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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 7 juillet 1989, n° 87-18684

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Fougères Automobiles (SA)

Défendeur :

Régie Nationale des Usines Renault

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schoux

Conseillers :

MM. Bourrelly, Thery

Avoués :

SCP Duboscq Pellerin, SCP Roblin Chaix de Lavarene

Avocats :

Mes Bourgeon, Simon.

T. com. Paris, 6e ch., du 25 mai 1987

25 mai 1987

Considérant que la société anonyme SAFA devenue Société Fougères Automobiles a, par déclaration remise au secrétariat greffe le 21 octobre 1987, interjeté appel du jugement en date du 25 mai 1987 par lequel le Tribunal de Commerce de Paris l'a déboutée de ses demandes tendant à ce qu'il soit dit que la Régie Nationale des Usines Renault était en faute de lui avoir refusé la mise en conformité du contrat de concession conclu entre elles avec les dispositions de l'article 5.2.2. du règlement de la Communauté Economique Européenne 125/85 à ce qu'elle soit condamnée à lui payer la somme de 3 000 F à titre d'indemnité provisionnelle, un expert étant désigné avec mission de déterminer la marge brute qui aurait du être retirée s'il y avait eu poursuite des relations commerciales jusqu'à fin 1987 et subsidiairement, à ce que la Cour de Justice de Luxembourg fut saisie à titre préjudiciel, conformément à l'article 177 du traité de Rome, de l'interprétation de certains points relatifs aux effets des dispositions des articles 8 et 14 du règlement CEE 123-85 ;

Considérant que ses conclusions tendent à ce qu'il soit dit qu'en l'absence de mise en conformité avec les dispositions obligatoires de l'article 5.2.2. du règlement numéro 123-85, le contrat de concession exclusive qui la liait à la Régie Renault jusqu'au 31 décembre 1985, est devenu nul de plein droit en application de l'article 85-2 du traité de Rome et que la responsabilité de cette nullité incomber à ladite Régie qui lui doit réparation du préjudice qui en est résultée pour elle ;

Qu'elle conclut, en conséquence, à sa condamnation à lui payer la somme de 900 000 F à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice ayant résulté de la perturbation subie dans les relations commerciales du fait de la Régie au cours de deuxième semestre 1985 ;

Qu'elle demande qu'une expertise soit prescrite afin de déterminer le montant du préjudice subi par elle du fait de la perte de chance de poursuivre ses relations commerciales avec la Régie au delà du 1er janvier 1986, pour deux années et subsidiairement pour une année entière ;

Qu'elle demande qu'elle soit condamnée à lui payer la somme de 30 000 F au titre de la disposition de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Considérant que la Régie Renault soulève l'irrecevabilité en appel de la demande de la société SAFA en paiement de la somme de 900 000 F à considérer comme nouvelle ;

Que, subsidiairement, elle conclut à son rejet ainsi qu'à celui de ses autres demandes, le jugement étant confirmé en toutes ses dispositions ; qu'elle conclut à la condamnation de la société SAFA à lui payer la somme de 30 000 F au titre de la disposition de l'article 700 précité ;

Considérant que, par conclusions déposées le 18 janvier 1989, la société Fougères Auto, ci après SAFA, maintient ses prétentions antérieures et conclut au rejet de celles de la Régie Renault en précisant les moyens qu'elle invoque dans ce sens ;

Considérant que la demande initiale de la société appelante a tendu à l'indemnisation du préjudice qu'elle estimait imputable à la Régie Renault ; que sa prétention à dommages intérêts à concurrence de 900 000 F tirant la conséquence de ce point de départ ne peut être considérée comme nouvelle ; que sa recevabilité doit être admise ;

Considérant que, par contrat conclu le 17 janvier 1984, il a été convenu entre la Régie Renault et la société SAFA, présentement société Fougères Auto, que le droit de distribuer des véhicules neufs visés aux conditions particulières et les pièces de rechange et accessoires d'origine ainsi que de proposer les services conçues par le constructeur relatifs à ces produits et d'organiser cette commercialisation la zone d'activité concédée soit les cantons de l'Ile et Vilaine qui y étaient indiqués lui étaient conférés pour les années 1984 et 1985, avec l'obligation pour elle d'y consacrer toute son activité ;

