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Décisions

CA Paris, 16e ch. B, 11 mai 1989, n° 88-18042

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Trailor (SA)

Défendeur :

Sodivi (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Borra

Conseillers :

Mme Bergeras, M. de Villers

Avoués :

SCP Parmentier-Hardouin, Me Baufume

Avocats :

Mes Cousi, Rosenfeld.

T. com. Paris, 12e ch., du 6 sept. 1988

6 septembre 1988

La SA Trailor est appelante d'un jugement rendu le 6 septembre 1988 par le Tribunal de commerce de Paris qui a :

- condamné la société Trailor à payer à la société Sodivi la somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts, avec les intérêts légaux à compter du jour du jugement ;

- condamné chacune des parties à payer la moitié des dépens.

La société appelante demande à la Cour de prononcer la nullité de l'assignation qui ne comporte pas la date de l'acte. Sur le fond, elle expose que le taux de pénétration dans le territoire concédé qui avait été de 25,3 % en 1984, était seulement de 12,5 % en 1986, la Sodivi ayant reconnu elle-même, dans une lettre du 1er octobre 1986 que sa faiblesse en commandes était certaine ; elle ajoute avoir consenti à son concessionnaire des aides exceptionnelles en dehors des remises contractuelles, de dispense d'acomptes, et d'acceptation des règlements à 60 jours, par dérogation aux conditions générales de vente ; à la fin de l'exercice 1986, Sodivi, dans le seul but de conserver la concession, a cru bon de commander trois remorques exigeant une livraison accélérée, alors qu'elle a dû modifier les spécifications techniques de l'un des véhicules ; la société Trailor prétend que le non-renouvellement de la concession est un droit contractuel, le concédant n'ayant pas à justifier d'un motif légitime pour refuser le renouvellement du contrat, et il ne peut en être autrement que si le concédant se rend coupable d'un abus de droit ; qu'un tel abus n'est pas démontré, la décision ayant été prise en considération d'une analyse globale économique (vente de 23 véhicules en 1983 et 13 seulement en 1986), le non-respect des quotas contractuels n'étant qu'un des éléments parmi d'autres ; qu'en outre le concessionnaire peut exciper d'investissements importants pour prétendre à un droit au renouvellement de la concession ; elle prie la Cour de condamner la société Sodivi à lui payer 25.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Sodivi, intimée, a répliqué que l'assignation qui ne comporte pas une date exacte, n'est pas nulle pour autant, la société Trailor n'ayant pas subi un préjudice résultant de cette irrégularité, et la prétendue nullité étant au surplus couverte, la société défenderesse ayant fait valoir postérieurement à l'acte des défenses au fond (article 112 du nouveau Code de procédure civile) ; elle prétend, en droit, que la résiliation d'une concession renouvelable par tacite reconduction peut constituer, lorsqu'elle est intempestive, un abus susceptible d'être sanctionné par le paiement de dommages-intérêts, et aussi qu'un contrat fait pour un an doit, en l'absence d'une faute du concessionnaire, être reconduit lorsque celui-ci a exposé des frais d'investissement très onéreux ; elle conteste au demeurant, la prétendue faiblesse de ses résultats commerciaux, faiblesse qui est due à des circonstances qui lui sont extérieures, telles qu'une non-assistance sur les affaires difficiles, et la récupération de la clientèle par Trailor fin 1983, début 1984, à la suite de la liquidation de la société Munaux, sans restitution lorsque Sodivi a repris cette entreprise ; elle allègue la constitution d'une clientèle spécifique qu'elle ne peut plus exploiter, étant privée de la concession, pour demander par un appel incident des dommages-intérêts à déterminer après expertise, une provision de 50.000 F devant lui être versée dans l'attente de cette mesure d'instruction ; elle demande en outre à la Cour de condamner la société Trailor à lui payer 15.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce,

LA COUR,

Considérant que la société Muneaux, filiale de Renault Véhicules Industriels (RVI), et concessionnaire de la société Trailor, constructeur de remorques et semi-remorques, a été mise en règlement judiciaire en mai 1984 et a donné son fonds de commerce en location-gérance à compter du 1er août 1984, à la société Sodivi, elle-même filiale de RVI ;

Que par lettre du 1er octobre 1984 la société Trailor a informé la Sodivi qu'elle lui confierait par contrat d'un an à compter du 1er décembre prochain la distribution de ses véhicules pour le département de la Vienne et le canton de Thenezay dans les Deux-Sèvres, et qu'elle était d'ores et déjà d'accord pour qu'elle représente sa marque dans les trois mois précédant ce contrat, soit du 1er septembre au 30 novembre 1984 ;

Qu'à la fin de l'exercice 1985, Trailor a renouvelé à Sodivi la concession, pour l'exercice de 1986 (1er décembre 1986 - 30 novembre 1987), de l'exclusivité de la vente de ses véhicules sur le même territoire ;

Que par une lettre recommandée avec avis de réception du 25 septembre 1986, Trailor a signifié à Sodivi la résiliation de la concession pour le 1er décembre 1986, en motivant cette décision par la faiblesse des résultats, les quotas de 1986 (22 véhicules neufs, 359 000 F de pièces détachées et 10 sellettes) étaient loin d'être atteints fin août 1986 (7 véhicules facturés, 190 423 F pièces détachées et 4 sellettes) ;

Considérant que Trailor n'est pas fondée en son exception de nullité pour vice de forme, dès lors qu'elle ne justifie d'aucun préjudice en relation avec l'absence de date de l'assignation délivrée par l'huissier de justice (article 114 du nouveau Code de procédure civile) ;

Considérant que le concédant qui accorde l'exclusivité de vente pour une durée déterminée, est en droit, à la condition de prévenir le concessionnaire dans le délai contractuel, de mettre fin à la concession sans même avoir à justifier cette décision ;

Que ce droit de refuser le renouvellement de la concession peut être évoqué même si les motifs de refus allégués sont inexacts;

Considérant que le concessionnaire ne pourrait prétendre au renouvellement de la concession que si, en demandant la résiliation, le concédant avait commis un abus de droit, c'est-à-dire, s'il avait agi avec la seule intention de nuire au concessionnaire, ou avec une légèreté blâmable ;

Considérant qu'un tel abus ne peut résulter d'investissements allégués par Sodivi, alors qu'elle n'apporte aucune justification ni de l'importance, ni de la date des prétendus investissements qui ont pu être réalisés à une date éloignée aussi bien par elle-même que par la société Muneaux, société qu'elle a reprise ultérieurement ;

Considérant que la demande formée par la Sodivi aux fins de dommages-intérêts n'est pas fondée et qu'il convient d'infirmer le jugement entrepris ;

Considérant qu'il parait équitable de laisser à chacune des parties la charge des frais non répétibles exposés par elles ;

Par ces motifs : Infirme le jugement entrepris ; Statuant à nouveau ; Déboute la SA Sodivi de sa demande de dommages-intérêts et les parties de leurs demandes respectives fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Fait masse des dépens de première instance et d'appel qui seront mis à concurrence de moitié à la charge de chacune des parties ; Admet, dans le partage ainsi instauré, les avoués de la cause au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.