CA Reims, ch. civ. sect. 1, 6 décembre 1989, n° 510-89
REIMS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Noaillon (Epoux)
Défendeur :
Simon (Epoux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Minini (faisant fonctions)
Conseillers :
MM. Bouillon, Garcin
Avoué :
SCP Genet-Braibant
Avocats :
Mes Lefebvre, Monvoisin.
LA COUR,
LES FAITS
Suivant acte notarié en date à Reims du 24 novembre 1976, les époux Simon ont conclu avec les époux Noaillon un contrat de location-gérance et de bail d'immeuble portant sur le fonds de commerce de café bar sis 17 rue Max Dormoy et 14 rue Théodore Dubois à Reims, et la maison d'habitation sise aux mêmes lieux.
Le bail a été consenti et accepté pour une durée d'une année à compter du 1er janvier 1977 avec tacite reconduction. Le loyer a été fixé annuellement à 27 000 F.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 14 juin 1988, M. Simon a informé les époux Noaillon de son intention de mettre fin au contrat de gérance libre à compter du 31 décembre 1988 et de vendre l'immeuble et le fonds de commerce.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 3 août 1988, M. Simon a demandé aux époux Noaillon de prendre toutes dispositions pour libérer les lieux au 31 décembre 1988 et remettre ceux-ci en état.
Par acte d'huissier en date du 30 septembre 1988, les époux Simon ont dénoncé le contrat de location-gérance et sollicité la restitution des locaux à usage commercial et d'habitation pour le 31 décembre 1988.
Cette dénonciation a été signifiée aux domiciles des époux Noaillon et remise en mains de M. Noaillon.
Le 3 octobre 1988, M. et Mme Simon ont conclu un compromis de vente portant sur l'immeuble et le fonds de commerce.
Le 5 octobre 1988, ils en ont informé les époux Noaillon, leur accordant toutefois un droit de préférence jusqu'au 20 octobre 1988.
LA PROCEDURE
Par exploit d'huissier en date du 29 décembre 1988, M. et Mme Noaillon ont fait assigner les époux Simon devant le Tribunal de commerce de Reims en nullité des notifications et significations des 14 juin 1988, 3 août 1988 et 30 septembre 1988 portant dénonciation du contrat de location-gérance aux motifs que celles-ci avaient été faites " à domicile réel " et non " à domicile élu ".
Par exploit d'huissier en date du 6 janvier 1989, les époux Simon ont fait assigner les époux Noaillon en validité desdites notifications et significations.
Les époux Noaillon ont alors soulevé l'incompétence du Tribunal de commerce au profit du Tribunal de grande instance de Reims, invoquant le bénéfice de la propriété commerciale. Ils ont conclu à la nullité du contrat de location-gérance laissant seulement subsister la conclusion d'un bail à caractère commercial. En application du décret du 30 septembre 1953 et en l'état du congé délivré, ils ont sollicité le versement d'une indemnité d'éviction et subsidiairement l'attribution d'une indemnité en l'état de la plus-value apportée par eux au fonds de commerce exploité pendant 11 années.
Par jugement en date du 24 janvier 1989, le Tribunal de commerce de Reims a :
- Constaté que la notification effectuée le 30 septembre 1988 par M. et Mme Simon leur a été délivrée à personne sur les lieux de leur travail, dans les locaux du fonds de commerce, objet de la location-gérance,
- Dit et jugé que le fait que cette notification n'ait pas été effectuée à domicile élu ne cause aucun grief ni préjudice aux époux Noaillon,
- Dit et jugé que la notification devra recevoir son plein et entier effet, la résiliation de la location-gérance devant intervenir à compter du 31 décembre 1988,
- Dit et jugé que l'assignation délivrée par M. et Mme Noaillon le 29 décembre 1988 à M. et Mme Simon est sans objet,
- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement, nonobstant appel et sans caution,
- Donné acte à M. et Mme Simon de ce qu'ils se réservent de réclamer ultérieurement réparation du préjudice que leur causent M. et Mme Noaillon, préjudice qui risquerait d'être considérable si ceux-ci, par leur attitude et leur maintien dans les lieux provoquaient l'impossibilité pour les acquéreurs du fonds de commerce de prendre possession des locaux dans le délai prévu dans le compromis de vente actuellement signé,
- Condamné M. et Mme Noaillon en tous les dépens.
Les époux Noaillon ont relevé appel de cette décision, dont ils demandent l'infirmation.
Reprenant l'argumentation développée en première instance, ils évoquent :
- L'incompétence du tribunal de commerce en l'état des dispositions des articles 33 et 37 du décret du 30 septembre 1953 et en raison du fait que ni les époux Simon, ni Mme Noaillon n'ont la qualité de commerçants,
- La nullité du contrat de location-gérance puisqu'à la date du 24 novembre 1976, ni M. Simon, ni Mme Simon n'avaient la qualité de commerçant,
- L'existence d'un seul contrat de louage d'immeuble obéissant au décret du 30 septembre 1953,
- La violation des dispositions dudit décret en ce qui concerne le congé délivré,
- Le bénéfice d'une indemnité d'éviction ou subsidiairement d'une indemnité au titre de la plus-value apportée au fonds de commerce,
- La suspension de l'exécution provisoire.
Les époux Simon concluent à la confirmation de la décision déférée et à l'application pure et simple du statut de la location-gérance à l'exclusion du statut des baux commerciaux.