Que, par lettre recommandée avec accusé de réception du 28 septembre 1983, la Régie Renault, tout en annonçant à la société SAFA que le contrat dont il s'agit serait identique aux précédents quant à ses clauses et stipulations, l'informait du projet du règlement de la Commission des Communautés Européennes concernant l'automobile, projet de nature à modifier certaines clauses du contrat de concession, pour lui signaler qu'elle serait amenée à lui proposer soit un nouveau contrat soir un avenant, " pour nous conformer aux nouvelles dispositions contractuelles susceptibles d'être imposées " par ladite Commission ; que la lettre du 27 septembre 1984, également recommandée avec accusé de réception, confirmait cette éventualité d'un avenant au contrat de concession " pour nous conformer à ces dispositions (celles du règlement à intervenir) " ;

Que ce règlement 123-85 de la Commission des Communautés européennes était arrêté le 12 décembre 1984, publié au Journal officiel de celles-ci le 18 janvier 1985 pour entrer en vigueur au 1er juillet de cette année ; qu'il prévoyait que les contrats de concession conclus antérieurement à cette entrée en vigueur pourraient avant le 1er octobre suivant, faire l'objet d'une mise en harmonie avec ses dispositions et ainsi échapper à la nullité ;

Qu'il est rappeler que ce règlement définit les conditions auxquelles est soumise l'exemption de l'interdiction des clauses restrictives de concurrence formulée par l'article 85 § 1 du traité de la Communauté économique européenne ; qu'il pose les règles aux termes desquelles le contrat de concession de la distribution automobile dans une zone déterminée avec clause d'exclusivité doit, soit être conclu pour une durée de quatre années, soit, si sa durée est indéterminée, subordonner sa résiliation à un préavis d'une année ;

Considérant que, pour justifier sa prétention à dommages-intérêts telle qu'elle ressort de l'exposé de ses prétentions, la société appelante fait valoir que, contrairement à ce qu'ont admis les premiers juges, à savoir que la Régie Renault n'avait pas rendu nulles les clauses du contrat conclu entre elles ni pris aucune responsabilité dommageable de nature à y donner lieu, l'engagement a bien a été assumé par elle de se conformer à la réglementation européenne lorsqu'elle serait devenue applicable en se plaçant dans la situation convenue d'une concession exclusive, que son manquement à cet engagement a été générateur de la nullité du contrat du 17 janvier 1984, la clause d'exclusivité devant être considérée comme impulsive et déterminante de sa conclusion, que sa renonciation, par lettre recommandée avec accusé de réception du 8 juillet 1985, au bénéfice de l'exclusivité prévue à son profit ne peut pas modifier cette conséquence et e, enfin, qu'à la responsabilité qu'elle ainsi encourue, s'ajoute celle résultant de la perturbation de leurs relations commerciales au cours du second semestre 1985 : démobilisation du réseau d'agents de son concessionnaire, interruption des relations normales, modification unilatérale des conditions de paiements qui lui étaient consenties ;

Considérant que la Régie Renault fait valoir, en réponse, que rien dans les dispositions du nouveau règlement n'autorise à en induire son application immédiate aux contrats en cours, notamment quant à leur durée, que ses lettres du 28 septembre 1983 et du 27 septembre 1984 ne comportent ni implicitement ni explicitement une promesse de contrat ou de prorogation de contrat, que l'arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes du 18 décembre 1986, dont il est présentement fait état, consacre la solution selon laquelle le règlement dont s'agit n'établit pas de prescription contraignante affectant directement le contenu de la validité des clauses des contrats en cours avec obligation d'adaptation de ces contrats sans autre alternative, se limitant à l'énoncé des possibilités de maintien des clauses d'exclusivité dans les accords de distribution nonobstant l'interdiction de principe de l'article 85-1 du traité ; que sa proposition d'un avenant pour le second semestre de 1985 libérant la société appelante de toute obligation d'exclusivité n'entraînait pour elle aucune préjudice et qu'enfin l'appréciation des conséquences d'une éventuelle nullité de certaines clauses contractuelles doit être l'œuvre des juridictions locales en fonction du droit national applicable ;

