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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ., 2 février 1993, n° 3962-92

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Mengus

Défendeur :

Brasseries Kronenbourg (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gueudet

Conseillers :

MM. Vallens, Muller

Avocats :

Mes Bueb, Huffschmitt, G. & T. Cahn, Lévy, Bergmann, Debré.

TGI Strasbourg, 2e ch. com., du 14 mai 1…

14 mai 1992

FAITS ET PROCEDURE

La société Européenne de Brasseries était propriétaire d'un fonds de commerce de débit de boisson à l'enseigne " S'Marikstuewele ", exploité 6, rue du Marché, à Strasbourg, dans des locaux donnés en location par les époux Mutschler, selon bail du 6 août 1934, portant sur la cour, le rez-de-chaussée, le 1er étage et 3 mansardes, renouvelé régulièrement par avenants successifs, dont le dernier en date du 30 juillet 1981 consenti par Mme Marie-Louise Mutschler pour une nouvelle durée de 9 années, soit jusqu'au 31 août 1990.

Par acte sous seing privé du 20 juillet 1989, la société Européenne de Brasseries avait donné ce fonds en location-gérance à M. Jean-Pierre Mengus pour une durée de 4 mois, commençant le 1er septembre 1989, étant stipulé qu'à partir du 1er janvier 1990 l'engagement continuera par tacite reconduction de 3 ans en 3 ans, sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties, avec préavis de 3 mois.

Selon actes extra-judiciaires délivrés le 14 février 1990 par Me Partouche, huissier de justice à Nancy à la " SA SEB " et le 19 février 1990 par Me Ichtertz, huissier de justice à Strasbourg à la " SA Brasserie Kronenbourg " les époux Blajman, devenus propriétaires des locaux, ont donné congé à la SA Brasseries Kronenbourg (venant aux droits de la SA société Européenne de Brasseries à la suite d'une opération de fusion absorption) avec refus de renouvellement de bail et offre d'une indemnité d'éviction.

Par courrier du 14 février 1991 la SA Brasseries Kronenbourg a avisé M. Mengus que le bail commercial venait d'être résilié par les propriétaires, sans offre de renouvellement, et lui a notifié la fin de leurs relations contractuelles avec effet au 30 avril 1991, par application de la clause du contrat de location-gérance stipulant que " la présente location-gérance cesserait avec effet immédiat, au cas où par impossible le bail d'origine serait résilié ".

Toutefois la SA Brasseries Kronenbourg a engagé des discussions avec les époux Blajman qui ont abouti à la signature les 1er et 4 février 1991 d'un nouveau bail commercial, conclu pour une durée de 9 années, avec prise d'effet au 1er septembre 1990, ne portant plus que sur le rez-de-chaussée et le sous-sol, à l'exclusion des 1er et 2e étages.

Elle a ensuite proposé à la signature de M. Mengus un " avenant au bail de location-gérance du 20 juillet 1989 " aux termes duquel les parties devaient constater que la location-gérance avait pris fin et conclure une nouvelle location-gérance dans laquelle le loyer serait porté à 10 280 F HT et hors charges, le locataire-gérant s'engageant à restituer au propriétaire des murs les locaux du 1er et du 2e étage.

M. Mengus a refusé de signer cet avenant de restituer le fonds de commerce.

La SA Brasseries Kronenbourg a alors saisi le juge des référés commerciaux du Tribunal de grande instance de Strasbourg pour obtenir restitution immédiate des locaux et paiement d'une indemnité d'éviction de 10 000 F, mais le juge des référés a estimé par ordonnance du 10 décembre 1991 que les contestations opposées par M. Mengus étaient sérieuses et lui interdisaient de statuer en référé. Cette ordonnance a été frappé d'appel et la procédure est pendante devant la Cour d'appel de Colmar.

Par exploit délivré le 31 mars 1992 par Me Weber, la SA Brasseries Kronenbourg a assigné M. Mengus devant le Tribunal de grande instance de Strasbourg, Chambre commerciale, aux fins d'entendre constater que le contrat de location-gérance a été résilié le 14 février 1992, condamner M. Mengus à lui restituer le fonds de commerce et à lui payer une indemnité d'occupation de 10 000 F, une indemnité de 10 000 F pour procédure abusive et une somme de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

M. Mengus s'est opposé à la demande, mais par jugement du 14 mai 1992, auquel la Cour se réfère expressément pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties en première instance et des motifs énoncés par les premiers juges, la 2e Chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Strasbourg a :

- rejeté l'exception de nullité de l'assignation,

- constaté que le contrat de location-gérance liant les parties a été résilié par courrier du 14 février 1991, avec effet au 30 avril 1991,

- condamné M. Mengus à restituer immédiatement et sans délai, le fonds de commerce exploité 6, rue du Marché à Strasbourg, à l'enseigne " S'Marikstuewele ", au besoin l'a condamné à les évacuer parfaitement avec effet immédiat,

- nommé Me Weber, huissier de justice à Strasbourg, aux fins de dresser un état des lieux lors de la restitution du fonds et de reprendre les clefs,

- condamné M. Mengus à payer une indemnité d'occupation de 10 000 F HT , plus les charges avec effets au 1er mai 1991,

- débouté la SA Brasseries Kronenbourg du surplus et M. Mengus de sa demande reconventionnelle,

- condamné M. Mengus, outre aux dépens à payer à la SA Brasseries Kronenbourg une somme de 6 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

M. Mengus a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclarations déposée au greffe de la Cour le 5 juin 1992.

Après communication des pièces et dépôt des conclusions des parties, l'ordonnance de clôture est intervenue le 2 novembre 1992.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

