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Décisions

CA Lyon, 3e ch., 26 mai 1989, n° 5265-87

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sidat Toyota France (SA)

Défendeur :

Automobile Costelloise (SA), Banque Nationale de Paris (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mailhes

Conseillers :

MM. Bardel, Durand

Avoués :

SCP Brondel & Tudela, Me Guilhem

Avocats :

Mes Brosse, Bourgeon, Farre

T. com. Roanne, du 2 sept. 1987

2 septembre 1987

Faits - Procédure - Prétentions des parties

La société l'Automobile Costelloise était concessionnaire de la marque Toyota à Roanne depuis 1974. En dernier lieu elle était liée à la société d'importation et de distribution des Automobiles Toyota (Sidat) par un contrat de concession conclu pour une durée de un an ayant pris effet le 1er janvier 1985, pour se terminer le 31 décembre de la même année, ce contrat excluant toute possibilité de tacite reconduction, mais stipulant que celle des parties qui ne désirerait pas contracter à nouveau devait en prévenir l'autre au mois trois mois avant la date d'expiration du contrat par lettre recommandée.

Conformément à cette clause, la Sidat a le 19 juin 1985 fait part à la société L'Automobile Costelloise de sa décision de ne pas conclure un nouveau contrat pour 1986.

Après l'expiration du contrat elle a assigné devant le Tribunal de commerce de Roanne la société l'Automobile Costelloise ainsi que la Banque Nationale de Paris (BNP) qui s'était portée caution solidaire de cette dernière à concurrence de 200 000 F, en paiement de la somme principale de 320.071,06 F, prix de fournitures.

La société l'Automobile Costelloise a formé une demande reconventionnelle en paiement de la somme de 67.733,21 F au titre de la reprise des pièces détachées et de celle de 900 000 F en réparation du préjudice qu'elle reprochait à la Sidat de lui avoir causé en refusant de mettre en conformité avec les dispositions du règlement de la commission des communautés européennes n° 123-85 du 12 décembre 1984, le contrat qui liait les parties au cours de l'année 1985.

Par jugement du 2 septembre 1987, le Tribunal a dit que la société L'Automobile Costelloise doit à la Sidat la somme de 320.071,06 F, que la Sidat lui doit 300 000 F à titre de dommages intérêts ainsi que 36.457,20 F au titre des pièces détachées et, après compensation, condamné la Sidat à payer à la société Automobile Costelloise la somme de 16.386,14 F ainsi que 6 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, déchargé, en conséquence, la BNP de tout engagement à l'égard de la Sidat.

La Sidat, appelante, réduit sa créance à 294.208,76 F et demande que la société l'Automobile Costelloise et la BNP soient condamnées " conjointement et solidairement " à lui payer cette somme avec les intérêts de droit à compter du 10 avril 1986, date de l'assignation, ainsi que 50 000 F à titre de dommages intérêts et 10 000 F en vertu de l'article 700 précité.

Elle conclut au rejet des demandes de la société Automobiles Costelloise.

En ce qui concerne la demande de dommages-intérêts, elle soutient que le règlement n° 123-85 n'est pas applicable aux motifs que, d'une part, il n'est entré en vigueur que le 1er juillet 1985, et n'a pas d'effet rétroactif, que, d'autre part, il ne concerne que les contrats de concession exclusive et que tel n'est pas le cas.

En ce qui concerne les pièces détachées, elle déclare avoir effectué postérieurement au jugement une reprise partielle, ce qui explique la réduction de sa créance. Pour le surplus, elle estime n'avoir aucune obligation de reprise et allègue que si, précédemment, elle a néanmoins proposé de reprendre les pièces, la Société l'Automobile Costelloise n'a pas cru devoir en fournir la liste.

La société l'Automobile Costelloise se reconnaît débitrice de la somme de 294.208,76 F.

Elle soutient que la Sidat est en faute d'avoir refusé de proroger de trois ans le contrat à durée déterminée qui liait les parties depuis le 1er janvier 1985, pour assurer sa mise en conformité avec le règlement n° 123-85 et demande, en conséquence, la somme de 1.800 000 F à titre de dommages intérêts.

A titre subsidiaire elle soutient que la Sidat est en faute d'avoir provoqué la nullité du contrat à compter du 1er octobre 1985 en refusant de le mettre en conformité avec ce règlement et demande, en conséquence la somme de 600 000 F à titre de dommages intérêts.

