CA Rennes, 2e ch., 20 janvier 1993, n° 610-92
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Bata (SA)
Défendeur :
Castelin (Époux), Delaere (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Duclos
Conseillers :
MM. Roy, Froment
Avocats :
Mes Gast, Dubail.
Faits et procédure
Aux termes d'une convention du 13 février 1986, la société Bata a concédé à compter du 10 mars suivant aux époux Castelin, propriétaires d'un fonds de commerce à Châteaubriant, l'exclusivité de la vente des chaussures et accessoires de sa marque selon un système dit de franchise comportant en particulier pour les époux Castelin l'obligation de ne vendre que des articles Bata et de les payer au prix de vente détail pratiqué par Bata dans ses succursales, sous déduction d'une remise de 27.5 %, ce contrat étant par ailleurs résiliable annuellement.
Il est constant qu'à la suite de difficultés financières, les époux Castelin n'ont pu honorer les règlements des marchandises fournis par la société Bata et que par acte d'huissier du 3 mai 1991, celle-ci les a assignés devant le juge des référés commerciaux du tribunal de Metz, en vertu d'une clause attributive de juridiction insérée au contrat sus visé, en constatation de la résiliation du dit contrat, restitution de marchandises et de documents, dépose d'une enseigne et paiement d'une somme de 435 784 F.
Il ressort des documents produits que sur exception d'incompétence territoriale soulevée par les époux Castelin, le juge des référés de Metz s'est déclaré incompétent au profit du Président du Tribunal de Commerce de Nantes et que, sur contredit de la société Bata, la Cour d'Appel de Metz par arrêt du 19 décembre 1991 a confirmé cette décision en retenant que Mme Castelin n'était pas commerçante et ne pouvait donc se voir opposer une clause attributive de juridiction selon l'article 48 du nouveau code de procédure civile, ce qui entraînait effectivement le renvoi de la procédure à Nantes dont dépendait le lieu du domicile des défendeurs.
Parallèlement à cette procédure, les époux Castelin ont, par acte d'huissier également délivré le 3 mai 1991, assigné la société Bata devant le Tribunal de Commerce de Nantes aux fins de requalification de la convention de franchise en contrat relevant du statut d'ordre public de la loi du 21 mars 1941 (sic) et en paiement consécutif d'un salaire mensuel de 7 000 F, d'une indemnité de congés payés au titre des années 1986 à 1990 inclusivement et d'une somme de 1 500 000 F à titre de dommages intérêts, sollicitant subsidiairement au cas où cette requalification ne serait pas admise une indemnité de 1 500 000 F en réparation du préjudice commercial subi du fait de l'insuffisance de la remise imposée au contrat.
La société Bata ayant soulevé l'incompétence territoriale de la juridiction consulaire de Nantes au profit de celle de Metz en invoquant la clause attributive de compétence figurant au contrat de franchise, le Tribunal de Commerce de Nantes, par un premier jugement du 23 décembre 1991, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de Metz ait rendu son arrêt sur l'application de cette clause dans la procédure de référé précédemment rappelée.
Au vu de cet arrêt, des écritures des parties et aussi d'un arrêt rendu le 27 mai 1992 par la présente Chambre de la Cour de Céans dans une affaire identique opposant la société Bata à un autre de ses franchisés, le Tribunal de Commerce de Nantes, par un second jugement du 7 septembre 1992 vidant la question de compétence, a requalifié la convention en cause en contrat régi par les dispositions de l'article L.781.1.2° du code du travail et s'est déclaré matériellement incompétent au profit du conseil de prud'hommes de Nantes.
Le 18 septembre 1992, la société Bata a déposé contredit motivé à cette décision.
Prétentions des parties
Aux termes de ce contredit et de ses conclusions additionnelles du 23 novembre 1992 contradictoirement débattues à l'audience, la société Bata fait essentiellement valoir, d'une part que les premiers juges, qui ont joint au dossier dont ils étaient saisis la procédure de référé renvoyée de Metz, ne pouvaient dès lors décliner leur compétence sans violer l'article 86 du nouveau code de procédure civile, d'autre part en toute hypothèse que deux au moins des quatre conditions d'application de l'article L.781.1.2° du code du travail ne sont pas réunies en l'espèce, à savoir l'agrément du local, choisi par les époux Castelin sans intervention de sa part et la vente à prix imposés, non caractérisée eu égard à la marge importante accordée aux intéressés leur permettant de moduler d'éventuelles remises, tout en imputant incidemment à la Cour d'avoir dans son arrêt précité du 27 mai 1992 retenu l'existence de ces quatre conditions sans l'avoir invitée à s'expliquer préalablement de ce chef de sorte qu'elle a déféré cette décision à la censure de la Cour de cassation.
Selon ses conclusions des 6 octobre, 4 et 24 novembre 1992 pareillement développées à l'audience, les époux Castelin soulèvent d'abord la nullité du contredit déposé sans justifier d'un pouvoir par un avocat au nom d'un autre avocat et non de la société Bata elle-même et demandent en tous cas la confirmation du jugement déféré en soulignant, en premier lieu que l'arrêt de Metz est intervenu dans une procédure de référé et ne lie pas le fond, en second lieu que les quatre conditions d'application de l'article L.781.1.2. du code du travail, ayant repris les dispositions de la loi du 21 mars 1941 visée à leur assignation introductive d'instance, sont réunies en l'espèce ainsi qu'il résulte du contrat dit de franchise lui-même.
