CA Paris, 13e ch. A, 24 octobre 1989, n° 4029-89
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Ministère public, Parfums Christian Dior (SA), Nina Ricci Parfums (SA), Parfums Givenchy (Sté), Estée Lauder Cosmetics Limited (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Skop
Conseillers :
M. Martinez, Mme Petit
Avocats :
Mes Jousset, Jourde, Lebel.
Rappel de la procédure
Le jugement
Le jugement a relaxé David A de la contravention prévue et réprimée par l'article 5 du décret 77-469 du 28 avril 1977,
Le jugement l'a déclaré coupable des délits d'usage de marques sans autorisation des intéressés et de détention dans ses locaux commerciaux d'une marchandise " altérée " au sens des articles 1 et 2 de la loi du 24 juin 1928 ;
Faits commis courant 1985 à Boulogne prévus et réprimés par l'article 422-2 du Code pénal inséré dans le texte de l'article 27 de la loi du 31-12-1964 ;
Le jugement a condamné David A à la peine de 20 000 F (vingt mille francs) d'amende, a ordonné la publication par extraits aux frais du condamné dans les journaux France Soir, Le Figaro et Le Monde, sans que le coût total de ces publications puisse excéder la somme de 20 000 F ;
Le jugement a ordonné la confiscation des produits saisis suivant procès-verbal de saisie-contrefaçon du 21 janvier 1985 ;
Sur l'action civile
Le jugement a déclaré irrecevables les sociétés Nina Ricci, parfums Christian Dior et parfums Givenchy en leurs demandes fondées sur l'article 44-1 de la loi du 27 décembre 1973, faute pour elles d'avoir régulièrement mis en mouvement l'action publique ;
Pour le surplus, a reçu les sociétés Nina Ricci, Parfums Christian Dior, Givenchy et Estée Lauder en leurs constitutions de parties civiles ;
A condamné David A à verser à titre de dommages-intérêts :
- à la société Nina Ricci la somme de douze mille francs (12 000) ;
- à la société des Parfums Christian Dior la somme de douze mille francs (12 000) ;
- à la société des Parfums Givenchy la somme de huit mille francs (8 000) ;
- à la société Estée Lauder la somme de huit mille francs (8 000) ;
- à chacune des parties civiles, la somme de mille cinq cents francs (1 500) au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
Le jugement a déclaré la société B civilement responsable de David A ;
A dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du jugement ;
A débouté les parties civiles du surplus de leurs demandes ;
Le jugement a condamné David A aux dépens envers l'Etat liquidés à la somme de 279,40 F ;
Appels
Appel a été interjeté par :
1) David A et la société B, civilement responsable, le 19 juillet 1985, par l'intermédiaire de leur conseil,
2) le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Nanterre, le 19 juillet 1985, en ce qui concerne les chefs de détention ou commerce de produits sous une marque contrefaite ou frauduleuse et publicité mensongère ;
3) la SA Parfums Christian Dior, le 22 juillet 1985, par l'intermédiaire de son conseil,
4) la SA Nina Ricci, le 22 juillet 1985, par l'intermédiaire de son conseil,
5) la SA Estée Lauder, le 22 juillet 1985, par l'intermédiaire de son conseil,
6) la SA Parfums Givenchy, le 22 juillet 1985, par l'intermédiaire de son conseil,
Arrêt de la Cour d'appel de Versailles
La Cour d'appel de Versailles (8e Chambre) en date du 23 août 1986, a confirmé le jugement en ce qui concerne le délit d'usage de marques sans autorisation de leur propriétaire infirmé la décision en ce qui concerne le délit de publicité mensongère, et confirmé la décision en ce qui concerne le délit de détention d'un produit Nina Ricci dont le numéro d'identification du lot avait été altéré ;
Pourvoi en cassation
La Cour de cassation, le 21 février 1989, a cassé ledit arrêt de la Cour d'appel de Versailles, annulant toutes les dispositions et renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Paris ;
Décision
Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,
I- Les appels
Statuant sur les appels interjetés par David A, prévenu, la société B, civilement responsable, le Ministère public, les sociétés Parfums Christian Dior, Nina Ricci, Estée Lauder Cosmetics Limited et les Parfums Givenchy, parties civiles, à l'encontre du jugement déféré ;
S'y référant pour l'exposé des faits ;
Par voie de conclusions, l'appelant principal sollicite sa relaxe et le débouté des parties civiles ;
Il fait valoir, au soutien de sa demande, que la Cour de cassation saisie d'un pourvoi formé contre l'arrêt de la Cour de Versailles du 23-04-1986 intervenu sur l'appel interjeté par lui et son civilement responsable à l'encontre du jugement critiqué, avait estimé pour casser cet arrêt et renvoyer l'affaire devant la présente Cour, que " l'article 422-2 du Code pénal visé aux poursuites, n'a pas pour objet de sanctionner pénalement, lorsque la marque n'est pas contrefaite, les acquéreurs et revendeurs de produits commercialisés au mépris d'un système de distribution sélective ".
