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Décisions

CA Amiens, 1re ch. civ. sect. 1, 8 janvier 1993, n° 2851-1988

AMIENS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Chevaline du Beauvaisis (SA)

Défendeur :

Gueguen, Foyer (Consorts)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chapuis de Montaunet (faisant fonction)

Conseillers :

Mme Merfeld, M. Coudray

Avoués :

Me Caussin, SCP Le Roy, Congos

Avocats :

Mes Laburthe, Dagois-Gernez, Perez, Garnier.

TGI Beauvais, du 7 juill. 1988

7 juillet 1988

Suivant acte notarié du 19 mars 1986, Mme Monique Descamps épouse Gueguen, agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'administratrice légale de son fils mineur Eric Foyer, a donné en location-gérance aux époux Jouvet un fonds de commerce de boucherie sis à Méru 28, rue des Martyrs de la Résistance.

Par jugement du 17 février 1987, le Tribunal de commerce de Beauvais a prononcé la liquidation judiciaire de M. Jouvet et le même jour, a clôturé ladite procédure pour insuffisance d'actif.

Par assignation du 9 avril, la SA Chevaline du Beauvaisis a attrait Mme Gueguen devant le Tribunal de grande instance de Beauvais aux fins de la voir condamnée à lui verser la somme de 52 009 F, montant des factures dont Jouvet lui reste redevable, pour fourniture de marchandises d'avril à août 1986. A l'appui de son action, elle invoquait l'article 8 de la loi du 20 mars 1956.

Par jugement du 7 juillet 1988, le Tribunal de grande instance de Beauvais l'a déboutée de sa demande considérant qu'en continuant à approvisionner M. Jouvet malgré plusieurs incident de paiement antérieurs, la société Chevaline du Beauvaisis a commis une faute grave et a ainsi concouru à la réalisation de son propre dommage.

Appelante, la société Chevaline du Beauvaisis conclut à l'infirmation de ce jugement faisant valoir qu'aucune faute ne peut lui être reprochée puisque l'examen des faits démontre qu'elle n'a pas accordé à M. Jouvet de délais de paiement supérieurs à deux mois (30 jours fin de mois ainsi que cela se pratique couramment en matière commerciale). Elle ajoute qu'elle a été mise en confiance par Mme Gueguen avec laquelle elle entretenait d'excellentes relations et qui lui a présenté M. Jouvet comme son successeur.

Subsidiairement, elle prétend que si la Cour retenait l'existence d'une faute à sa charge, celle-ci ne saurait revêtir le degré de gravité requis pour exonérer le loueur du fonds de commerce de l'application du texte susvisé.

En conséquence, elle conclut à la condamnation de Mme Gueguen à lui payer, outre la somme de 52 009 F en principal, les intérêts au taux légal à compter de la sommation du 17 octobre 1986, une somme de 4 000 F à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et une indemnité de 3 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Mme Gueguen sollicite la confirmation. Elle soutient que la jurisprudence n'exige aucunement une faute grave du créancier pour écarter la responsabilité du loueur de fonds, mais se contente d'une simple négligence.

Elle reproche à la société Chevaline du Beauvaisis d'avoir accepté des chèques qu'elle savait non provisionnés à la date de leur émission, indiquant à titre d'exemple que le chèque du 28 mai 1986 portait au verso la mention " mettre en banque le 19 juillet 1986 ".

Elle se porte demanderesse de la somme de 4 000 F en vertu des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par arrêt du 9 octobre 1990, la Cour de céans a ordonné la mise en cause d'Eric Foyer, copropriétaire du fonds de commerce et actuellement majeur.

Celui-ci fut assigné par un acte délivré le 14 décembre 1990 par la société Chevaline du Beauvaisis qui a conclu à sa condamnation, solidairement avec sa mère, au paiement des sommes réclamées.

Par écritures du 8 janvier 1991, M. Foyer s'est associé aux conclusions développées par Mme Gueguen.

Sur ce,

Attendu que l'article 8 de la loi du 20 mars 1956 dispose que le propriétaire bailleur est solidairement responsable avec le locataire-gérant des dettes contractées par celui-ci à l'occasion de l'exploitation du fonds, jusqu'à la publication du contrat de location-gérance et pendant un délai de six mois à compter de cette publication ; que ce texte ne prévoit aucun cas d'exonération pour le propriétaire bailleur;

Que si l'arrêt de la Cour de Cassation du 13 mai 1981, cité par l'intimée a admis que le créancier pouvait être débouté de sa demande contre le propriétaire bailleur c'est uniquement sur le fondement de la responsabilité civile en considérant qu'en négligeant d'encaisser un chèque reçu du locataire-gérant qui aurait été payé par la banque s'il avait été présenté dans un délai normal, le créancier a commis un faute dans le recouvrement de sa créance dont il doit réparation au propriétaire du fonds ;

Qu'en l'espèce aucune faute en relation directe avec le préjudice invoqué par les consorts Gueguen Foyer ne peut être reprochée à la société Chevaline du Beauvaisis; que c'est dès le début de son exploitation, en avril 1986, que M. Jouvet a connu des difficultés de paiement; qu'il ne saurait être fait grief à l'appelante d'avoir poursuivi ses livraisons jusqu'en août 1986; que mise en confiance par les excellentes relations commerciales qu'elle entretenait avec Mme Gueguen pour le même fonds de commerce, elle était fondée à penser que les problèmes de M. Jouvet n'étaient que provisoires et qu'ils allaient disparaître après quelques mois d'exploitation, d'autant que plusieurs règlements furent effectués en mai et juin 1986;

Attendu que les dettes de M. Jouvet ont été contractées à l'occasion de l'exploitation de son fonds de commerce, dans les six mois de la publication du contrat de location-gérance; que les conditions d'application de l'article 8 de la loi du 20 mars 1956 étant réunies, il convient de condamner solidairement Mme Gueguen et M. Foyer au paiementde la somme de 52 009 F avec intérêts au taux légal à compter de la sommation du 17 octobre 1986 ;

Que la société Chevaline du Beauvaisis qui ne justifie d'aucun préjudice indépendant du seul retard dans les paiements sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;

Qu'en revanche, il serait inéquitable de lui laisser la charge intégrale des frais irrépétibles qu'elle a dû engager en la cause ; que les consorts Gueguen Foyer seront tenus d'y contribuer à concurrence de 3 000 F ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant contradictoirement, Reçoit l'appel en la forme, Au fond, et dans la limite de ce recours, infirme le jugement, Statuant à nouveau, Condamne solidairement Monique Descamp épouse Gueguen et Eric Foyer à verser à la SA Chevaline du Beauvaisis la somme de 52 009 F avec intérêts au taux légal à compter du 17 octobre 1986, Déboute la société Chevaline du Beauvaisis de sa demande de dommages et intérêts, Condamne les consorts Gueguen Foyer aux dépens de première instance et d'appel, avec pour ces derniers, droit de recouvrement directe au profit de Me Caussin, avoué, Les condamne en outre à verser à la société Chevaline du Beauvaisis la somme de 3 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.