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Décisions

CA Versailles, 13e ch., 27 avril 1989, n° 290-89

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bazin

Défendeur :

Multifranchise (SA), Prontaprint France (SARL), Prontafrabce (SA), Chavinier (ès qual.), Adam (ès qual.), Maneche (ès qual.).

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Doze

Conseillers :

Mme Monteils, M. Garrec

Avoués :

SCP Merle-Doron, Mes Robert, Bommart

Avocats :

Mes Laire, Sautereau, Bernard-Pelletier, Holmsky.

T. com. Nanterre, du 29 nov. 1988

29 novembre 1988

La cession totale des fonds de commerce et de divers éléments corporels appartenant aux sociétés Multifranchise et Prontaprint France en redressement judiciaire a été ordonnée par jugement du Tribunal de Commerce de Nanterre du 29 novembre 1988 à la société Prontafrance, alors en cours de constitution, aujourd'hui immatriculée au registre du commerce.

Dans l'actif cédé figuraient 56 contrats de franchise énumérés dans un inventaire annexé au contrat de cession.

Marie-Louise Dur épouse Bazin a interjeté appel de cette décision.

Elle expose ceci :

Elle a signé en septembre 1989 un contrat de franchise pour douze années avec Multifranchise.

Elle a notifié à Adam, administrateur son intention de quitter le réseau.

Le Tribunal a passé outre, en ignorant les dispositions de l'article 86 de la loi du 25 janvier 1967. Le Tribunal ne pouvait céder les franchises en vertu de ce texte, et il aurait dû l'exclure de la cession lorsque l'administrateur a transmis son refus.

Elle conclut à infirmation du jugement en ce qui concerne son propre contrat de franchise.

Adam, en qualité d'administrateur répond ceci :

L'article 86 vise entre autres le contrat de fourniture de services qui est la franchise, ces contrats constituant un élément indispensable au maintien de l'activité, fondée sur ce seul type de contrat.

La procédure a été respectée, Madame Bazin ayant été convoquée à l'audience du 29 novembre 1988 par lettre recommandée avec avis de réception.

Il conclut à irrecevabilité de l'appel, à confirmation et subsidiairement dans le cas contraire, à limitation à la seule Madame Bazin de l'infirmation. Il demande allocation de 3.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Chavinier, en qualité de représentant des créanciers répond ceci :

Le contrat de franchise est une convention de fourniture de services.

Un franchiseur ne peut survivre que grâce aux contrats souscrits ; Permettre aux franchisés de résilier au cas de redressement judiciaire serait condamner le plan de cession.

Madame Bazin ne justifie pas d'un préjudice personnel né du plan de cession. Aucun des 56 franchisés convoqués n'a fait d'observations ou déposé de conclusions. Elle n'a donc pas vocation à faire appel, et doit s'adresser à la juridiction du premier degré qui admettra ou non résolution.

Il conclut à irrecevabilité, ou mal fondé de l'appel et à confirmation.

Les sociétés Multifranchise et Prontaprint reprennent les conclusions d'Adam à leur compte et demandent 3.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

La société Prontafrance conclut ainsi :

La société Hollandaise Prontaprint BV a par contrat de 1985 confié à Multifranchise pour 20 ans, la franchise d'un savoir-faire en matière d'imprimerie rapide exploité sous l'enseigne " Prontaprint " pour divers pays dont la France, c'est ainsi que cette société a créé un réseau de franchisés.

Madame Bazin est irrecevable en son appel parce qu'elle n'est pas franchisée à titre personnel et n'a pas qualité, travaillant par l'intermédiaire d'une SARL " Print Laser Graphic ".

Elle n'a pas communiqué ses pièces en appel.

En vertu de l'article 86 de la loi, l'administrateur doit seulement transmettre au Tribunal les observations des cocontractants, qu'il n'y a aucune obligation de susciter.

Elle-même a indiqué qu'elle reprenait les contrats de franchise en vigueur au jour du jugement d'homologation. Ces contrats n'ont subi aucune altération, et c'est elle qui n'était pas à jour de ses paiements.

Ces contrats sont indispensables à l'économie du contrat de cession. L'article 86 ne fait aucune exception pour les contrats conclu intuitu personae, sauf en matière de contrat de travail.

Madame Bazin ne démontre aucun préjudice.

Elle conclut à irrecevabilité de l'appel, à rejet des débats des pièces communiquées à la Cour, mais non à elle-même, à déboutement de l'appelante, à octroi de 10.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Discussion

Considérant que la qualité pour agir de Marie-Louise Bazin est acquise, que c'est à son nom personnel que le contrat de franchise a été établi, et qu'il n'a pas été transféré à sa société ; que réciproquement, la qualité pour agir de la société Prontafrance, cessionnaire des fonds de commerce est concrétisée par son immatriculation au registre du commerce du 7 mars 1989 ;

