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Décisions

CA Poitiers, ch. civ. sect. 1, 26 avril 1989, n° 435-88

POITIERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Établissements Rabaud (SA)

Défendeur :

Acodim (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Egal

Conseillers :

MM. Lerner, Gilard

Avoués :

SCP Tapon-Landry-Tapon, SCP Musereau-Drouineau Rosaz

Avocats :

Mes Venon, Boquet.

T. com. La Roche-sur-Yon, du 12 janv. 19…

12 janvier 1988

Par contrat du 27 juillet 1983 la société Rabaud a confié à M. Ohran, puis par un nouveau contrat du 30 décembre 1983 se substituant au premier, à la société Acodim SARL nouvellement créée, conventions à durée indéterminée, une mission d'agent commercial exclusif pour la vente de la gamme de raboteuses routières fabriquées par le mandant, moyennant une rémunération hors taxes de 30 % du prix de vente public.

Par contrat du 5 mai 1984 la société Rabaud a confié à la société Acodim une mission d'agent commercial exclusif sous quelques réserves et exceptions, pour la diffusion de bétonnières autochargeuses, pour une rémunération de 33 % du prix de vente public hors taxes avec une clause de quotas de vente de 150 machines la première année, 200 la seconde année et 250 la 3e année, étant stipulé qu'à défaut de réalisation de ces quotas le mandant se réservait la faculté de résilier le contrat sans indemnité pour l'agent.

Des difficultés étant intervenues entre les parties, la société Acodim a fait assigner la société Rabaud devant le Tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon pour obtenir à titre principal sa condamnation à lui payer la somme de 1 500 000 F à titre de dommages-intérêts pour rupture à compter de la décision à intervenir et à titre compensatoire à compter du 1er octobre 1986.

La société Rabaud a demandé reconventionnellement de prononcer la résiliation des contrats aux torts de la société Acodim en raison de ses manquements et de condamner cette société à lui payer, au titre du préjudice financier résultant du défaut de respect des quotas, une somme de 3 156 000 F.

Par jugement du 12 janvier 1988 le Tribunal de commerce a :

- Dit et jugé que la résiliation du mandat intervenue est aux torts de la société mandante Rabaud et que conformément aux textes il est dû une indemnité de résiliation en l'absence de faute du mandataire,

- Condamné la société Rabaud à payer à la société Acodim des dommages-intérêts approuvés à la somme de 550 000 F, soit environ 1 an de commissions ainsi qu'une indemnité de préavis de 250 000 F soit 6 mois de préavis calculés sur les chiffres de la dernière année,

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- Condamné la société Rabaud à payer à la société Acodim la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- Condamné la société Rabaud aux dépens.

La société Rabaud a régulièrement relevé appel de cette décision dont la société Acodim a relevé appel incident.

Par ordonnance du 16 février 1988, le Premier Président de cette Cour a constaté que les parties étaient d'accord sur la consignation par blocage au Crédit Agricole de Chantonay de la somme de 800 000 F et que la société Acodim renonçait à l'exécution provisoire.

La société Rabaud demande :

- qu'il soit jugé que les conventions doivent s'analyser comme étant des contrats d'agent commercial mais comme constituant une société en participation qui a cessé par la disparition de son objet,

- que du fait de l'absence de vente de machine le contrat concernant les raboteuses routières s'est éteint de lui-même faute d'objet,

- qu'elle n'est pas la responsable de la résiliation du contrat concernant les bétonnières auto-chargeuses qui est le fait de la société Acodim qui ne peut dès lors prétendre à aucune indemnité,

- que la société Acodim soit condamnée à lui payer la somme de 40 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société Acodim demande :

- la confirmation du jugement sur le principe de la responsabilité de la rupture des contrats,

- de porter la réparation de son préjudice à la somme de 2 130 000 F,

- de condamner la société Rabaud à lui payer la somme totale de 40 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Vu le jugement en son exposé de la procédure et des faits et en ses motifs et les conclusions d'appel déposées par les parties en leurs moyens et demandes,

Motifs :

1°/ Sur la nature juridique des conventions :

Les deux conventions conclues par la société Rabaud avec la société Acodim sont clairement définies comme étant des contrats d'agent commercial soumis aux dispositions du décret du 23 décembre 1958 relatif aux agents commerciaux.

Les clauses contenues dans ces contrats sont par ailleurs parfaitement conformes aux dispositions de ce décret.

Les faits mis en avant par la société Rabaud (initiative de M. Ohran pour la création d'une raboteuse routière par la société Rabaud - liberté quasi-totale de la société Acodim pour la détermination des conditions de vente, - taux de commission exceptionnellement élevé, - prise en charge par la société Acodim de certains frais financiers de la société Rabaud) outre qu'ils peuvent s'expliquer par le désir de la société Rabaud de bénéficier des relations commerciales de M. Ohran pour s'introduire sur un marché, ne sont pas susceptibles de définir l'existence d'une société en participation, tant en raison des termes précis des contrats qu'en raison de l'absence d'apports des associés d'une volonté de partager les bénéfices et les pertes, et de la détermination d'un gérant.