Considérant que le règlement numéro 123-85, en tant que règlement d'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité se limite à donner aux opérateurs économiques du secteur des véhicules automobiles certaines possibilités leur permettant, malgré la présence de certains types de clauses d'exclusivité et de non concurrence, dans leurs accords de distribution et de service de vente et d'après vente, de faire échapper ceux-ci à l'interdiction de l'article 85 paragraphe 1, que les dispositions du règlement numéro 123-85 n'imposent toutefois pas aux opérateurs économiques de faire usage de ces possibilités et qu'elles ont pas non plus pour effet de modifier le contenu d'un tel accord et de le rendre nul lorsque toutes les conditions du règlement ne sont pas remplies ;

Que le désaccord des parties tient essentiellement à ce que la Régie Renault, si, dans ses lettres des 28 septembre 1983 et 27 septembre 1984, elle a envisagé l'éventualité au minimum d'un avenant en vue de la mise en conformité du contrat conclu entre elle et la société appelante, soutient qu'elle ne s'était pas engagée à le faire, du moins dans le sens soutenu par celle-ci, laquelle maintient qu'il y a eu promesse effective dans ce sens ;

Que, d'autre part, la nécessité de l'engagement dont il est fait état est nécessaire en la cause, la dispositions même du règlement 123-85, ainsi qu'il ressort de ce qui précède, ne suffisant pas à emporter la mise en conformité du contrat liant les parties avec clause d'exclusivité quant à la durée déterminée de quatre années ou indéterminée avec délai d'un an de préavis ;

Que, d'autre part, suivant que la société appelante doit ou non se voir reconnaître droit à une prorogation de la durée de son contrat, son non renouvellement avec cessation de ses effets au 31 décembre 1985 est ou n'est pas justifié et les modifications dont il est fait état sont ou ne sont pas admissible ;

Considérant, sur le premier point, que la divergence des parties se situe essentiellement au niveau de la signification des lettres des 28 septembre 1983 et 27 septembre 1984, l'appelante en dégageant la conclusion d'un engagement non équivoque de conformité de sa situation contractuelle qui soit définie selon les solutions posées par le règlement en partant de l'idée que l'exclusivité la caractérisant devait être maintenue, ce qui présentait pour elle l'avantage d'en bénéficier et de la subir pendant deux années supplémentaire, alors que pour la Régie Renault il s'était agi uniquement, à l'égard de la société SAFA comme des autres concessionnaires, de réserver l'éventualité d'une mise à jour nécessaire ;

Considérant que les deux lettres dont il s'agit forment un tout la seconde indiquant in limine qu'elle renouvelle et reprend les termes de la première quant à la répercussion possible de l'évolution de la réglementation européenne sur les données de la distribution automobile et, par suite, quant au contenu des contrats en cours ; que ni l'une ni l'autre de ces lettres ne prend directement positionner ce contenu pour indiquer en quoi il pourrait être modifié, se bornant à préciser l'hypothèse qu'elle envisage à savoir celle de dispositions contractuelles " susceptibles d'être imposées " qui entraîneraient ainsi la nécessité d'un nouveau contrat ou d'un avenant ; que la seconde lettre reprend l'éventualité d'une réglementation produisant un effet impératif sur le contenu des contrats de concession ; qu'elles font ainsi ressortir que la question susceptible de se poser est celle de l'actualisation, sous une forme ou l'autre, du contrat dont la modification serait, du fait de la réglementation, à intervenir lorsqu'elles ont été rédigées, acquise dans son principe ;

Considérant que, dès lors que ce règlement n'établit pas de prescriptions contraignantes, la donnée essentielle de l'hypothèse des lettres fait défaut ; qu'ainsi elles ne sont pas susceptibles de suppléer à la limitation d'efficacité que comporte le règlement ;