Ils sollicitent l'attribution d'une indemnité de 10 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et d'une indemnité de 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ordonnance de référé en date du 6 février 1989, rendue par le président du Tribunal de grande instance de Reims, les époux Noaillon ont été expulsés des lieux.
Par de nouvelles conclusions, les époux Noaillon demandent à la Cour, en l'état des observations déjà développées à l'appui de leur appel :
- D'ordonner leur réintégration dans les lieux,
- De condamner les époux Simon à leur verser la somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts.
A titre subsidiaire et au cas où la Cour n'ordonnerait pas leur réintégration, les époux Noaillon sollicitent l'attribution d'une somme de 1 500 000 F à titre de dommages et intérêts et à titre d'indemnités d'éviction.
Ils demandent enfin le paiement d'une somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce,
MOTIFS DE LA DECISION
En l'état des conclusions déposées par les parties, la Cour doit déterminer la nature du contrat conclu le 24 novembre 1976 et dire si les parties ont respecté les dispositions légales applicables notamment au stade de la résiliation du contrat ;
L'acte notarié établi entre M. et Mme Simon et M. et Mme Noaillon le 24 novembre 1976 porte mention :
- à titre principal de la conclusion d'une location-gérance portant sur un fonds de commerce de café bar,
- à titre accessoire de la conclusion d'une location portant sur l'immeuble à titre d'habitation ;
Les époux Simon justifient :
- être tous deux propriétaire du fonds de commerce pour l'avoir acquis selon acte sous seing privé en date des 15 février 1953 et 2 mars 1953 enregistré le 12 mars 1953,
- que M. Simon a été inscrit au registre du commerce dès 1953, son épouse travaillant à ses côtés et que tous deux ont assuré l'exploitation commerciale jusqu'en 1964 ;
- que les époux Simon ont mis le fonds de commerce en location-gérance à partir de l'année 1965 (au profit successivement de Mme Lot, de Mme Ivankow, puis des époux Noaillon) ;
- que M. Noaillon est inscrit au registre du commerce depuis le 1er janvier 1977,
- que M. et Mme Noaillon ont régulièrement acquitté de janvier 1977 à décembre 1988, soit pendant 12 années, les redevances au titre de la location-gérance sans élever la moindre contestation,
- que M. et Mme Noaillon n'ont jamais pris l'initiative de solliciter des juridictions compétentes la nullité de leur contrat pendant les 12 années ni au moment de la résiliation de celui-ci ;
La Cour constate donc :
- Que par l'acte notarié du 24 novembre 1976, les parties ont convenu d'une location-gérance du fonds de commerce, les époux Noaillon exploitant à leurs risques et périls (page 4 in fine du contrat),
- Que la loi n° 56-277 du 20 mars 1956 est applicable,
- Que les obligations posées par l'article 4 de ladite loi ont été respectées, étant observé que ces obligations n'incombent qu'à M. Noaillon dans la mesure où lui seul a assuré la direction de l'exploitation commerciale,
- Que l'application de la loi du 20 mars 1956 doit s'apprécier à la date de la première location-gérance, soit au 1er janvier 1956,
- Que le contrat de louage portant sur l'immeuble en tant qu'habitation n'était que l'accessoire du contrat principal de location-gérance (page 3 de l'acte notarié) ;
En conséquence, la Cour, rejetant l'argumentation développée par les époux Noaillon, dit que le contrat conclu le 24 novembre 1976 est un contrat de location-gérance soumis à la loi du 20 mars 1956 et que ce contrat a été régulièrement conclu et exécuté entre les parties;
La cessation du contrat a été valablement dénoncée à M. et Mme Noaillon par les notifications faites au domicile réel de ceux-ci et à la personne même de M. Noaillon, en application des dispositions de l'article 689 du nouveau Code de procédure civile, la notification à domicile élu n'étant qu'une des modalités prévue par la loi et n'ayant pas été imposée dans le contrat au stade de la résiliation ;
La loi du 20 mars 1956 étant applicable ; M. et Mme Noaillon, locataires-gérants, ayant nécessairement la qualité de commerçants au sens de la loi et M. Noaillon ayant exploité antérieurement en qualité de commerçant, le Tribunal de commerce de Reims étant compétent pour statuer sur les réclamations formulées par les parties ;
La cessation du contrat de location-gérance entraîne pour les locataires-gérants l'obligation de restituer la chose louée sans qu'il y ait lieu à indemnité, même en cas de plus-value, faute de clause expresse prévue au contrat ;
La Cour confirme donc la décision déférée et écarte toutes les demandes présentées par les époux Noaillon au titre du décret du 30 septembre 1953 inapplicable au cas d'espèce ;
L'appel interjeté n'ayant pas revêtu de caractère abusif, la Cour écarte la réclamation présentée par les époux Simon à titre de dommages et intérêts ;
Par contre, il serait inéquitable de laisser à leur charge la totalité des frais exposés ; la Cour leur alloue la somme de 4 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu l'article 696 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les époux Noaillon en leur appel, mais le dit non fondé ; Confirme le jugement rendu le 24 janvier 1989 par le Tribunal de commerce de Reims ; Y ajoutant ; Condamne les époux Noaillon à payer aux époux Simon la somme de quatre mille F (4 000 francs) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne les époux Noaillon aux entiers dépens et autorise la SCP d'avoués Six-Guillaume à recouvrer directement ceux exposés en appel conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.