Les termes de la lettre adressée le 23 octobre 1986 par la société Rabaud à la société Acodim correspondent aux rapports d'un mandant avec son mandataire et non à ceux d'associés.

Les conventions, notamment celle concernant les raboteuses routières, constituent donc des contrats d'agent commercial.

2°/ Sur la rupture des contrats :

a) Sur le contrat concernant les raboteuses :

Il résulte des pièces versées au dossier que la société Acodim a fait réaliser :

- la vente de 5 machines :

* en 84 à la société Soloc Rabotage,

* en 84 à la société Bourdin Chaussée,

* en 85 à la société Soloc Rabotage,

* en 85 à la société Colas,

* en octobre 85 à la société Bertome,

- la location d'une machine en mai 1986 à la société Screg Hord.

Le 2 octobre 1986 la société Rabaud a informé la société Acodim de la réactualisation du prix de vente de la raboteuse, prix passant de 655 000 F HT à 687 750 F HT soit une augmentation d'environ 5 %.

Par lettre du 23 octobre 1986 la société Rabaud mettait la société Acodim en demeure d'exécuter les clauses du contrat et l'avertissait qu'elle allait faire appel à d'autres intermédiaires ou à son propre réseau et que si sous dizaine aucune vente n'était conclue elle saisirait le tribunal de commerce pour qu'il soit mis fin à leur collaboration.

Par réponse du 27 octobre 1986 la société Acodim se déclarait surprise de ce courrier, demandait à la société Rabaud de lui faire savoir rapidement si elle décidait de rompre le contrat, l'informait qu'elle demandait à son conseil de calculer les indemnités à présenter et bien que les termes du courrier puissent s'assimiler à une rupture, souhaitait qu'il soit trouvé un règlement amiable.

Bien qu'elle ne comporte pas de précision sur la convention visée, il apparaît, ainsi que l'a considéré la société Acodim, que la mise en demeure de la société Rabaud concernait le contrat du 30 décembre 1983 sur les raboteuses routières.

En dépit de ses termes, et comme aucune suite n'a été donnée à la menace de demande de résiliation judiciaire du contrat et aucune réponse n'a été apportée à la lettre de la société Acodim, le courrier de la société Rabaud ne peut être considéré comme caractérisant une décision définitive de rupture des relations contractuelles.

De son côté la société Rabaud ne peut soutenir que la réponse de la société Acodim nuancée, interrogative et lui renvoyant l'initiative de la décision, puisse être considérée comme une décision de rupture.

Il apparaît ainsi que le contrat avait conservé ses effets juridiques jusqu'à la saisine du tribunal auquel il appartenait de statuer sur les demandes de résiliation présentées par l'assignation de la société Acodim et les conclusions de la société Rabaud.

Dans le cadre du contrat d'agent commercial à durée indéterminée et sans imposition de quotas, il revient à la société Rabaud d'établir une faute à l'encontre de la société Acodim.

Il ne peut être retenu que ce contrat serait devenu caduc faute d'objet alors que la société Acodim avait réalisé la location d'une machine en mai 1986 et que la société Rabaud lui avait transmis les nouveaux tarifs par lettre du 2 octobre 1986.

Les reproches concernant le défaut d'initiative et de moyens d'action commerciale de vente ne sont pas justifiés au vu des pièces fournies par la société Acodim concernant notamment ses actions publicitaires.

C'est ainsi à juste titre que la société Acodim, après avoir justifié que ses résultats ne pouvaient être critiqués compte tenu du débouché relativement étroit pour le genre de machines, uniquement fabriquées à l'étranger auparavant, et de son absence de faute, invoque que la volonté de rupture de la société Rabaud résulte de sa décision de créer à compter du début du mois d'octobre 1986 une filiale "Rabaud DMTP" chargée de la commercialisation des produits de la société et du service après-vente, ce qui lui permettait de se passer des services de la société Acodim.

Cette thèse est en effet confirmée tant par la concomitance de la création de DMTP et de la lettre du 23 octobre 1986 envisageant la rupture du contrat, que par l'absence d'informations données à partir de cette période, sur le service après-vente à la société Acodim qui s'en est plainte par lettre du 12 janvier 1987, et que par la proposition de vente d'une machine R 1000 D dénommée fraiseuse ou raboteuse de route, faite en violation de la clause d'exclusivité du contrat, par "Rabaud DMTP", à la société Soloc Rabotage, le 17 février 1987, ce qui doit être rapproché de la volonté manifestement par la société Rabaud dans sa lettre du 23 octobre 1986 de "faire appel à son propre réseau" pour assurer la commercialisation de ses produits.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la rupture du contrat du 30 décembre 1983 est imputable aux manquements exclusifs de toute autre responsabilité de la société Acodim commis par la société Rabaud.

b) Sur le contrat concernant les bétonnières auto-chargeuses :

Le contrat du 5 mai 1984 prévoyait un quota minimum de vente de :

- 150 bétonnières le première année,

- 200 bétonnières la deuxième année,

- 250 bétonnières la troisième année.

