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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 10 octobre 1989, n° 87-10839

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Société normande de Garages Europe automobiles

Défendeur :

Alfa Roméo France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chavannac

Conseillers :

M. Chradon, Mme Briottet

Avoués :

SCP Roblin, Chaix de Lavarene, Mes Trotry, Jobin

Avocats :

Mes Thréard, Meret.

T. com. Paris, 2e ch., du 7 avr. 1987

7 avril 1987

LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Normande des Garages Europe Automobiles (SNGEA) assistée de Ricouard, Syndic au règlement judiciaire de cette société du jugement du 7 avril 1987 par lequel le tribunal de commerce de Paris l'a déboutée de sa demande en dommages-intérêts formée contre la société Alfa Roméo France et l'a condamnée à payer à cette société la somme de 5.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC, ensemble, sur la demande additionnelle formée par Alfa Roméo.

Par contrat du 1er janvier 1984, Alfa Roméo a concédé à la SNGEA, pour une durée de cinq ans, la vente des véhicules de la marque dans l'arrondissement de Rouen.

Selon les stipulations de l'article 13 du contrat le concessionnaire s'engageait à développer activement et efficacement ses diverses actions de vente afin de satisfaire aux objectifs fixés chaque année en commun accord avec le concédant.

La non-réalisation desdits objectifs constituait, aux termes de l'article 30 de la convention, l'un des cas de résiliation de plein droit du contrat avec effet immédiat à la discrétion du concédant.

Etabli pour l'année 1984 à 350 véhicules neufs, l'objectif de vente a été ramené pour 1984 à 280 véhicules.

Par jugement du 12 mars 1985, le tribunal de commerce de Rouen a prononcé la mise en règlement judiciaire de la SNGEA, Ricouard étant nommé syndic.

Sur demande de ce dernier, Alfa Roméo acceptait de poursuivre l'exécution du contrat, mais, constatant la baisse continue des résultats commerciaux de la société concessionnaires, Alfa Roméo résiliait la convention le 30 septembre 1985 avec effet au 31 décembre suivant.

Par acte du 29 janvier 1986, la SNGEA et Ricouard, ès-qualités, ont fait assigner Alfa Roméo devant le tribunal de commerce de Paris en paiement de dommages-intérêts pour résiliation abusive du contrat de concession.

C'est dans ces conditions qu'est intervenue la décision déférée.

La SNGEA, assistée de Ricouard, ès-qualité, appelante, demande qui soit déclarée abusive la résiliation du contrat à durée déterminée et conclut à l'instauration d'une mesure d'instruction afin de déterminer le préjudice subi avec allocation d'une provision de 1.000.000 F à titre de dommages-intérêts, ainsi que d'une somme de 10.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

La société Alfa Roméo, intimée, conclut au débouté de la SNGEA et de Ricouard, ès-qualités de l'ensemble de leurs demandes et à leur condamnation au paiement d'une somme de 20.000 F en remboursement des frais non compris dans les dépens.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant qu'au soutien de son appel, la SNGEA fait valoir que c'est à tort qu'Alfa Roméo aurait regardé la stipulation contractuelle relative à la réalisation des objectifs de vente comme une obligation de résultat, la contradiction apparaissant entre, d'une part, les dispositions conjuguées des articles 3 de l'avenant annuel sur les objectifs et 30 du contrat principal sur la résiliation et, d'autre part, la lettre avenant du 25 janvier 1985, impliquant une interprétation favorable au concessionnaire, débiteur de l'obligation, par la substitution à l'obligation de résultat invoquée d'une simple obligation de moyens ;

Que, par ailleurs, ces dispositions seraient nulles comme contraires aux dispositions de l'article 85-2° du Traité de Rome ;

Qu'elle fait valoir en outre que cette résiliation serait abusive comme prématurée, Alfa Roméo n'ayant pas laissé au syndic un délai suffisant pour poursuivre l'exécution du contrat ;

Qu'enfin la société concédante aurait eu un comportement fautif par les retards apportés à la livraison des véhicules commandés et des pièces de rechange, retards par la suite imputés au concessionnaire, ainsi que par la rétention injustifiée de sommes dues notamment au titre des garanties ;

Mais considérant que les dispositions contractuelles critiquées ne sauraient être regardées comme créant à la charge du concession l'obligation de réaliser les objectifs fixés à peine de résiliation de la convention à ses torts ;

