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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 12 janvier 1993, n° 91-008679

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Carrefour France (Sté)

Défendeur :

Compagnie Générale Horlogère (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gouge

Conseillers :

Mme Mandel, M. Brunet

Avoués :

SCP Barrier Monin, SCP Fisselier Chiloux Boulay

Avocats :

Mes Lenoir, Le Douarin.

T. com. Corbeil-Essonnes, du 7 mars 1991

7 mars 1991

Statuant sur l'appel interjeté par la société Carrefour France (ci-après dénommée Carrefour) du jugement rendu le 7 mars 1991 par le Tribunal de commerce de Corbeil-Essonnes dans un litige l'opposant à la Compagnie Générale Horlogère ensemble sur la demande incidente de cette dernière (ci-après dénommée CGH).

Faits et procédure

Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé de la procédure de première instance, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants.

La société Compagnie Générale Horlogère est le distributeur exclusif pour la France, les DOM, la Belgique et le Luxembourg, des montres et pendulettes portant la marque Seiko et ce en vertu d'un accord en date du 14 juin 1990. Courant mars 1988 elle a fait constater par huissier que plusieurs magasins du Sud de la France exploités par la société Carrefour proposaient à la vente des montres Seiko.

Estimant d'une part que les conditions de vente de ces montres ne répondaient pas aux exigences qualitatives du système de distribution sélective des produits Seiko et d'autre part que la clientèle de la société Carrefour n'était pas informée sur la nature de la garantie donnée lors de la vente des produits Seiko, CGH a assigné le 15 juin 1989 la société Carrefour en concurrence déloyale devant le Tribunal de commerce de Corbeil-Essonnes.

Elle sollicitait outre diverses mesures de publication sa condamnation à lui payer un franc à titre de dommages-intérêts ainsi que celle de 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Carrefour concluait à ce que CGH soit déboutée de ses demandes et réclamait paiement de la somme de 20.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le Tribunal après avoir estimé que CGH avait mis en place un réseau de distribution sélective licite, a retenu que Carrefour n'avait ni respecté les conditions qualitatives d'un tel réseau ni informé ses clients sur la provenance des marchandises.

En conséquence il a jugé pour Carrefour s'était rendue coupable de concurrence déloyale et l'a condamnée à payer un franc à titre de dommages-intérêts et 20.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ailleurs il a autorisé CGH à faire publier la décision dans deux journaux locaux et un journal national dans la limite de 15.000 F par publication.

Appelante selon déclaration du 8 avril 1991 Carrefour prie la Cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de dire que CGH ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un réseau de distribution sélective licite, de débouter CGH de toutes ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

CGH poursuit la confirmation du jugement et demande par ailleurs qu'il soit ordonné à Carrefour de faire apparaître sur les lieux de vente, sur ses bons de garantie et sur tout autre document ou publicité faisant état de la marque Seiko la mention suivante :

" Montres Seiko ne bénéficiant pas de la garantie mondiale Seiko ".

Par ailleurs elle réclame paiement de la somme de 20.000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce LA COUR,

Considérant que Carrefour soutient en premier lieu que CGH ne rapporte la preuve ni de l'existence ni de la licéité du réseau de distribution sélective qu'elle aurait mis en place.

Considérant que CGH qui s'appuie principalement sur une lettre de classement en date du 30 juin 1989 de la Commission des Communautés européennes réplique que le système de distribution sélective qu'elle a mis en place et qui procède de la nature particulière du marché de l'horlogerie en France, est parfaitement licite dès lors que les distributeurs agréés sont libres de fixer leur prix de revente, sont choisis en fonction de critères objectifs à caractère qualitatif et ne sont pas limités en nombre.

Considérant ceci étant exposé qu'il incombe à celui qui se prévaut d'un réseau de distribution sélective et qui sollicite la condamnation d'un intermédiaire non agréé de prouver non seulement la licéité mais aussi l'existence d'un tel réseau dès lors que cette dernière est contestée.

Or considérant qu'en l'espèce bien que Carrefour ait expressément soulevé ce moyen dans ses écritures, CGH ne produit au débat aucune pièce établissant qu'à la date des faits incriminés soit en mars 1988, elle avait mis en place un réseau de distribution sélective.

Qu'elle ne verse aucun contrat de distribution signé avec un quelconque horloger bijoutier, aucune liste de ses distributeurs en France en 1988 alors qu'elle prétend avoir mis en place un tel réseau depuis 10 ans.

Que pas davantage ne justifie-t-elle avoir adressé des conseils en architecture, décoration de magasins et présentation de produits ou des conseils commerciaux à des distributeurs comme cela est prévu au contrat-type.

Que l'intimée se contente de communiquer le modèle type de protocole adressé le 25 novembre 1988, soit postérieurement aux faits incriminés, à la Commission des Communautés européennes.

Qu'il convient d'observer que dans la lettre de classement du 30 juin 1989, la Commission fait référence au " contrat-type de distribution que vous (CGH) comptez appliquer à vos détaillants en France, Belgique et au Luxembourg ".

Que ces différents éléments démontrent que si à compter de 1989 CGH a souhaité mettre en place un réseau de distribution sélective de ses produits, un tel réseau n'existait pas à la date des faits.

Qu'en conséquence faute de pouvoir se prévaloir de l'existence d'un réseau de distribution sélective, CGH ne peut faire grief à Carrefour d'avoir vendu des montres Seiko dans des conditions ne répondant pas aux exigences qualitatives propres à un tel système.

Que le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a condamné Carrefour pour faits de concurrence déloyale.

Considérant que CGH qui succombe sera déboutée de sa demande du chef de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Considérant en revanche qu'il serait inéquitable que Carrefour supporte la charge intégrale des frais hors dépens par elle engagés.

Qu'il convient de lui allouer de ce chef la somme de 10.000 F.

Par ces motifs, Infirme le jugement du Tribunal de commerce de Corbeil-Essonnes en date du 7 mars 1991 en toutes ses dispositions, Déboute la société Compagnie Générale Horlogère de l'ensemble de ses demandes, La condamne à payer à la société Carrefour France la somme de 10.000 F du chef de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Compagnie Générale Horlogère aux dépens de première instance et d'appel, Admet la SCP Barrier Monin avoué au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.