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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 17 avril 1989, n° 87-667

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Beaubois

Défendeur :

Clinique (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chavanac

Conseillers :

MM. Chardon, Bouchayrole

Avoués :

Mes Bollet Baskal, Paul-Boncour, Faure

Avocats :

Mes Bebe, Menage.

T. com. Paris, 1re ch., du 20 oct. 1986

20 octobre 1986

LA COUR statue sur l'appel interjeté par Mme Annie Poile, épouse Beaubois, du jugement du 20 octobre 1986, par lequel le Tribunal de commerce de Paris l'a déboutée de la demande en livraison, sous astreinte, de marchandises commandées et en paiement de dommages-intérêts formée contre la société Clinique Laboratoires, ensemble, sur les demandes additionnelles présentées par chacune des parties.

Pour l'exposé des faits, de la procédure et des prétentions antérieures des parties, il convient de se référer au jugement frappé d'appel, en rappelant que, par lettre du 18 octobre 1984, Mme Beaubois, qui exploite à Montereau, une boutique de parfumerie et produits de beauté, a fait connaître à la société Clinique, fabricant de produits cosmétiques de haute qualité, son intérêt pour la vente desdits produits.

Après que la société Clinique ait, le 26 octobre, accusé réception de la demande en promettant une visite prochaine de son inspecteur des ventes et que, le 18 février 1985, Mme Beaubois ait vainement renouvelé, par l'intermédiaire de son conseil, son désir de distribuer les produits de cette marque, cette dernière a, par acte du 2 septembre 985, fait assigner la société Clinique en injonction sous astreinte de fourniture des marchandises demandées et en paiement de dommages-intérêts.

C'est dans ces conditions qu'est intervenue la décision déférée, après que le Tribunal de commerce de Montereau, initialement saisi, se soit déclaré incompétent au profit de la juridiction parisienne.

Mme Beaubois, appelante, demande, par infirmation du jugement entrepris, qu'il soit ordonné à la société Clinique de fournir dans le mois toutes les marchandises qui seront commandées, sous astreinte définitive de 500 F par jour de retard ; elle conclut, en outre, à la condamnation de cette société au paiement d'une somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts, ainsi que d'une somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Clinique, intimée, conclut à la confirmation du jugement déféré et, reconventionnellement, à l'allocation d'une somme de 10 000 F en remboursement des frais non compris dans les dépens.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que, se fondant sur les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986, Mme Beaubois fait valoir, à l'appui de son appel, que le refus opposé par la société Clinique de lui fournir ses produits n'aurait pas pour effet d'assurer un progrès économique et de donner aux utilisateurs une partie du profit en résultant ;

Qu'elle soutient que sa boutique répond aux critères de qualité de vente des grandes marques de parfum ;

Que ses demandes de livraison de produits ne présentent aucun caractère anormal et qu'elles sont faites de bonne foi ;

Que le refus opposé par la société Clinique aurait pour but de figer son réseau de distribution, de favoriser les monopoles locaux ainsi que les rentes de situation et, par cette pratique de restrictions arbitraires à la concurrence, de nuire au progrès économique au détriment du service dû au consommateur ;

Mais considérant qu'il échet tout d'abord de constater que les faits objet du litige, s'étant déroulés en 1984 et 1985, ne peuvent être appréciés au vu des dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 dont seules les dispositions d'ordre pénal sont immédiatement applicables aux instances en cours ;

Considérant qu'au regard des dispositions de l'ordonnance du 30 juin 1945 (seules à retenir en l'espèce et dont, par ailleurs, un certain nombre ont été reprises dans l'ordonnance du 1er décembre 1986), il convient de relever que si tout fournisseur est tenu de soumettre ses produits au libre jeu de la concurrence, il peut toutefois limiter leur vente à certains commerçants lorsque ces restrictions sont indispensables pour assurer un progrès économique au bénéfice des utilisateurs ;

Que, notamment, dans le commerce d'articles de marque ou de luxe, si le fournisseur peut exiger du commerçant qui sollicite la distribution de ses produits un cadre adapté au caractère luxueux de ceux-ci, une information attractive, un service de vente et de démonstration compétent, une qualité irréprochable des articles mis en vente dans la totalité de la gamme offerte, il doit aussi assurer au consommateur un prix de vente qui ne soit pas démesurément accru par un coût de distribution excessif, la réunion de ces deux éléments étant nécessaire pour procurer à l'utilisateur le progrès économique requis ;

Que, dans la détermination de ce coût de distribution, le nombre de points de vente entre en jeu par les frais de publicité que chacun d'eux nécessite, de même que les frais d'approvisionnement, ainsi que les dépenses imposées au fournisseur par le contrôle qu'il doit exercer en permanence sur chaque commerçant afin que soit assurée à son plus haut niveau la qualité de la distribution du produit pour éviter toute dégradation de la marque dans l'esprit du public et maintenir sa réputation;

Qu'ainsi le fournisseur est en droit de refuser l'intégration d'un commerçant dans son réseau de distribution (et donc de ne pas honorer ses commandes éventuelles de produits) si la densité locale dudit réseau, au moment où la demande d'affiliation est présentée, ne permet pas la création d'un nouveau point de vente, création de nature à alourdir le prix de revient - et donc nuire à l'intérêt économique du consommateur - même si ledit commerçant remplit, qualitativement, les conditions requises pour vendre les produits et si sa bonne foi ne peut être mise en doute;

Qu'en l'espèce, il est constant qu'en 1984-1985, lorsque Mme Beaubois a présenté sa demande, la distribution des produits de la société Clinique était assurée dans le département de la Seine-et-Marne par un nombre de commerçants assez élevé (trois distributeurs dans un rayon de 25 km dont un à Montereau même) pour que la concurrence puisse librement jouer entre eux sans que les consommateurs ne soient lésés par des prix alourdis par des frais de distribution excessifs ni par la nécessité d'effectuer des déplacements importants hors des courants commerciaux traditionnels pour s'approvisionner au meilleur prix ;

Que c'est donc à bon droit que la société Clinique n'a pas donné suite immédiate à la demande de Mme Beaubois - plusieurs autres commerçants du département ayant, par ailleurs, formulé des demandes d'affiliation antérieurement sans que celles-ci puissent être satisfaites - et que le refus de vente ainsi opposé n'a pas le caractère illicite allégué par l'appelante ;

Que le jugement rejetant sa demande doit donc être confirmé, la demande en dommages-intérêts présentée par Mme Beaubois étant, de ce fait, sans objet ;

Considérant qu'au vu des faits de la cause, il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la société Clinique les frais non compris dans les dépens exposés par elle en cause d'appel ;

Que, succombant en son appel et débitrice des dépens, Mme Beaubois ne peut voir accueillie sa demande en remboursement de frais irrépétibles ;

Par ces motifs, Déclare Mme Annie Poile, épouse Beaubois non fondée en son appel, cette dernière et la société Clinique Laboratoire non fondées en leurs demandes additionnelles ; Confirme le jugement déféré ; Rejette les demandes présentées par chacune des parties sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne Mme Beaubois aux dépens exposés devant la Cour et autorise Mes Paul-Boncour et Faure, avoués associés, à les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.