour le concessionnaire, Renault ayant exécuté de bonne foi l'ensemble des conventions.
La lettre du 8 juillet 1985 vaut avenant mais Euro Garage l'a expressément rejetée. Renault a abandonné la clause d'exclusivité en application de la réglementation européenne. Les modifications au contrat du réseau ne résultent pas nécessairement de l'application de la législation européenne. Renault n'a pas "manipulé" un concessionnaire qui était en place depuis 1985 et qui maîtrisait son affaire et ses investissements. Elle s'est déterminée en fonction de considérations objectives. La demande a été modifiée en alléguant "une quantité de circonstances étrangères qui sont sans rapport" avec le fondement initial (inapplication de la réglementation européenne). En toute hypothèse le contrat était "légitimement résilié" depuis le 20 février 1985. Il y aurait demandes nouvelles en ce que Euro Garage demanderait de voir dire "sans effet et donc nulle" cette lettre et solliciterait des dommages et intérêts.
Sur ce, LA COUR qui pour plus ample exposé se réfère au jugement et aux écritures d'appel.
1. Sur l'irrecevabilité alléguée :
Considérant que les conclusions de Renault du 20 septembre 1988 (page 5 et 6) qui soulèvent le moyen sont trop vaques en ce qu'elles se bornent à énoncer des généralités alors qu'aux termes de l'article 6 du nouveau Code de procédure civile les parties ont la charge d'alléguer des faits propres à fonder leurs prétentions ; qu'elle n'a pas dit quelles étaient les "circonstances étrangères" visées dans ses écritures ; que le 12 janvier 1988 Renault relève en revanche deux faits précis qui seront seuls examinés ;
- la lettre du 20 février 1985 qui serait "dépourvue de tout effet" ;
- le préjudice "chiffré maintenant ... à une somme de plus de cinq millions de francs ... " ;
Considérant, sur le premier point, que le fait d'inclure dans le dispositif des moyens précédés de "dire et juger" ne modifie en rien leur nature juridique ; que l'absence d'effet (ou la nullité) de la lettre de préavis est un des moyens allégués à l'appui de la demande d'indemnité ; qu'en effet l'absence ou l'irrégularité du préavis si elle est reconnue implique une faute du concédant et justifie donc le principe d'une réparation ;
Considérant que l'appelante, qui s'était bornée à demander une provision et une expertise, a décidé de proposer à la Cour dans ses conclusions du 22 novembre 1988 une évaluation complète de son préjudice tout en sollicitant l'adjucation de ses précédentes écritures ; que la demande de condamnation définitive est virtuellement comprise dans la demande de condamnation provisionnelle et d'expertise ; qu'elle est donc recevable ;
2. Sur le fond :
Considérant que tel que ce texte est interprété par la Commission et par la Cour de Justice des Communautés, sont interdits par l'article 85 paragraphe 1 du Traité de Rome comme contraires au marché commun certains accords entre entreprises qui ont pour objet et pour effet d'empêcher de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun ; que le paragraphe 2 de cet article les sanctionne par une nullité de plein droit sauf si la Commission déclare inapplicables à ces accords les dispositions du paragraphe 1 par une décision réglementaire ou individuelle fondée sur le paragraphe 3 ;
Considérant que la Commission a promulgué le 12 décembre 1984, un tel règlement, publié le 16 janvier 1985 au Journal Officiel des Communautés permettant d'exempter, dans les conditions qu'il détermine, les accords entre deux entreprises par lesquels une partie de l'accord s'engage vis-à-vis de l'autre à ne livrer, à l'intérieur d'une partie définie du marché commun qu'à celle-ci ou à un nombre déterminé d'entreprises du réseau de distribution, dans le but de la revente, des véhicules automobiles et en liaison avec ceux-ci des pièces de rechange (article 1er) ; que les articles 2, 3 et 4 visent un certain nombre de clauses usuelles entre concédants et concessionnaires automobiles qui peuvent pareillement être exemptées ; que l'article 5 énumère les conditions auxquelles les accords visés aux articles précédents sont exemptés ; que les conditions portent sur des engagements du distributeur de nature à améliorer la distribution, un assouplissement de certaines obligations ou restrictions imposées