En ce qui concerne les pièces détachées, elle demande la somme de 40.508,08 F, valeur d'achat des pièces reprises le 3 septembre 1986, et celle de 66.467,68 F, valeur des pièces restant en stock après reprise à effectuer par la Sidat.

Elle réclame enfin la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La BNP conclut à la confirmation du jugement, estimant que c'est la Sidat qui est débitrice.

Les parties ont été invitées à présenter leurs observations sur le moyen susceptible d'être soulevé d'office relativement à la condition énoncée au règlement n° 123-85, concernant la durée de l'accord.

Motifs et décision

Sur la demande de la société l'Automobile Costelloise en paiement de dommages intérêts

Attendu que l'article 85 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté économique européenne interdit les accords entre entreprises qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun ; qu'aux termes du paragraphe 2 du même article de tels accords sont nuls de plein droit sauf si, en application du paragraphe 3 la commission déclare inapplicables à ces accords les dispositions du paragraphe 1 par une décision individuelle ou catégorielle ;

Attendu que par le règlement n° 123-85 du 12 décembre 1984, concernant l'application de l'article 85 paragraphe 3, du traité CEE à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles, la Commission a déclaré inapplicable, sous certaines conditions déterminées, l'article 85, paragraphe 1er, du traité aux accords de distribution exclusive dans le secteur des véhicules automobiles ;

Attendu que, selon l'interprétation qui en est donnée par la Cour de justice des communautés européennes dans son arrêt VAG France /Ets Magne du 18 décembre 1986, ce règlement n'établit pas de prescriptions contraignantes affectant directement la validité ou le contenu des clauses contractuelles ou obligeant les parties contractantes à y adapter le contenu de leur contrat, mais se limite à établir des conditions, qui, si elles sont remplies, font échapper certaines clauses contractuelles à l'interdiction et par conséquent à la nullité de plein droit prévues par l'article 85, paragraphe 1 et 2 du traité CEE ;

Que ce même arrêt ajoute qu'il appartient à la juridiction nationale d'apprécier en vertu du droit national applicable les conséquences d'une éventuelle nullité de certaines clauses contractuelles ;

Attendu qu'il résulte de l'article 8 du règlement que lorsqu'un accord doit être modifié pour qu'il remplisse les conditions énoncées dans ledit règlement, l'interdiction édictée à l'article 85, paragraphe 1, du traité ne s'applique pas à la période antérieure à la modification si celle-ci est faite avant le 1er octobre 1985 et communiquée à la commission avant le 31 décembre 1985 ;

Attendu qu'il découle de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient la Sidat, il n'y a pas lieu de décider si le règlement est ou non applicable aux contrats en cours, mais qu'il convient de constater que, si un tel contrat ne remplit pas les conditions énoncées par ce règlement et s'il n'est pas modifié dans les conditions prévues, ses clauses interdites par l'article 85, paragraphe 1, du traité sont nulles de plein droit en vertu du paragraphe 2 du même article ;

Attendu qu'il en ressort, d'autre part, que le règlement n'accorde à aucun cocontractant un droit d'obliger l'autre partie à adapter un contrat aux conditions de ce règlement;

Mais attendu qu'il convient de rechercher si, faute d'avoir été ainsi adapté, le contrat qui liait les parties doit être déclaré nul et, dans l'affirmative, quelles conséquences doivent être tirées de cette nullité ;

Attendu qu'aux termes de ce contrat la Sidat a conféré à la société l'Automobile Costelloise le droit de vente des produits de la marque Toyota dans une zone définie, le concessionnaire s'engageant à ne représenter aucune autre marque ni à s'y intéresser sous quelque forme que ce soit, sauf accord préalable de la Sidat, et s'engageant en outre à acheter les véhicules exclusivement à la Sidat ou à ses concessionnaires ;

Que si, d'autre part, il est énoncé que la représentation s'applique " sans exclusivité " à la zone définie, le contrat pour l'analyse duquel le présent arrêt se réfère au jugement entrepris, doit être interprété en ce sens qu'une telle clause ne correspond nullement à l'intention des parties, étant incompatible avec les obligations mises à la charge du concessionnaire et qu'au contraire son économie repose sur l'exclusivité accordée à ce dernier et dont, au demeurant, il bénéficiait en fait ;

