CA Papeete, ch. com., 7 décembre 1989, n° 837-55
PAPEETE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sodipac (SARL), Soges (SA), Sepmis (SA)
Défendeur :
Établissements Lasserre (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. de Labrusse
Conseillers :
MM. Bilh, Gayet
Avocats :
Mes Leou, Despoir, Quinquis, Rochelet.
LA COUR D'APPEL
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Statuant sur les appels interjetés par la sociétés Sodipac, Soges, et Sepmis contre la SARL Marcel Lasserre d'un jugement du Tribunal Mixte de Commerce de Papeete du 10 avril 1989.
Procédure antérieure :
Il convient de se reporter aux motifs de la décision dont il a été fait appel pour l'exposé des faits, étant précisé que le litige porte sur la responsabilité des sociétés en cause dans la rupture des relations commerciales ayant existées entre la Sepmis et la SARL Marcel Lasserre.
Le premier juge, sur requêtes des sociétés Soges et Sepmis et de la SARL Marcel Lasserre, après en avoir prononcé la jonction, a condamné solidairement la SA Soges Sepmis et la SARL Sodipac, à payer 23 078 383 FCP de dommages-intérêts à la SARL Marcel Lasserre, outre 1 000 000 FCP pour préjudice moral et 200 000 FCP au titre des frais irrépétibles.
Il a estimé qu'un contrat d'exclusivité pour la vente en Polynésie française du matériel de protection incendie produit sous la marque Areofeu existant entre la société Lasserre et la société Sepmis qui l'avait rompu fautivement ; il a jugé que la Sodipac avait commis une faute quasi délictuelle pour avoir accepté de passer un contrat de distribution des produits Areofeu en faisant abstraction de la concession exclusive existante.
Moyens des parties en appel :
Toutes les parties sont appelantes du jugement, la Sodipac et les sociétés Soges, Sepmis ayant fait appel principal et la SARL Marcel Lasserre appel incident par son gérant M. Grimod.
La société Soges propriétaire de la marque Areofeu, non partie et toute hypothèse au soi-disant contrat d'exclusivité, demande 5 000 000 FCP à la société Lasserre au titre de la contrefaçon et de l'usage abusif de la marque Areofeu et la publication de la décision.
La société Sepmis, réclame 10 000 000 FCP de dommages-intérêts pour le préjudice commercial occasionné par le comportement de la société Lasserre qui a entravé son implantation en Polynésie ; elle fait valoir en substance qu'étaient passés avec la société Lasserre, antérieurement à la reprise par M. Grimod, des contrats successifs d'achat et de revente de matériels dont le nouveau gérant avait de lui-même refusé l'exclusivité ; qu'au surplus, à titre subsidiaire, " l'intuitu personae " justifiant un tel contrat n'existait plus, qu'en outre une représentation exclusive aurait été rompue par les impayés, par la concurrence faite, M. Grimod commercialisant d'autres produits analogues et par la diffusion sur le marché de matériels accidentés reconditionnés.
Sur le préjudice, des Etablissements Lasserre, en liquidation amiable depuis fin 1988, elle souligne le caractère excessif des demandes adverses, la société Sepmis ayant réalisé seulement 52 000 000 FCP de chiffre d'affaire en 16 ans d'activité en Polynésie française et M. Grimod n'ayant pas perdu sa clientèle.
Les sociétés Sepmis et Soges sollicitent 500 000 FCP au titre des frais irrépétibles.
La société Sodipac soutient que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale ; qu'elle n'a été nullement de mauvaise foi en contractant avec la société Sepmis ; qu'une évolution récente de la Cour suprême sur la commercialisation licite de produits faisant l'objet d'une distribution sélective vient à l'appui des moyens qu'elle invoque ; elle conclut à la nécessité d'une expertise pour l'évaluation de son préjudice, et demande 300 000 FCP pour les frais non compris dans les dépens.
