CA Besançon, 2e ch. com., 7 juin 1989, n° 1386-87
BESANÇON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Thévenin Ducrot (Sté)
Défendeur :
Hinger
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Grivot
Conseillers :
MM. Pontonnier, Paris
Avoués :
Mes Graciano, Dumont
Avocats :
Mes Curtil, Grimbert.
La société Thévenin Ducrot est appelante du jugement du Tribunal de commerce de Gray en date du 3 juillet 1987 qui déclare résilié aux torts exclusifs de Thévenin Ducrot le contrat souscrit par Hinger le 16 avril 1980 et qui déboute cette société de ces demandes.
Le tribunal dit que la société devra reprendre elle-même possession du matériel, objet du contrat, à l'exclusion de la cuve de 60 000 litres, contre paiement par Hinger de la somme 7 500 F. Il alloue 5 000 F de dommages-intérêts à Hinger.
Le contrat du 16 avril 1980 souscrit par Hinger est relatif à la mise à disposition de Hinger de divers matériels de distribution d'essence en vue du débit exclusif des produits fournis par Thévenin Ducrot avec imposition d'un débit normal de carburant de 20 000 litres par mois.
Thévenin Ducrot reproche à Hinger de ne pas avoir respecté le quota et d'avoir violé la clause d'exclusivité.
La société Thévenin Ducrot conclut à la réformation du jugement entrepris.
Elle demande à la Cour de prononcer la résiliation du contrat aux torts exclusifs de Hinger et de condamner celui-ci sous astreinte à restituer les matériels, objet du contrat et à effacer toute marque distinctive provenant de Thévenin Ducrot. Elle demande en outre le paiement de la somme de 1 383,97 F, facture impayée, de celle de 50 000 F pour utilisation des signes distinctifs, de 150 000 F pour rupture anticipée de la convention, de 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Thévenin Ducrot demande à la Cour d'interdire à Hinger de vendre des produits concurrents pendant une période de cinq ans dans un rayon de vingt kilomètres.
Hinger conclut à l'infirmation du jugement entrepris et demande 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Vu les pièces de la procédure, les documents versés aux débats, ensemble le jugement entrepris et les conclusions des parties auxquels la Cour se réfère pour plus ample exposé des faits de la cause et des moyens développés.
Le 16 avril 1980, Hinger, propriétaire exploitant d'une station service à Cresancey, a souscrit un engagement auprès des établissements Thévenin Ducrot. Ceux-ci ont mis à sa disposition divers matériels de distribution et de stockage de carburants, notamment une cuve double enveloppe compartimentée d'une contenance totale de 60 000 litres, trois volucompteurs, un mât, deux caissons lumineux Avia et Gazole...Hinger considère Thévenin Ducrot comme fournisseur exclusif et s'engage, sauf force majeure à assurer un débit normal de carburants de 20 000 litres par mois au minimum. En cas de rupture du contrat, Hinger s'interdit pendant cinq ans et dans un rayon de vingt kilomètres de vendre ou de représenter les produits concurrents de ceux de Thévenin Ducrot.
Le contrat est conclu pour dix années, renouvelable par tacite reconduction pour la même durée, sauf dénonciation six mois avant l'expiration de chaque terme.
Divers avenants à cette convention seront notifiés à Hinger, notamment en ce qui concerne le prix des carburants.
Il importe de noter que pour les matériels mis à la disposition de Hinger, la convention utilise l'expression de prêt à usage et comporte une obligation de restitution de ces matériels en cas de cessation du contrat.
Le 28 avril 1987, les établissements Thévenin Ducrot saisissent le Tribunal de commerce de Gray aux fins de résiliation du contrat aux torts exclusifs de Hinger.
Thévenin Ducrot reproche à Hinger de n'avoir pas respecté le minimum de débit prévu au contrat et d'avoir cessé de s'approvisionner chez eux.
L'examen des débits au cours des années 1980 à 1986 révèle que Hinger n'a réalisé le minimum qu'en 1984. Dans les autres années, il enregistre des déficits. Le plus important, après des déficits annuels de moins de 300 hectolitres en 1981, 1982, se situe en 1983 où le manque par rapport au contrat est de 1 040 HL. Après un surplus de 560 HL en 1984, les déficits s'aggravent en 1985 et 1986. En 1987, Hinger a cessé de s'approvisionner chez Thévenin Ducrot.