Considérant, sur le second point, que, du fait que la nullité invoquée par la société appelante ne pet pas, ainsi qu'il a été précisé plus haut, se dégager des prescriptions du règlement 123-85 de la Commission, il ne peut qu'être admis que dans son économie d'ensemble le contrat du 17 janvier 1984 a ouvert le droit, pour la Régie Renault, de notifier, par lettre du 24 juin 1985, à la société SAFA son intention de ne pas poursuivre leurs relations commerciales ; qu'il est d'ailleurs, à noter qu'elle exprime une décision valablement prise avant l'entrée en vigueur du règlement, décision à considérer comme acquise à la date du 1er juillet 1985 ;

Considérant que le moyen de nullité du contrat tiré de l'offre par la Régie par lettre du 16 juillet 1985, d'un avenant au contrat aux termes duquel la confirmation de la concession pour la période du 1er juillet au 31 décembre 1985 se doublerait de sa renonciation au bénéfice de l'exclusivité de vente stipulée à sa charge du concessionnaire et à son profit ne peut pas être retenu ; qu'il se fonde sur la thèse selon laquelle l'exclusivité se présente sous deux aspects : celui contraignant pour la régie l'affectation du secteur géographique sur lequel la concession porte à celui à qui elle est attribuée et celui contraignant pour ce dernier de la nécessité de s'en tenir aux modèles, aux accessoires et aux services définis par la concédante ; que du fait de leur individualité, la remise en cause d'un de ses aspects remet fondamentalement en question la cause même du contrat ;

Qu'il est à retenir que dès lors que cet avenant a été refusé par lettre de la société SAFA du 27 septembre 1985, le contrat maintenu dans son contenu antérieur, ne relève pas de cette critique ; que, par ailleurs, il était loisible à la Régie Renault de ne pas tirer du contrat l'avantage découlant pour elle de la stipulation d'exclusivité ;

Qu'il n'est pas allégué qu'elle ait enfreint son obligation d'exclusivité ; qu'ainsi il n'est pas établi qu'un préjudice ait résulté pour la société appelante de la nullité du contrat ou de la modification proposée par la Régie Renault ;

Considérant que, par lettre du 25 juin 1985, la Régie Renault confirmant sa décision de non renouvellement du contrat de concession, a proposé à la société SAFA de substituer à la formule de financement grâce à un crédit ouvert par la société Cogera, celle du dépôt des modèles commandés chez un transitaire ; que, par lettre du 27 septembre 1985, la mise en œuvre de cette formule à compter du 1er octobre suivant était notifiée à la société SAFA qui en conteste la justification ;

Que l'annexe au contrat de concession qui prévoit la formule de financement grâce au crédit fourni par la Cogera, réserve à la Régie le droit d'y mettre fin, notamment en lui substituant la formule de mise en dépôt ; que, le non renouvellement du contrat est prévu comme susceptible de donner lieu à une telle décision ;

Considérant que les contacts pris par la Régie avec les agents relevant de la concession, contre indiqués pendant le temps où le renouvellement du contrat pouvait être envisagé, s'expliquent dès lors que la perspective proche de la fin des relations contractuelles, justifie de veiller à ce qu'ils ne passent pas à la concurrence;

Considérant, en conclusion, que les demandes de la société Fougères Automobiles doivent être rejetée ;

Considérant que la Régie Renault a été amenée à exposer des frais non taxables qu'il serait inéquitable de laisser définitivement à sa charge qu'il y a lieu d'évaluer, pour les procédure de première instance et d'appel, à la somme de 10 000 F au remboursement de laquelle doit, en application de la disposition de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, être condamnée la société Fougères Automobiles, précédemment société SAFA ;

Considérant qu'elle doit supporter les dépens de la cause ;

Par ces motifs : Dit la société Fougères Automobiles antérieurement société SAFA, recevable en son appel, Dit les parties recevables en leurs demandes respectives, Confirme en son entier le jugement entrepris, Y ajoutant, Condamne la société Fougères Automobiles à payer à la Régie Nationale des Usines Renault, au titre de la disposition de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, la somme de 10 000 F, La condamne aux dépens d'appel, Admet la SCP Duboscq Pellerin, avoué, au bénéfice de la disposition de l'article 699 du ce même code.