Il y a lieu de noter au surplus que par les conclusions précitées du 4 novembre 1992, Me Delaere est intervenu volontairement à l'instance en qualité de liquidateur judiciaire de M. Castelin, la liquidation de son patrimoine ayant été prononcée par jugement du Tribunal de Commerce de Nantes du 8 octobre 1992.
Discussion
Considérant d'abord, sur la nullité du contredit, qu'en dépit d'une rédaction maladroite du procès verbal de réception de ce recours, il est clair que ce contredit a été établi par Me Lapeyre, avocat à Paris, en qualité de mandataire de la société Bata, et que Me Grosjean-Vigouroux, avocat à Nantes, n'est intervenu que pour substituer son confrère parisien dans la formalité du dépôt matériel de ce contredit au greffe du tribunal, auquel il aurait pu aussi bien être adressé par voie postale dès lors qu'il y parvenait dans le délai de droit, d'où il suit que la nullité invoquée n'est pas encourue et que le contredit est recevable ;
Considérant ensuite qu'il ne résulte ni du jugement lui-même, ni d'aucun des documents figurant au dossier de première instance tel que communiqué à la Cour, que le tribunal, saisi par assignation des époux Castelin du 3 mai 1991, ait joint à cette instance au fond la procédure de référé renvoyée devant son président par l'arrêt d'incompétence de la Cour de Metz du 19 décembre 1991 et que les dispositions de l'article 86 du nouveau code de procédure civile ne sont donc pas méconnues en l'espèce ;
Qu'au demeurant les décisions rendues en référé, fût-ce seulement sur la compétence, n'ont pas au principal autorité de chose jugée et que l'arrêt sus visé de Metz est dès lors sans influence dans la procédure sur le fond présentement soumise à la Cour et où la question de compétence se trouve de nouveau posée ;
Considérant, sur le bien fondé du contredit, que la société Bata, qui ne paraît plus réclamer l'application de la clause attributive de juridiction insérée au contrat la liant aux époux Castelin, conteste la requalification de ce contrat opérée par les premiers juges à la suite de l'arrêt rendu le 27 mai 1992 par la Cour de céans dans une affaire identique, en soutenant à cet égard qu'elle n'a pu s'expliquer sur ce point dans cette précédente affaire et que les conditions d'application de l'article L.781.1 du code du travail ne sont pas en réalité réunies en la présente espèce ;
Qu'il sera en premier lieu observé qu'il résulte de l'arrêt précité du 27 mai 1992, régulièrement communiqué et discuté dans la présente procédure, que la question de la requalification du contrat de franchise en contrat relevant du statut défini par l'article L. 781.1.2° sus visé, susceptible d'entraîner la nullité de la clause attributive de juridiction alors invoquée, était dans le débat depuis l'assignation introductive d'instance où elle était expressément évoquée et que la société Bata était donc à même de faire valoir ses prétentions à l'encontre de cette requalification dans que la juridiction, qui n'a pas soulevé ce moyen, soit tenue de provoquer spécialement sa réponse ;
Qu'en second lieu, il ressort de toute manière du contrat dit de franchise du 13 février 1986 établi et signé par la société Bata, qui ne saurait donc en méconnaître ou contester les termes, que les époux Castelin n'étaient autorisés à vendre que des marchandises en provenance de la société Bata (article 9 et 10), dans un local sans doute dépendant d'un fonds de commerce leur appartenant mais manifestement agréé par la société qui, après en avoir fourni les plans d'aménagement et une partie du mobilier en supervisant étroitement cet aménagement (articles 1 et 3) imposait en outre aux intéressés des conditions d'exploitation qu'ils devaient " rigoureusement " respecter (article 12) selon les normes par elle mises au point, les époux Castelin étant au surplus simples dépositaires (article 4) des marchandises qui leur étaient facturées seulement après leur vente, de surcroît enregistrée au fur et à mesure sur la caisse spéciale fournie par la société Bata et restant sa propriété (articles 1 et 8) d'où il suit que les époux Castelin ne disposaient d'aucune liberté dans l'exploitation du commerce dont s'agit et que les conditions d'application de l'article L.781.1. du code du travail sont réunies en l'espèce ;
Considérant dès lors qu'à bon droit les premiers juges, dont la Cour adopte pour le surplus les motifs en tant que de besoin, se sont déclarés incompétents pour connaître du litige au profit de la juridiction prud'homale et qu'il y a lieu à confirmation intégrale de leur décision ;
Considérant qu'il n'apparaît pas que la société Bata ait abusé en l'espèce de son droit de soumettre le litige de compétence aux juges du second degré ;
Que l'équité commande néanmoins d'accorder aux époux Castelin et à Me Delaere es qualités le remboursement au titre de leurs frais non taxables exposés devant la Cour ;
Que la partie qui succombe sur le contredit doit en supporter les dépens ;
Par ces motifs : Donne acte à Me Delaere de son intervention volontaire en tant que mandataire liquidateur du patrimoine de M. Castelin en liquidation judiciaire ; Déclare recevable, mais mal fondé le contredit de la société Bata ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu sur la compétence entre les parties par le Tribunal de Commerce de Nantes et renvoie l'affaire devant le conseil de prud'hommes de Nantes, désigné comme juridiction compétente ; Rejette la demande de dommages-intérêts des époux Castelin ; Condamne la société Bata à payer conjointement aux époux Castelin et à Me Delaere es qualités la somme de 6 500 F pour frais non taxables présentement exposés devant la Cour ; Condamne la société Bata aux dépens du contredit.