Attendu que ces clauses d'exclusivité et de non-concurrence, prohibées en principe par l'article 85, paragraphe 1, du traité, bénéficient toutefois de l'exemption accordée au titre du paragraphe 3 du même article si le contrat remplit par ailleurs les conditions énoncées par le règlement n° 123-85 ;

Attendu que, selon les conclusions de la société l'Automobile Costelloise, la seule de ces conditions qui ne soit pas respectée est celle qui est énoncée à l'article 5, paragraphe 2, point 2, du règlement, relativement à la durée de l'accord ;

Attendu que cette condition n'est imposée qu'en vue de l'exemption de l'article 3, points 3 et 5, s'appliquant aux engagements du distributeur de ne pas vendre des véhicules automobiles neufs autres que ceux de la gamme visée par l'accord ou à ne pas en faire l'objet d'un accord de distribution et de service de vente et d'après-vente ;

Qu'il s'ensuit qu'aucune condition de durée n'est imposée par le règlement pour l'exemption dont bénéficient aux termes de l'article premier, les clauses par lesquelles une partie (le fournisseur) s'engage vis-à-vis de l'autre (le distributeur) à ne livrer qu'à celle-ci, à l'intérieur d'une partie définie du marché commun, des véhicules automobiles ;

Attendu, en conséquence, qu'en raison du défaut de mise en conformité du contrat litigieux quant à la durée, ne sont nulles que les clauses d'exclusivité obligeant le concessionnaire, mais non celle qui engage le fournisseur ;

Attendu que seule cette dernière a pu avoir un caractère impulsif et déterminant pour la société l'Automobile Costelloise qui ne peut donc se prévaloir, pour invoquer la nullité du contrat, de la nullité des clauses mettant à sa charge une obligation d'exclusivité ;

Attendu que, le contrat subsistant dès lors en ses autres dispositions, la Sidat a pu valablement décider de ne pas contracter de nouveau à l'expiration de ce contrat ; que la demande n'est donc pas fondée ;

Sur la demande afférente aux pièces détachées

Attendu que la Sidat a accepté de reprendre les pièces détachées dans les conditions prévues au contrat, bien que celui-ci ne prévoie cette reprise que dans le cas de résiliation du fait du fournisseur, qu'elle a effectivement repris des pièces dans la limite contractuelle et de ce fait défalqué de sa créance une somme de 25.862,30 F pour la réduire de 320.071,06 F à 294.208,76 F ;

Attendu que le contrat prévoit que la valeur des pièces reprises sera minoré d'un abattement pour frais administratifs, de traitement et de réemmagasinage, mais ne précise pas le mode de calcul de cet abattement ;

Attendu que pour les motifs énoncés par le jugement, il convient de confirmer celui-ci en ce qu'il a fixé la somme due par la Sidat pour les pièces reprises à 36.457,28 F, ce qui, après compensation, ramène la créance de la Sidat à 283.613,78 F ;

Attendu que le Tribunal a justement décidé que la Sidat n'est pas tenue de reprendre les pièces détachées conservées en stock par la société L'Automobile Costelloise, évaluées par celle-ci à 66.467,68 F ;

Sur les autres demandes

Attendu que la BNP s'est portée caution solidaire de la société l'Automobile Costelloise à concurrence de 200 000 F ;

Attendu que la demande de la Sidat en paiement de dommages intérêts n'est pas justifiée ;

Attendu que l'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Par ces motifs : Confirme le jugement en ce qu'il a dit que la société l'Automobile Costelloise doit à la Sidat la somme de 320.071,06 F, que la Sidat doit à la société l'Automobile Costelloise la somme de 36.457,20 F et rejeté le surplus de la demande de cette dernière société relativement aux pièces détachées, ainsi que les demandes de la Sidat en paiement de dommages-intérêts ; L'infirmant pour le surplus, rejette la demande de la société l'Automobile Costelloise en paiement de dommages-intérêts ; Condamne la société l'Automobile Costelloise à payer à la Sidat la somme de 283.613,78 F, avec les intérêts au taux légal à compter du 10 avril 1986, Condamne la Banque Nationale de Paris solidairement avec la société l'Automobile Costelloise, à concurrence de 200 000 F avec les intérêts au taux légal à compter de la même date, Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Condamne solidairement la société l'Automobile Costelloise et la BNP aux dépens de première instance et d'appel, avec droit pour la SCP Brondel & Tudela, Avoués, de recouvrer directement contre elles ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.