par le fournisseur au distributeur ; que si le distributeur a assumé ses obligations pour améliorer la distribution, l'exemption de la clause de non-concurrence qui pèse sur lui pour les pièces et les véhicules s'applique à la condition que les parties conviennent de la possibilité pour le distributeur de sortir de l'exclusivité si des justifications objectives sont démontrées et qu'elles ne permettent pas au fournisseur de modifier à son profit l'exclusivité à laquelle il s'engage sauf justifications objectives ; que de plus l'accord à durée déterminée doit dans ce cas être d'une durée de quatre ans au moins avec préavis de six mois ; que l'accord à durée indéterminée doit prévoir un préavis d'un an (le tout sauf indemnité de résiliation ou entrée d'un nouveau distributeur dans le réseau), que les conditions objectives doivent être appliquées sans discrimination aux membre du réseau ;
Que article 8 précise que l'interdiction édictée à l'article 85 paragraphe 2 ne s'applique pas à la période antérieure à la modification si cette modification est faite en sorte que les accords "remplissent les conditions énoncées dans le présent règlement" est opérée avant le 1er octobre 1985 et notifiée à la Commission avant le 31 décembre 1985 ; que l'article 14 ajoute que le Règlement entre en vigueur le 1er juillet 1985 et est obligatoire dans tous ses éléments ;
Considérant que l'interprétation donnée de ce règlement par la Cour de Justice des Communautés dans son arrêt VAG France SA c/ Ets Magne SA du 18 décembre 1986 est que le texte autorise les opérateurs économiques à faire échapper leurs accords de distribution à l'interdiction de l'article 85 paragraphe 1 sans le leur imposer et sans modifier le contenu de ces accords ou les rendre nuls ; qu'il appartient ajoute l'arrêt, à la juridiction nationale d'apprécier en vertu du droit national les conséquences d'une éventuelle nullité de certaines clauses contractuelles ;
Considérant que c'est en fonction de cette interprétation du règlement que doit être appréciée la portée des lettres recommandées adressées par Renault à Euro Garage les 28 septembre 1983 et 1984 ;
Considérant qu'il résulte de ces lettres, et plus particulièrement de celle du 28 septembre 1983 que lorsque les parties ont renouvelé, en janvier 1984, pour deux ans, le contrat de distribution exclusive elles savaient que la Commission allait proposer de nouvelles clauses contractuelles susceptibles de faire échapper les contrats de concession exclusive en usage dans l'automobile à la nullité de plein droit frappant de telles pratiques restrictives de la concurrence ; que la lettre du 28 septembre 1984 comme la précédente montre que Renault n'entendait pas se dérober à ce qui lui serait "imposé par la Commission", qu'en réalité la Commission n'a pas imposé des dispositions contractuelles mais proposé des solutions de nature à faire en sorte que les contrats de distribution exclusive en vigueur deviennent après transformation, des facteurs de progrès économique et technique et qu'ils puissent bénéficier au consommateur et échapper de la sorte à l'interdiction de principe ; qu'il s'agissait d'une invitation aux agents économiques à renégocier de tels contrats pour éviter l'annulation de ceux-ci ;
Considérant qu'à peine plus d'un mois après la publication du Règlement communautaire et plus tôt qu'il n'était contractuellement prévu, Renault qui désirait restructurer son réseau en raison de l'évolution défavorable des ventes et limiter à un le nombre des concessionnaires pour La Rochelle a dénoncé le contrat avec effet au 31 décembre 1985 ;
Considérant qu'aucune négociation n'a eu lieu, Euro Garage réclamant la mise en conformité de son contrat notamment en ce qui concerne la durée tandis que Renault s'en tenait au terme extinctif du 31 décembre 1985 ; que le 8 juillet 1985, pressée par son concessionnaire, Renault a présenté à celui-ci les grandes lignes d'un "avenant" annoncé pour le contrat :
- contrat à durée déterminée de six mois à compter du 30 juin 1985,
- mêmes zones d'activité,
- pas d'obligation d'exclusivité pour Euro Garage ;
qu'aucun autre engagement n'était prévu ; que la suite de la correspondance montre qu'Euro Garage a refusé ces modifications ;