Il ajoute que cette position de la Cour de cassation est constante sur ce point.
S'agissant du délit de publicité " mensongère ", il estime que la relaxe s'impose pour les motifs retenus par les premiers juges et, à défaut, en raison du fait que le message incriminé n'est pas son œuvre, d'autre part, la mention " vente exclusive par distributeur agréé ", ne saurait suffire à constituer le délit de publicité mensongère et, enfin, parce que cette mention figurant en petits caractères sur le fond ou l'arrière de la boite, était invisible du public ;
Enfin, il considère que le délit des articles 1 et 2 de la loi du 24 juin 1928 n'est pas non plus constitué du seul fait du grattage du n° de lot figurant sur l'emballage d'un atomiseur " Eau de Fleurs " de Nina Ricci, puisque le texte litigieux définissant cette infraction exige qu'elle soit commise sciemment alors qu'il n'avait pas connaissance de cette altération.
Par voie de conclusions également la société anonyme Parfums Christian Dior, partie civile, demande à la Cour de confirmer le jugement frappé d'appel en ce qu'il a retenu A dans les liens de la prévention du chef de l'article 422-2 du Code pénal, de l'infirmer en ce qu'il l'a déboutée de son action fondée sur le délit de publicité mensongère, estimant que le prévenu devait être déclaré coupable de cette infraction.
Elle sollicite aussi la confirmation de cette décision sur les intérêts civils, la responsabilité civile de la société B et la condamnation du prévenu à lui payer la somme de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Cette partie civile fait valoir, à l'appui de ses conclusions, et s'agissant du délit de l'article 422-2 du Code pénal, le caractère objectif des critères imposés à ses points de vente qui les rend conformes aux exigences de la Cour de justice au regard des dispositions de l'article 50 de l'ordonnance de 1945 ou de l'article 85 paragraphe 1 du traité de Rome, tout en rappelant, par ailleurs, que les conventions par lesquelles elle a défini les engagements des membres de son réseau de distribution correspondent aux critères définis par la Commission de la concurrence dans son avis du 16-12-1982 qui précise notamment qu'elles " ne peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser de manière sensible le jeu de la concurrence... " alors surtout qu'elle ne détient que 8,6 % du marché des parfums français.
Enfin, elle estime, au plan du droit communautaire et spécialement de l'application de l'article 36 du traité de Rome concernant la libre circulation des marchandises et droits de propriété industrielle qu'elle ne se trouve pas dans une hypothèse d'épuisement du droit conféré par la marque.
A leur tour, les sociétés Nina Ricci Parfums, Parfums Givenchy et Estée Lauder Cosmetics Limited concluent à la confirmation du jugement déféré en ce qui concerne le délit des articles 1 et 2 de la loi du 24 juin 1928, son infirmation sur le délit de publicité " mensongère ", ces parties civiles estimant que A s'est rendu coupable de cette infraction, et à la condamnation de ce prévenu du chef du délit de l'article 422-2 du Code pénal.
Elles sollicitent l'affichage et la publication de l'arrêt dans France Soir, Le Figaro et Le Monde, le coût total ne dépassant pas 20 000 F, conformément aux dispositions de l'article 7 de la loi du 1er août 1905, et enfin la condamnation du prévenu à leur payer à chacune la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 20 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
S'agissant du problème de l'épuisement du droit conféré par la marque, les sociétés parties civiles, invoquent l'arrêt Terrapin/Terranova rendu par la Cour de justice des Communautés qui a exprimé la doctrine communautaire selon laquelle le titulaire d'un droit de propriété industrielle ne saurait invoquer la législation d'un Etat membre pour s'opposer à l'importation d'un produit qui a été écoulé licitement sur les marchés d'un autre Etat membre par le titulaire lui-même ou avec son consentement ainsi que la directive communautaire du 21-12-1988 qui, bien que postérieure aux faits de la cause, éclaire encore cette doctrine en admettant une exception au principe dégagé, dans l'hypothèse où l'état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce. A cet égard, ces parties civiles estiment que les produits tels que commercialisés par le prévenu ne pouvaient qu'être altérés, ou modifiés en raison du non respect des critères objectifs, qualitatifs qu'elles exigent de leurs distributeurs pour " assurer un meilleur service au consommateur ".
II- Les motifs
A- L'action publique
1) Le délit de l'article 422 alinéa 2 du Code pénal
Considérant qu'il est constant que le prévenu ne fait pas partie du réseau de distribution des sociétés Dior, Givenchy, Nina Ricci ou Estée Lauder.
Considérant qu'il est non moins constant que la société B dont A est le directeur a distribué certains produits des sociétés poursuivantes.
