Livv
Décisions

Cass. com., 19 décembre 1989, n° 88-13.789

COUR DE CASSATION

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

VAG France (Sté)

Défendeur :

Labourdette (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Defontaine

Rapporteur :

M. Le Dauphin

Avocat général :

M. Curti

Avocats :

SCP Lyon-Caen, Fabiani, Liard, SCP Lesourd, Baudin.

T. com. Paris, 5e ch., du 29 mai 1985

29 mai 1985

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 février 1988), que la société Volkswagen Audi Groupe France (la société VAG) a concédé à la société Paris Biarritz automobiles (la société Paris Biarritz) la vente exclusive de ses produits par un contrat à durée déterminée d'un an renouvelable d'année en année, le dernier contrat ayant été conclu pour la période du 1er janvier au 31 décembre 1983 ; qu'il était stipulé que la société Paris Biarritz bénéficierait d'une zone d'exclusivité portant sur un certain nombre de cantons proches de Biarritz où elle avait ses installations tandis qu'elle serait en concurrence sur une zone " banalisée " concernant les cantons de Biarritz, Anglet et Bayonne avec la société Bayonne automobiles, également concessionnaire de la société VAG, qui avait son siège à Bayonne ; que le 1er septembre 1983, la société Bayonne automobiles a transféré ses installations à Biarritz ; que la société Paris Biarritz a alors assigné la société VAG en résolution du contrat et en paiement de dommages-intérêts ; que la cour d'appel lui a alloué une indemnité et a débouté la société VAG de sa demande tendant à la compensation de cette créance avec sa propre créance produite au règlement judiciaire de la société Paris Biarritz, ultérieurement converti en liquidation des biens ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches, et sur le deuxième moyen, réunis : - Attendu que la société VAG fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer une indemnité à la société Paris Biarritz après avoir écarté l'exception d'inexécution qu'elle avait proposée aux motifs, selon le pourvoi, que l'exception d'inexécution, formulée par la société VAG dans ses écritures, n'a jamais été soulevée par la société concédante dans la correspondance échangée avec la société Paris Biarritz et n'a fait l'objet d'aucune mise en demeure, la lettre de rupture du 21 octobre 1983 ne faisant même pas allusion à ce changement d'implantation du concessionnaire concurrent, alors, d'une part, que l'exception d'inexécution constitue, lorsqu'elle est opposée aux poursuites du cocontractant, un moyen de défense qui peut être invoqué pour la première fois devant le juge ; qu'il n'est pas nécessaire que ce moyen ait été préalablement porté à la connaissance du cocontractant par une mise en demeure ou autrement ; que, par suite, en exigeant une telle information, la Cour d'appel a violé l'article 1184 du Code civil ; alors, d'autre part, que celui qui oppose l'exception d'inexécution n'est pas tenu de procéder à une mise en demeure préalable ; que, dès lors, en exigeant une telle formalité, la Cour d'appel a de nouveau violé l'article 1184 du Code civil ; alors, en outre, que l'inexécution par un concessionnaire de ses obligations contractuelles est de nature à légitimer la modification par le concédant des conditions de la concurrence entre les différents concessionnaires d'une même zone ; que, par suite, en statuant comme elle a fait sans rechercher si les conditions de l'exception d'inexécution étaient, en l'espèce, remplies, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1184 du Code civil ; et alors, enfin, que seul peut être réparé un préjudice certain ; que la Cour d'appel, en se bornant à relever que le transfert des installations était " de nature " à modifier le courant de clientèle, sans constater qu'une telle modification s'était effectivement produite, a ainsi accordé réparation d'un préjudice hypothétique ; qu'elle a, par suite, violé l'article 1147 du Code civil ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que le lieu d'implantation du concessionnaire concurrent, qui était expressément prévu par le contrat, revêtait une importance certaine dans la détermination du consentement de la société Paris Biarritz puisque la clientèle de la zone banalisée était naturellement portée à s'adresser au concessionnaire le plus proche de son domicile, l'arrêt retient que la société VAG a manqué à son obligation de bonne foi dans l'exécution du contrat en autorisant la société Bayonne automobiles à transférer ses installations à Biarritz, à une faible distance de celles de la société Paris Biarritz, et qu'il en est résulté pour celle-ci un trouble commercial justifiant l'allocation de dommages-intérêts; que, par ces motifs, desquels il résulte que la société VAG, sans se borner à suspendre l'exécution de ses obligations, avait, en méconnaissance de celles-ci, modifié l'équilibre contractuel en créant de nouvelles conditions de concurrence préjudiciables à son cocontractant, la Cour d'appel, abstraction faite des motifs erronés mais surabondants critiqués par les première et deuxième branches, a légalement justifié sa décision du chef critiqué; d'où il suit que les moyens ne peuvent être accueillis en aucune de leurs branches ;

Mais sur le troisième moyen : - Vu les articles 13 et 15 de la loi du 13 juillet 1967 ; - Attendu que, pour rejeter la demande de la société VAG tendant à la compensation entre les dommages-intérêts mis à sa charge et la créance dont elle était titulaire envers son concessionnaire mis en liquidation des biens, la Cour d'appel énonce que les deux sommes ont une cause différente : indemnitaire pour la faute contractuelle commise en ce qui concerne la première, commerciale pour fourniture de produits en ce qui a trait à la seconde, et ne sont donc pas connexes ;

Attendu qu'en décidant ainsi, alors qu'il ressortait de ses constatations que les obligations réciproques issues d'un même contrat étaient unies par un lien de connexité et que les règles de la procédure collective pour faire vérifier l'existence et le montant de la créance n'interdisaient pas à la société VAG d'invoquer le principe de la compensation devant la juridiction saisie en attendant qu'il soit statué sur sa production au passif de la liquidation des biens de la société Paris Biarritz, la Cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de la société VAG tendant à obtenir la compensation entre les dommages-intérêts mis à sa charge et la créance dont elle était titulaire envers la société Paris Biarritz automobiles en liquidation des biens, l'arrêt rendu le 9 février 1988, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.