Considérant que contrairement à ce qu'exprime Renault dans ses conclusions du 22 avril 1987 page 6 elle n'était pas, par cette lettre, déliée de son obligation de fournir des véhicules et pièces exclusivement à Euro Garage dans le secteur réservé à celle-ci ;
Considérant dès lors que malgré la volonté évidente de Renault d'éluder l'application complète au contrat, dans toutes ses clauses, de la législation communautaire afin de préserver le jeu de la lettre de résiliation du 20 février 1985, le contrat est demeuré un "accord bilatéral dans lequel une partie à l'accord s'engage vis-à-vis de l'autre à ne livrer certains produits qu'à celle-ci dans le but de la revente de l'intérieur d'une partie définie du marché commun" et relevant par suite de l'article 85 paragraphe 1 du Traité de Rome, comme pratique ayant pour objet ou pour effet d'empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun et d'affecter le commerce entre Etats membres; qu'il s'ensuit que cette clause était nulle par application de l'article 85 paragraphe 2;
Considérant que la simple dispense unilatérale de l'obligation d'exclusivité du concessionnaire est insuffisante pour permettre au contrat de bénéficier de l'exemption de l'article 85 paragraphe 3 du traité étant observé, par surcroît, qu'elle ne joue que pour six mois et ne présente donc aucun avantage pour le concessionnaire ;
Considérant que la dispense permet seulement aux termes de l'article 5 du règlement d'éluder l'application des conditions de durée et de préavis prévues au paragraphe 2 de cet article 5 ; qu'en effet il eut été en outre nécessaire pour éviter la nullité de mettre le contrat en harmonie avec le règlement communautaire notamment sur les points suivants :
- article 4-1-3) l'obligation du concessionnaire de commercialiser un nombre minimal de véhicules conformément aux objectifs devient une obligation de moyen alors que dans le contrat d'Euro Garage (article III-1) c'est une obligation de résultat ;
- article 5-1-2-a) le constructeur ne peut sans justifications objectives s'opposer à la conclusion, la modification ou la cessation de sous contrats, alors que dans le contrat d'Euro Garage (article X) l'assentiment du constructeur est toujours nécessaire ;
- article 3-4) faculté pour le concessionnaire de vendre ou utiliser des pièces de rechange concurrentes qui atteignent le niveau de qualité des pièces d'origine, alors que le contrat d'Euro Garage contraint celle-ci à ne vendre ou utiliser que des pièces d'origine ;
- article 5-1-2-d) le constructeur ne peut refuser de livrer au concessionnaire un véhicule que le distributeur a vendu à un utilisateur final et qui correspond à un modèle de la gamme lorsqu'il est offert par le constructeur ou avec son consentement dans l'Etat membre où le véhicule doit être immatriculé (hypothèse non prévue dans le contrat d'Euro Garage);
Considérant que l'exclusivité consentie par Renault à Euro Garage étant dès lors frappée de nullité, cette nullité qui porte sur une prestation qui est la cause impulsive et déterminante de l'engagement d'Euro Garage atteint donc le contrat dans son entier, avec effet au 1er juillet 1985 faute de régularisation avant le 1er octobre 1985;
Considérant qu'en conséquence de cette nullité du contrat la dénonciation de ce contrat, en date du 20 février 1985 et qui doit prendre effet au 31 décembre 1985 alors que le contrat est nul à compter du 1er juillet 1985 est privée de toute efficacité ;
Considérant qu'ainsi Renault ayant, en toute connaissance de la réglementation européenne et d'une nécessaire adaptation du contrat reconnue par elle à deux reprises, éludé l'application de cette réglementation, alors que cette application eut permis au concessionnaire de bénéficier d'un traitement non discriminatoire par rapport aux autres membres du réseau auxquels le droit européen a été très largement appliqué (copie de contrat mise aux débats), elle a par cet acte volontaire qui constitue une faute engagé sa responsabilité à l'égard de son cocontractant auquel en revanche aucune faute ne peut être reprochée puisqu'il a toujours cherché, ainsi qu'il résulte des correspondances à obtenir l'application au contrat des dispositions communautaires et qu'il n'a refusé qu'une proposition de modification comportant pour lui un avantage illusoire;