Considérant que si les dispositions de l'article 422 alinéa 2 pourraient conduire le juge pénal à exiger l'existence d'une contrefaçon de marque pour fonder la prévention, il appartenait à la Cour, en raison des difficultés que présente leur interprétation de rechercher la volonté du législateur en se référant aux travaux préparatoires de la loi du 31 décembre 1964.
Qu'à cet égard, et hors des opportunités économiques dont l'expérience révèle, ainsi que le soutiennent les parties civiles, que les produits de luxe commercialisés selon les techniques des grandes surfaces à vocation alimentaire, perdent leur renommée et leur compétitivité, force est de reconnaître que le législateur a bien voulu réprimer l'usage " d'une marque authentique lorsqu'il n'a pas été autorisé par le propriétaire de la marque ", ce qui est le cas en l'espèce.
Considérant enfin, que même placé sous l'éclairage de la directive du 21-12-1988 (89-104-CEE) postérieure à la date de commission des faits, spécialement de son article 7-1 qui consacre l'épuisement du droit conféré par la marque dont le prévenu ne fait d'ailleurs pas état, cette interprétation de l'article 422 alinéa 2 du Code pénal, en raison des éléments de fait de la cause, entre dans les prévisions du paragraphe 2 de cet article qui définit l'exception au principe posé;
Considérant en effet que, notamment pour des motifs d'ordre psychologique, la commercialisation des produits de luxe implique l'existence de conditions et de critères répondant à ces nécessités sans pour autant empêcher, restreindre ou fausser de manière sensible le jeu de la concurrence.
Considérant que ces critères imposés aux points de vente par les parties civiles, constituent donc des motifs qui légitiment leur action pour s'opposer à la commercialisation ultérieure de leurs produits dans des conditions qui ignorent ces exigences, l'emploi, dans ce paragraphe 2, de l'adverbe " notamment " n'excluant pas les préoccupations des plaignants.
Que, dans ces conditions, la Cour estime devoir confirmer sur ce point, le jugement déféré, la peine prononcée en la circonstance constituant une équitable sanction des faits commis, tout comme les mesures de publication et de confiscation.
2) Le délit de l'article 44-1 de la loi du 27-12-1973
Considérant que, sans retenir le motif des premiers juges, motif qui ne résiste pas à l'examen des conditions de constatation de cette infraction, la Cour estime que ce délit n'est pas constitué ;
Qu'en effet, le terme de publicité, même compris dans le large champ d'application que lui a attribué la jurisprudence implique au minimum, que le message publicitaire, en l'espèce, la mention " cet article ne peut être vendu que par des distributeurs agréés " par les sociétés Christian Dior, Givenchy ou Nina Ricci, qui figurait en petits caractères à l'arrière ou sur le fond des emballages des parfums, soit placé dans des conditions telles qu'il soit perçu et de nature à renseigner l'éventuel acquéreur et, le cas échéant, à le guider dans son choix;
Considérant qu'en l'espèce les conditions d'exposition des produits litigieux offerts à la vente, ne permettent pas d'affirmer que cette mention, telle que située sur l'emballage, était visible des clients, la marque même de ce produit constituant, en raison de sa notoriété, un élément d'information suffisant que, dans ces conditions, il convient de relaxer le prévenu de ce chef;
3) L'infraction de l'article 2 de la loi du 24-06-1928
Considérant qu'il résulte des éléments du dossier que sur l'emballage d'un atomiseur " Eau de fleurs " de Nina Ricci, le numéro du lot avait été gratté.
Considérant que l'article 2 de la loi du 24-06-1928 exige que l'exposition, la mise en vente ou la vente d'une marchandise dont notamment un signe servait à l'identification, aurait été altérée, ait été accomplie sciemment, ce qui n'est pas établi en raison du fait que cette anomalie n'a été constatée que sur un produit.
Qu'il résulte que le prévenu doit être relaxé de ce chef.
B- L'action civile
Considérant que la Cour en possession des éléments d'appréciation nécessaires et suffisants pour chiffrer les préjudices subis par les parties civiles et résultant directement des faits qu'elles ont dénoncés, estime devoir confirmer l'estimation qu'en ont faite les premiers juges, sans faire droit aux nouvelles demandes présentées par les parties civiles au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Considérant enfin qu'il échet de déclarer, comme la juridiction de première instance, la société B civilement responsable du prévenu.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Vu l'arrêt de renvoi de la Chambre Criminelle de la Cour de cassation en date du 21 février 1989, Confirme sur la déclaration de culpabilité relative à l'article 422 alinéa 2 du Code pénal, la peine infligée à A David les mesures de confiscation et de publication ainsi que sur les intérêts civils le jugement déféré ; L'infirme pour le surplus et relaxe le prévenu des chefs de publicité fausse ou de nature à induire en erreur et du délit de l'article 2 de la loi du 24-06-1928 ; Rejette comme non fondées toutes conclusions contraires ou plus amples. Condamne A David aux dépens d'appel liquidés à la somme de 627,37 F.