Pour expliquer ses difficultés relatives aux débits, Hinger indique qu'en 1981, une nouvelle station Avia, de marque Thévenin Ducrot, a été ouverte sur la déviation de la route nationale, à moins de 12 kilomètres de Cresancey. En 1983, la portion de la route Gray-Besançon où se situe la station service a été fermée pendant plusieurs mois en raison de travaux.
Hinger expose en outre qu'après la libération du prix des carburants en 1982, Thévenin Ducrot pratique de meilleures conditions au bénéfice d'une station service Stock située à cinq kilomètres de la station service de Hinger.
Les documents versés aux débats établissent que la station service Stock pratique des prix inférieurs à ceux consentis à Hinger.
A ces moyens, Thévenin Ducrot réplique en précisant que l'ouverture d'une station Avia en 1981 n'est en fait que l'extension de la station de Marnay et que la station Stock est une société indépendante qui s'approvisionne auprès de diverses compagnies pétrolières dans le cadre d'un marché libre. La station Thévenin Ducrot indique par ailleurs que la convention avec Hinger ne lui interdit pas d'ouvrir des stations.
La preuve est rapportée que Hinger n'a pas respecté le débit minimum qui lui est imposé par l'engagement contractuel de 1980. Le non respect de cet engagement ne peut être imputé exclusivement à Hinger. En effet, ce dernier a dû faire face à des modifications substantielles des conditions de vente et des remises. Lors de ces modifications, il n'a pas été soutenu par Thévenin Ducrot qui au contraire a pratiqué avec une station concurrente des prix préférentiels. Or la station Stock implantée près de la station de Hinger concurrence directement ce denier.
Cette attitude de Thévenin Ducrot constitue une pratique discriminatoire condamnée par le législateur (lois du 27 décembre 1973 et du 30 décembre 1985, ordonnance du 1er décembre 1986).
Par ailleurs, il ne peut être reproché à Hinger d'avoir cessé de s'approvisionner chez Thévenin Ducrot.
Il ressort des correspondances versées aux débats que Thévenin Ducrot n'a pas effectué les livraisons demandées par Hinger.
Ainsi dans une lettre du 9 février 1987, Hinger signale qu'une commande de carburant faire avant Noël 1986 n'a pas encore été livrée.
Dans une lettre du 25 avril 1987, il fait également état d'un défaut de livraison. Or il est certain qu'un défaut ou un retard de livraison peuvent avoir des conséquences graves pour une station service.
Il est compréhensible que dans ces conditions, Hinger ait dû faire appel à d'autres fournisseurs.
Thévenin Ducrot a commis une faute lourde en suspendant unilatéralement les livraisons, mettant Hinger dans l'impossibilité de faire fonctionner sa station service.
L'initiative de la rupture anticipée du contrat appartient à Thévenin Ducrot, ainsi que cela est confirmé par la lettre du 12 février 1987 envoyée à Hinger dans laquelle Thévenin Ducrot propose une résiliation amiable anticipée. Les manquements commis par Hinger au cours de l'exécution du contrat ne justifiaient pas une rupture de ce contrat à moins que les parties ne puissent trouver de nouvelles conditions d'accord.
Mais les pratiques abusives suivies par Thévenin Ducrot ont rendu impossible la continuation du contrat et c'est à juste titre par application des articles 1147, 1148 du code civil que le tribunal a mis à la charge exclusive de Thévenin Ducrot la responsabilité de la rupture anticipée.
C'est également à bon droit que dans ces conditions, le tribunal a jugé que la clause de non-concurrence prévue en cas de rupture du contrat ne pouvait être invoquée par Thévenin Ducrot à l'encontre de Hinger.
Quant aux dommages-intérêts alloués à Hinger à la suite de cette rupture anticipée, la Cour possède des éléments suffisants d'appréciation pour estimer que la somme de 5 000 F allouée par le tribunal est excessive et doit être ramenée à 1 000 F, compte tenu notamment des manquements commis par Hinger et de sa non communication de ses comptes d'exploitation malgré l'ordonnance du Conseiller de la Mise en État.
En ce qui concerne la demande de Thévenin Ducrot relative au règlement d'intérêts de retard pour 1 383,97 F, la motivation du tribunal qui rejette cette demande est pertinente. En effet, la société Thévenin Ducrot est revenue unilatéralement sur les conditions de ventes appliquées jusqu'alors, à savoir paiement de la dernière livraison à la livraison suivante. La dernière commande, celle de la fin de l'année 1986 n'a pas été honorée et Hinger s'est acquitté de sa dette dans des délais raisonnables après la constatation du refus de livraison.