La société Lasserre, représentée par M. Grimod gérant liquidateur conclut au paiement par la société Sepmis de 15 900 000 FCP pour perte de clientèle, 2 000 000 FCP de préjudice moral, 15 000 000 FCP de provision sur la perte de stock et le manque à gagner, avec une expertise à ordonner, et 400 000 FCP par application de l'article 48.1 du code de procédure civile local, la société Sodipac devant être tenue in solidum du paiement des condamnations.
Elle expose qu'à bon droit le tribunal a jugé que l'exclusivité de la représentation de la marque Areofeu existait à son profit, que la rupture en a été abusive, et que la Sodipac a engagé dans cette affaire sa responsabilité quasi délictuelle en signant dès le 13 novembre 1987 une concession exclusive nécessairement précédée de pourparlers, et qu'en détournant la clientèle de la requérante.
Motifs de l'arrêt :
a) Sur la convention de concession exclusive :
Attendu que des motifs exacts expressément adoptés par la Cour, le premier juge a considéré qu'existait jusqu'à fin 1986 entre Lasserre concessionnaire et Sepmis concédant un contrat d'exclusivité pour la vente du matériel de protection incendie diffusé sous la marque Areofeu ;
Attendu en effet que " le contrat d'origine " passé en 1972 pour reprendre le terme utilisé par la société Sepmis dans ses courriers de 1987 avait été réitéré en 1982, par échange de lettres jointes au dossier, et constituait depuis cette date une concession exclusive à durée indéterminée ;
Attendu que la société Sepmis avait connaissance de la nouvelle gérance de la société Lasserre fin 1986, son représentant M. Picard, étant présent à Tahiti à cette époque ; qu'elle admet elle-même dans ses courriers que les pourparlers ouverts le 21 janvier 1987 visaient à actualiser le contrat d'origine ;
Attendu d'ailleurs que le 13 mai 1987, le Directeur de la société Sepmis se considérait représenté à Papeete par la société Marcel Lasserre (lettre à la DCAN) ;
Attendu enfin que si le 26 octobre suivant, M. Picard directeur de la Sepmis se posait des questions sur l'attitude à avoir vis-à-vis de la société Lasserre tout en précisant à nouveau ses prix, et s'il suspendait quelques jours après la livraison de matériel, jusqu'à sa visite sur le territoire en février 1988, force est de constater que la concession d'exclusivité restait en vigueur ;
b) Sur la responsabilité de la rupture ;
Attendu que le concédant peut être fondé en raison des manquements du concessionnaire à ses obligations, à mettre fin au contrat de concession exclusive à durée indéterminée prorogeant les dispositions des contrats antérieurs, mais qu'il commet une faute en appliquant sa décision avec brusquerie sans accorder eu égard aux usages un délai de préavis suffisant au concessionnaire (Cass. com. 7 juillet 1980, Bull. 288 page 235) ;
Attendu qu'en l'espèce, les retards dans les paiements, s'ajoutant à la diffusion d'autres marques, et au déclassement d'extincteurs de marque Areofeu auraient éventuellement pu justifier la rupture du contrat ;
Mais attendu qu'en rompant la convention existante à la date du 16 décembre 1987, par lettre simple, et sans respecter le préavis d'usage, la société Sepmis a commis une faute contractuelle dont elle doit réparation, la société Soges n'étant pas tenue en tant que propriétaire de la marque ;
c) sur la responsabilité de la société Sodipac :
Attendu que la société Lasserre reproche à la Sodipac d'avoir fait des actes de concurrence déloyale, en signant le 13 novembre 1987 en métropole un protocole d'accord sur la représentation en Polynésie du matériel déjà sous sa concession exclusive, d'avoir fait preuve de parti pris dans la procédure, et d'avoir détourné partie de sa clientèle ;
Mais attendu que ces griefs ne sont pas fondés, la preuve d'une faute imputable au nouveau concessionnaire dans la signature du contrat n'étant pas rapportée, pas plus que ne sont fautives la publication de communiqués dans la presse en réponse à la société Lasserre mais sur instruction du concédant, et l'envoi de lettres à la clientèle Areofeu l'avisant qu'elle était désignée nouveau concessionnaire ;