Par lettre du 21 avril 1987 la société Rabaud constatant que suivant son propre décompte la société Acodim n'avait commercialisé que :

- 52 bétonnières du 1er mai 1984 au 31 décembre 1984,

- 113 bétonnières en 1985,

- 100 bétonnières en 1986,

- 21 bétonnières du 1er janvier 1987 au 30 mars 1987,

et qu'ainsi les quotas n'avaient pas été respectés, a informé son mandataire de la résiliation du contrat à effet du 5 mai 1987 en application de l'article 10 stipulant que le mandant aurait la possibilité de résilier le contrat sans indemnité vis-à-vis de l'agent si le quota de 600 bétonnières en 3 ans n'était pas atteint.

Cette clause, acceptée par le mandataire, et dont l'application tient à des éléments objectifs indépendants de la seule volonté du mandant, est valable sous réserve du contrôle du respect de l'économie du contrat.

Il ne saurait être contesté que la société Acodim a été très loin de réaliser les quotas qui avaient été contractuellement prévus (286 bétonnières vendues en 3 ans au lieu de 600).

La société Acodim ne saurait justifier son manquement à son obligation contractuelle de résultat par le marasme économique propre à ce marché dont il n'est pas établi qu'il soit intervenu ou qu'il ait augmenté au cours de la réalisation du contrat, ou par l'augmentation du prix des bétonnières alors qu'elle n'a, à aucun moment, émis auprès du mandant des protestations ou des réserves sur d'éventuelles difficultés de vente à la suite de ces augmentations, certaines et importantes, mais qui tiennent aux améliorations apportées au produit pour conserver sa compétitivité.

La société Acodim ne saurait davantage reprocher à la société Rabaud une concurrence déloyale comme pour le contrat concernant les raboteuses routières alors que le contrat du 5 mai 1984 prévoyait expressément une exception en faveur du mandant au principe de l'exclusivité de la vente accordée au mandataire.

La société Rabaud était ainsi fondée à résilier, pour manquement à l'obligation contractuelle de résultat, le contrat du 5 mai 1984 concernant les bétonnières et la société Acodim sera déboutée de ses demandes d'indemnités du fait de la rupture de ce contrat.

3°/ Sur le préjudice :

La réparation du préjudice subi par la société Acodim du fait de la rupture du contrat du 30 décembre 1983 doit s'apprécier en tenant compte, tant de l'importance relative et en voie de diminution de cette convention dans l'activité générale de la société Acodim à la date de la rupture, que de l'absence d'incidence sur la stabilité même de la société qui a néanmoins perdu, avec l'impossibilité de vente ou de location de ce produit, une clientèle intéressée par les agents commerciaux pouvant présenter de plus large éventail de machines.

Sur la demande d'augmentation du montant de l'indemnisation pour tenir compte de la perte des avantages fiscaux que la société Acodim aurait obtenus, en tant que société nouvellement créée, si l'indemnité lui aurait été versée antérieurement, il convient de relever que cette incidence fiscale ne peut être considérée comme étant un préjudice directement lié à la rupture du contrat et que la société Rabaud fait justement valoir que la société Acodim pouvait provisionner le montant de l'indemnité accordée par le Tribunal au titre de l'exercice 1988.

La rupture du contrat résultant d'une résiliation judiciaire sur assignation de la société Acodim et celle-ci ne démontrant l'existence d'un préjudice distinct de celui réparé par l'indemnité compensatrice prévue par l'article 3 du décret du 23 décembre 1958, il n'y a pas lieu d'allouer une indemnité de préavis.

Compte tenu de ces éléments la réparation du préjudice sera fixée à 300 000 F avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt.

4°/ Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile :

La société Rabaud perdant sur l'une des demandes de la société Acodim supportera les dépens de première instance et d'appel ;

Il sera alloué à la société Acodim, pour l'ensemble des procédures de première instance et d'appel une somme de 6 000 F en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Dispositif : LA COUR, Réforme le jugement ; Prononce aux torts de la société Rabaud la résiliation du contrat qu'elle avait conclu le 30 décembre 1983 avec la société Acodim ; Condamne la société Rabaud à verser à la société Acodim une indemnité compensatrice de 300 000 F assortie des intérêts aux taux légal à compter de l'arrêt ; Condamne la société Rabaud à payer à la société Acodim pour l'ensemble des procédures de première instance et d'appel une somme de 6 000 F en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Déboute la société Acodim et la société Rabaud de leurs autres demandes ; Condamne la société Rabaud aux dépens de première instance et d'appel et autorise la société d'avoués Tapon-Landry-Tapon à recouvrer les dépens d'appel dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.