La convention prévoit qu'en cas de cessation, la société Thévenin Ducrot pourra reprendre les appareils et accessoires par elle installés, notamment les cuves, sans être tenue de remettre les lieux en état.
En ce qui concerne l'enlèvement de la marque et des couleurs Avia, Hinger affirme que les grands panneaux Avia ont été démontés à la date du 3 juillet 1987 et qu'il les tient à la disposition de la société Thévenin Ducrot.
Il est certain que celle-ci est bien fondée à demander la restitution de ce matériel de la marque. Mais il lui appartient de reprendre elle-même ce matériel. La société Thévenin Ducrot soutient qu'après la rupture du contrat, Hinger a continué à utiliser les sigles de la société. Elle présente à ce sujet un procès-verbal de constat non contradictoire établi à sa requête le 27 juin 1988.
L'huissier Catherine Erhart de Gray a constaté la présence aux accès du village de Cresancey de deux panneaux, l'un indiquant Avia 500 mètres, l'autre Avia 1 000 mètres. A la station Hinger, l'huissier a relevé la présence de trois postes de distribution Avia et d'un mélangeur. Il a également noté la présence de panneaux Avia démontés. Mme Hinger a déclaré à l'huissier qu'elle vendait toujours son essence et que Thévenin Ducrot n'était toujours pas venue enlever le matériel.
Si la restitution de la cuve implantée en sous-sol pose un problème particulier, les matériels de surface peuvent être repris par Thévenin Ducrot dans les conditions qui ont été exactement déterminées par le tribunal. Ce dernier a précisé que la société Thévenin Ducrot devait reprendre elle-même possession du matériel, objet du contrat, à l'exclusion de la cuve, contre paiement par Hingerd'une indemnité de 7 500 F, valeur résiduelle de la cuve.
Il convient d'observer que le jugement a été assorti de l'exécution provisoire et que les établissements Thévenin Ducrot n'ont pas récupéré le matériel.
Il ne peut être reproché à Hinger d'avoir continué à vendre des carburants puisque la clause de non-concurrence ne lui est pas applicable. Il a continué à utiliser les appareils distributeurs mais a démonté les marques Avia. Le maintien des panneaux placés aux accès du village ne concerne pas l'exploitation proprement dite de sa station. Il appartenait aux établissements Thévenin Ducrot de les retirer dès juillet 1987. Il n'y a pas lieu de considérer que Hinger a commis une faute en continuant à vendre des carburants. Il a réalisé ces ventes sans utiliser les signes distinctifs Avia en attendant que Thévenin Ducrot reprenne son matériel.
Les demandes de Thévenin Ducrot fondées sur ces faits doivent être rejetées.
Pour la restitution des matériels, il n'y a pas lieu de prévoir d'astreinte puisque Thévenin Ducrot doit venir lui-même reprendre son matériel.
Le tribunal a, avec raison, réservé le problème de la restitution de la cuve de 60 000 litres. La restitution en nature de la cuve qui présente une vétusté de plusieurs années soulève des difficultés car elle impose à Hinger des frais considérables sans présenter un grand intérêt financier pour Thévenin Ducrot. La restitution en nature interdit à Hinger de poursuivre son activité. Elle nécessiterait un travail important qui serait coûteux et dommageable à la station et qui n'aboutirait qu'à la récupération d'un matériel de faible valeur marchande. Une telle clause doit être considérée comme abusive et ne saurait être appliquée dans le cas de la rupture du contrat intervenue entre Hinger et Thévenin Ducrot.
En définitive, les solutions pratiques adoptées par le tribunal sont justifiées. Sa décision mérite d'être confirmée sous réserve du montant des dommages-intérêts.
Les demandes de la société Thévenin Ducrot doivent être rejetées.
Au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, la somme de 3 000 F sera allouée à Hinger. Conformément à l'article 696 du nouveau code de procédure civile, la société Thévenin Ducrot supportera tous les dépens.
Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré, Déclare l'appel recevable, Confirme le jugement entrepris sauf en ce qui concerne les dommages-intérêts alloués à Hinger qui sont réduits à mille francs (1 000 F). Déboute la société Thévenin Ducrot de ses demandes. Condamne la société Thévenin Ducrot à payer à Hinger la somme de 3 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Condamne la société Thévenin Ducrot aux dépens et autorise Maître Dumont, avoué, à se prévaloir de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.