Qu'en effet la notion même d'objectif implique que, par sa détermination opérée d'un commun accord entre le concédant et le concessionnaire, les parties fixent un but que le concessionnaire doit s'efforcer d'atteindre en déployant, ainsi que le précise l'article 13 de la convention, une activité efficace de tous les instants ;

Que la diligence ainsi apportée par le concessionnaire doit s'apprécier en fonction du chiffre retenu dans l'objectif (à la fixation duquel il a lui-même participé), tempéré par la comparaison avec l'évolution du taux de pénétration de la marque sur l'ensemble du marché français afin de prendre en compte aussi bien la conjonction économique générale que les éléments propres à la gestion commerciale de la marque ;

Qu'ainsi l'obligation critiquée par la SNGEA apparaît bien comme étant une obligation de moyen, la non réalisation à 100 % de l'objectif fixé n'étant pas en elle-même une cause de résiliation (de plein droit) du contrat - ainsi d'ailleurs que l'affirme Alfa Roméo dans ses écritures - cette absence de réalisation devant être appréciée au vu de la diligence apportée par la SNGEA à atteindre l'objectif retenu, diligence elle-même déterminée par la différence du taux de pénétration de la marque dans la zone concédée par rapport au marché national ;

Qu'il est constant que, lors de l'envoi de la lettre de résiliation, le 30 septembre 1985, sur un objectif de 280 véhicules, la SNGEA n'avait réalisé que 43 ventes, soit un taux de réalisation de l'objectif de 15 % avec un taux de pénétration du marché local de 0,29 %, alors que le taux national était de 0,84 % ;

Qu'ainsi il apparaît que la SNGEA n'a pas déployé l'activité et l'efficacité requises pour tenter d'atteindre l'objectif fixé, ne remplissant pas de la sorte l'obligation de moyen contractée;

Que c'est donc à bon droit qu'Alfa Roméo, appliquant les stipulations de l'article 30 de la convention, a résilié de plein droit le contrat et que le tribunal de commerce a déclaré cette résiliation non abusive;

Considérant que l'obligation litigieuse n'ayant pas le caractère exclusif que lui attribue la SNGEA, le moyen tiré par cette société de sa contrariété avec les dispositions du Traité de Rome est sans objet ;

Considérant, de même, que le caractère prématuré de la résiliation allégué par la société concessionnaire n'est pas établi, ladite société ne démontrant pas que, depuis sa reprise en mains par le syndic, elle ait entrepris un redressement que la décision de rupture d'Alfa Roméo serait venu compromettre ;

Considérant, enfin, que n'est pas davantage démontré le comportement fautif imputé au concédant par la SNGEA ; qu'en effet la hauteur du taux national de pénétration de la marque (trois fois plus élevé que celui atteint par la SNGEA) contredit l'allégation de cette société relative à la mauvaise qualité des véhicules ; que les livraisons aussi bien des véhicules que des pièces de rechange ont été opérées dans les mêmes conditions que celles pratiquées auprès des autres concessionnaires, les faits de dénigrement allégués n'étant pas, par ailleurs, démontrés ; qu'enfin les sommes dues au titre de la garantie ont été réglées par Alfa Roméo avant la fin du contrat et selon les délais habituels ;

Considérant qu'ainsi il apparaît qu'en mettant en jeu la clause résolutoire, Alfa Roméo n'a commis aucun abus de droit, l'inexécution par la SNGEA de ses obligations revêtant un caractère de gravité suffisant ; que ladite résiliation était donc entièrement justifiée et l'appréciation de sa mise en œuvre a été opérée avec la bonne foi requise ;

Que le jugement déboutant de son action la SNGEA, assistée de Ricouard ès-qualités, doit être confirmé, la demande d'expertise formée par la SNGEA étant, de ce fait, sans objet ;

Considérant qu'au vu des faits de la cause, il n'est pas Inéquitable de laisser à la charge d'Alfa Roméo les frais non compris dans les dépens exposés par cette société en cause d'appel ;

Considérant que, succombant en son appel et tenue de supporter les dépens, la SNGEA ne peut avoir accueillie sa demande en remboursement de frais irrépétibles ;

Par ces motifs, confirme le jugement déféré. Rejette les demandes présentées par la SNGEA, assistée de Ricouard, és-qualité, notamment la demande tendant à l'instauration d'une mesure d'instruction avec allocation d'une provision ainsi que les demandes formées par chacune des parties sur le fondement de l'article 700. Condamne la SNGEA et Ricouard, és-qualité aux dépens d'appel et autorise Mes Trotry et Jobin, avoués associés, à les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.