Attendu cependant que la Sodipac sera déboutée de sa demande d'expertise sur son préjudice et de sa demande de frais irrépétibles, la rupture du contrat Lasserre-Sepmis étant imputable à cette dernière société ;
d) Sur les préjudices de la SARL Marcel Lasserre :
1 - la perte de clientèle et le manque à gagner :
Attendu d'une part que le requérant ne rapporte pas la preuve d'une perte de clientèle du fait de la Sepmis, ayant conservé la grande majorité de ses clients par l'entremise d'une société SPPO que dirige M. Grimod ;
Attendu d'autre part, en droit, que la réparation allouée doit seulement compenser le préjudice résultant de la faute commise par la brusque rupture d'un contrat de concession exclusive à durée indéterminée (Cass. Com. 5.12.1984 Bull. n° 332 page 270 (2)) ;
Attendu que la Cour dispose d'éléments suffisants pour fixer le préjudice résultant de la rupture sans préavis à 4 millions pacifiques, somme correspondant à l'équivalent de la baisse du chiffre d'affaires de la société Lasserre sur la vente d'extincteurs en 1988 ;
2 - les autres chefs de demande de la société Lasserre :
Attendu qu'en retirant sans préavis sa représentation à la société Lasserre spécialisée dans la diffusion du matériel Areofeu depuis quinze ans, en orchestrant une campagne de presse dénigrant son ancien concessionnaire, la société Sepmis a causé à celui-ci un préjudice moral qui a été justement réparé en premier ressort par l'allocation d'un million de francs pacifiques ;
Attendu que le stock de matériel Areofeu se trouvant encore dans les établissements de la société Marcel Lasserre doit être repris par la société Sepmis responsable de la rupture prématurée du contrat ; qu'il résulte des écritures du demandeur que ce stock, estimé à plus de 7 millions au 28 février 1988, a été cédé partiellement à la suite de la mise en liquidation amiable de la société ; que la Cour étant insuffisamment informée en l'état sur l'importance de ce matériel et sur sa valeur, il y a lieu d'ordonner la production par la société Lasserre de toutes justifications et d'enjoindre aux parties restant en la cause, les sociétés Lasserre et Sepmis, de conclure avant l'audience de procédure du vendredi 2 mars 1990 où l'affaire est renvoyée ;
Attendu que la société Sepmis sera tenue de verser à la société Lasserre une somme correspondant aux frais non compris dans les dépens que celle-ci a dû exposer du fait du litige en première instance et en appel, et fixée à 300 000 FCP par la Cour ;
Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort ; Confirme le jugement entrepris sur l'existence du contrat d'exclusivité, sur la faute de la société Sepmis dans la rupture, et sur la fixation du préjudice moral de la société Marcel Lasserre ; Le réformant pour le surplus dans la mesure utile, condamne la société Sepmis à payer à la SARL Marcel Lasserre représentée par son gérant liquidateur M. Grimod les sommes de quatre millions (4 000 000) de francs pacifiques à titre de dommages-intérêts, un million (1 000 000) de francs pacifiques pour préjudice moral, et trois cent mille (300 000) francs pacifiques par application de l'article 48-1 du code de procédure civile de la Polynésie française ; Avant dire droit, enjoint à la SARL Marcel Lasserre de produire au secrétariat greffe de la Cour toutes justifications actualisées sur le stock de matériel Areofeu se trouvant dans son établissement, sur sa valeur, et dit que les parties restant au litige devront conclure, avant le 15 février 1990 ; Renvoie l'affaire à l'audience de procédure du vendredi 2 mars 1990 ; Rejette toutes autres demandes des parties ; Met hors de cause la Sodipac et la Soges ; Dit que les dépens de la Sodipac et de la Soges seront supportés par la Sepmis ; Réserve les autres dépens.