Considérant que cette responsabilité et d'autant plus certaine que dans le contrat d'adhésion liant les parties, la position dominante appartenait à l'évidence à Renault alors même que Euro Garage était un concessionnaire gérant une entreprise financièrement saine ; qu'il appartenait à la partie dominante de faire en sorte que l'ordre public économique européen soit respecté ; qu'au contraire elle a agi en fraude de celui-ci quelle que puisse être la légitimité des opérations de restructuration du réseau auxquelles elle entendait procéder;
Considérant en effet que Renault ne peut soutenir valablement que non seulement le contrat de concession s'est poursuivi jusqu'à son terme d'une manière normale mais encore qu'Euro Garage aurait bénéficié d'un avantage consistant en la levée, pendant les six derniers mois (et en fait à compter du 8 juillet 1985) de l'obligation d'exclusivité qui pesait sur elle ; qu'Euro Garage relève à juste titre que ce n'est pas en six mois qu'une nouvelle concession de marque peut être conclue ; que d'autre part en raison de l'imprécision même de la lettre du 8 juillet, que Renault persiste néanmoins à considérer comme un avenant, Euro Garage n'était pas en mesure de savoir comment ses obligations résiduelles à l'égard de Renault pourraient être conciliées avec celles qu'elle serait éventuellement amenée à contracter à l'égard d'une marque concurrente ; que la levée de l'exclusivité n'était, dans cette perspective et sur une durée de moins de six mois, qu'un faux-semblant, un obstacle juridique et artificiel sans incidence sur les faits réels ce qui caractérise encore l'existence de la fraude ;
Considérant que, par cette faute, Renault a délibérément privé Euro Garage de la chance de voir son contrat se poursuivre au delà du 31 décembre 1985 pour une ou deux années selon le type de contrat de concession choisi et de voir s'établir des relations contractuelles moins déséquilibrées notamment avec l'obligation pour le concédant de motiver une décision de résiliation, observation étant faite qu'il résulte des pièces produites que dans le réseau c'est un contrat à durée indéterminée qui a été adopté ;
Considérant qu'il est nécessaire pour évaluer le préjudice définitif de désigner un expert ;
Considérant qu'en revanche la Cour a des éléments suffisants pour fixer comme ci-après le montant de l'indemnité provisionnelle qu'il convient d'allouer à l'appelante ;
Considérant qu'il est équitable que les frais non taxables exposés par Euro Garage en première instance et en appel à l'occasion d'une affaire complexe soient mis à la charge de l'intimée comme indiqué au dispositif ; que l'intimée qui succombe conserve tous ses frais non taxables et supportera tous les dépens de première instance et d'appel ;
Par ces motifs : Infirme le jugement du 22 septembre 1986 et statuant à nouveau, reçoit la société Euro Garage en ses moyens et prétentions devant la Cour ; Constate la nullité d'ensemble du contrat de concession exclusive de janvier 1984 (date non précisée) avec effet au 1er juillet 1985 par application de l'article 85 paragraphe 1 et 2 du Traité de Rome ; Déclare la société Régie Nationale des Usines Renault seule responsable de cette nullité et de ses suites dommageables ; La condamne à payer à la société Euro Garage une indemnité provisionnelle de 200.000 F ainsi qu'une somme de 20.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les dépens de première instance et d'appel ; Avant dire droit sur le montant définitif du préjudice, désigne Monsieur Bernard Miquel, expert, 47 rue de Courcelles 75008 Paris (45.62.22.93) avec la mission de prendre connaissance de tous documents détenus par les parties ou par des tiers et de fournir à la Cour tous éléments de nature à permettre d'évaluer le préjudice subi par la société Euro Garage en raison de la faute commise ; Dit que la société Euro Garage consignera au greffe de la Cour la somme de 15.000 F à valoir sur les honoraires de l'expert avant le 1er mai 1989 et que l'expert déposera son rapport au greffe avant le 1er novembre 1989 ; Autorise la SCP Roblin-Chaix de Lavarene, avoué, à recouvrer les dépens d'appel conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute la société Euro Garage de ses autres demandes et la société Régie Nationale des Usines Renault de l'ensemble de ses prétentions.