Considérant sur la recevabilité de l'appel de Marie-Louise Bazin, que dans une lettre qui a été régulièrement communiquée, qui est visée dans ses conclusions, et qui ne saurait donc être écartée des débats, elle avait le 3 octobre 1988, au cours de la période d'observation, fait savoir à Adam ès-qualités qu'elle entendait obtenir résiliation de son contrat de franchise, au besoin par la voir judiciaire ;

Considérant que dès lors que le contrat de franchise en cause a été jugé nécessaire au maintien de l'activité, le franchisé est recevable à faire appel du jugement en ce qu'il a cédé ledit contrat contre son gré ;

Considérant sur l'application revendiquée de l'article L. 86, qu'il s'agit d'un texte dérogatoire au droit commun qui permet au Tribunal d'imposer à des cocontractants de la société en redressement judiciaire, lorsque la cession intervient, la poursuite des rapports contractuels; qu'il doit être interprété de manière stricte, c'est-à-dire que l'énumération des catégories de contrats qu'il contient doit être tenue pour limitative; que ceux-ci, crédit-bail, locations ou fournitures de biens et de services nécessaires au maintien de l'activité sont tous des contrats conclus avec des fournisseurs de biens ou de prestations permettant à la société d'être à même de faire face à son objet social ; qu'ils doivent être distingués, comme se situant en amont de l'activité, des contrats que la société passe avec sa clientèle, qui sont ceux-là en aval; que cette seconde catégorie d'obligations échappe aux dispositions de l'article L. 86 et donc à toute faculté de contrainte de la part du Tribunal;

Considérant qu'en l'espèce, les franchisés quels que soient les services qu'ils rendent au franchiseur sur divers plans, n'en demeurent pas moins des clients de celui-ci, qui reçoivent des prestations, et qui, essentiellement, lui versent en contrepartie des sommes d'argent ; que le contrat de franchise, lorsque l'entreprise cédée est celle du franchiseur, ne peut ainsi être ainsi soumis aux dispositions de l'article L. 86;

Considérant que, ce fondement juridique du maintien du contrat étant écarté, il convient de distinguer les deux situations où Marie-Louise Bazin s'est trouvée ; que dans un premier stade, selon lettre à l'administrateur Adam du 3 octobre 1988, elle annonçait sa décision de résilier le contrat de franchise par voie judiciaire, faute d'accord amiable, du chef de fautes du franchiseur ; qu'elle ne faisait aucune allusion à une cession dont l'éventualité n'avait apparemment pas été portée à sa connaissance ; que cet épisode est donc survenu dans le cadre de la continuation de l'activité où Adam ès qualités disposait de prérogatives de l'article L. 37 ;

Considérant que c'est alors que cette difficulté était pendante que le jugement de cession est intervenu ; qu'il ne résulte nullement de cette décision que les observations des franchisés aient été soumises au Tribunal alors qu'ils étaient pourtant avisés, ayant été en l'espèce convoqués à l'audience ; que notamment le cas de Marie-Louise Bazin n'a pas été examiné, alors qu'elle dit avoir été présente à l'audience, et que l'administrateur connaissait son refus de poursuivre le contrat, qu'il n'apparaît pas avoir consigné dans son rapport au Tribunal ;

Considérant qu'en décidant d'autorité le transfert au repreneur de tous les contrats de franchise, le Tribunal, qui mettait ainsi en œuvre, implicitement l'article L. 86, devait appliquer aux franchisés le principe de contradiction énoncé au premier alinéa dudit article ; qu'aucune mention du jugement ne permet de vérifier qu'il ait été respecté ; qu'il doit donc être retenu que Marie-Louise Bazin n'a pas été mise en mesure de faire valoir ses droits, ou que du moins preuve n'est pas rapportée;

Considérant que le Tribunal, comme la Cour, ne peuvent connaître à l'occasion de la consécration d'un plan de cession, d'une action en résiliation de contrat de franchise pour faute, action qui est étrangère à leur saisine, et qui n'était même pas entamée en l'espèce ; qu'il n'y a donc pas possibilité pour la Cour de se pencher sur les griefs énumérés à l'appui de sa position par l'appelante, quoiqu'ils soient la cause de sa démarche ;

Considérant qu'il demeure à déterminer si Marie-Louise Bazin est néanmoins en droit, comme elle l'entend, de maintenir, et d'imposer sa décision de résilier son contrat, à l'occasion du changement de franchiseur qui intervient, si en d'autres termes, elle peut refuser d'être intégrée dans la cession ;

Considérant qu'aucune des parties n'a conclu de manière utile sur ce point ; qu'il y a lieu en conséquence de rouvrir les débats pour que les parties concluent sur cet aspect du litige, en réservant les dépens ;

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Dit recevables l'appel de Marie-Louise Bazin et la comparution de la société Prontafrance; Dit que le contrat de franchise en cause ne rentre pas dans le domaine d'application de l'article 86 de la loi du 25 janvier 1985; Dit que les débats sont rouverts pour qu'il soit conclu sur la résiliation du contrat de franchise, demandée par Marie-Louise Bazin à l'occasion du jugement de cession du fonds de commerce à la société Prontafrance, à l'audience du lundi 12 juin 1989 à 14 heures; Réserve les dépens.