M. Mengus conclut à l'infirmation du jugement entrepris, au débouté des prétentions de la SA Brasseries Kronenbourg et à la condamnation de celle-ci, outre aux dépens des deux instances, à lui payer la somme de 50 000 F + TVA en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et sur demande reconventionnelle celle de 50 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Pour s'opposer à la demande principale, M. Mengus soutient :

1° que la clause du contrat de location-gérance invoquée par la SA Brasseries Kronenbourg est nulle de plein droit, conformément à l'article 1174 du Code civil, puisqu'il s'agit d'une clause potestative,

2° qu'en l'espèce il n'y a pas eu résiliation du bail commercial concernant les locaux mais arrivée du terme et que la clause, qui doit s'interpréter restrictivement si elle n'est pas annulée, ne peut s'appliquer à cet événement,

3° que la situation mise en œuvre par les époux Blajman avec la SA Brasseries Kronenbourg est suspecte, notamment les propriétaires ne se sont jamais expliqués sur les raisons qui les ont finalement conduits à acquiescer à une résiliation partielle moyennant un loyer supérieur,

4° que la SA Brasseries Kronenbourg est tenue d'assurer à ses locataires-gérants la jouissance paisible et la garantie de toute éviction intempestive,

5° que le bailleur ne peut imposer à son locataire-gérant une augmentation de loyer en même temps qu'une restriction de la surface louée, que l'utilisation du terme " impossible " dans la clause litigieuse démontre que les parties n'envisageaient qu'une situation exceptionnelle, correspondant à un cas non prévisible qui ne peut consister dans l'arrivée du terme du bail des murs,

6° qu'en acceptant un amoindrissement de la surface louée dans le cadre d'un nouveau bail commercial la SA Brasseries Kronenbourg a agi au détriment et en fraude des droits de son locataire-gérant,

7° qu'il a fait des investissements considérables, a redressé de manière spectaculaire le chiffre d'affaires et a payé ponctuellement la redevance convenue, que la Brasserie ne pouvait l'évincer et que le montage qu'elle a opéré avec les propriétaires des murs est trop suspect pour être considéré comme une situation exceptionnelle.

Pour justifier l'indemnité qu'il réclame il fait valoir que depuis 2 ans il est harcelé de procédures et vit dans l'angoisse de tout perdre alors qu'il n'a jamais failli à ses obligations.

La SA Brasseries Kronenbourg conclut à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de M. Mengus, outre aux dépens d'appel, à lui payer une indemnité de 20 000 F pour résistance abusive et une somme de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle expose qu'il était primordial pour elle de maintenir l'existence d'un point de vente et que la légitimité des négociations qu'elle a menées avec les époux Blajman a été reconnue par les premiers juges.

Elle ajoute que la clause litigieuse n'était que l'application concrète de la règle selon laquelle on ne peut conférer plus de droits que l'on en a et qu'il n'est pas sérieux de soutenir qu'elle ne jouerait qu'en cas de brusque rupture, qu'en l'espèce il est certain que le premier bail commercial des murs a été résilié, puisque l'objet du nouveau bail a été modifié, et que la clause - qui ne peut être qualifiée de potestative puisque l'événement dépend de la volonté d'un tiers -doit recevoir application.

En cours de délibéré la SA Brasseries Kronenbourg a déposé deux notes le 25 novembre 1992 et le 31 décembre 1992.

MOTIFS DE L'ARRET

Eu égard aux dispositions de l'article 445 du nouveau Code de procédure civile, il n'y a pas lieu de tenir compte des notes en délibéré déposées à la seule initiative de la SA Brasseries Kronenbourg.

Pour la clarté des débats il convient d'examiner successivement les divers moyens invoqués par M. Mengus pour s'opposer aux prétentions de la SA Brasseries Kronenbourg et obtenir l'infirmation du jugement.

I . SUR LA NULLITE DE LA CLAUSE

Le contrat de location-gérance comporte au chapitre II - Durée de la location-gérance une clause rédigée comme suit : " Toutefois, la présente location-gérance cesserait avec effet immédiat, au cas où par impossible, le bail d'origine serait résilié ".

M. Mengus soutient que cette clause est nulle comme recelant une condition potestative.

Aux termes de l'article 1170 du Code civil, la condition potestative est celle qui fait dépendre l'exécution de la convention d'un événement qu'il est au pouvoir de l'une ou l'autre des parties contractantes de faire arriver ou d'empêcher.

La résiliation par le propriétaire du bail des locaux dans lesquels est exploité un fonds de commerce est un événement qui dépend exclusivement de la seule volonté du propriétaire, et cela même en cas de manquement du locataire à ses obligations, puisque la décision de poursuivre ou non la résiliation appartient au propriétaire, qui est un tiers au regard du contrat de location-gérance.

Dès lors la condition, en tant qu'elle concerne l'hypothèse de la résiliation par le propriétaire, ne saurait être qualifiée de potestative et entraîner la nullité de la clause la stipulant.

II . SUR L'INTERPRETATION DE LA CLAUSE

Chacune des parties donne de la clause litigieuse une interprétation différente. Il convient de rechercher la commune intention des parties au moment où elle a été stipulée.

Tout d'abord il y a lieu de relever que la mention " au cas où par impossible " correspondant à une expression commune dont le sens est clair. Elle signifie que celui ou ceux qui l'utilisent estiment que l'événement visé a très peu de chances de se produire, mais qu'il convient de prévoir les dispositions à prendre au cas ù il se produirait néanmoins.

En l'espèce la clause doit s'interpréter en ce sens que les parties pensaient la résiliation du bail improbable, mais stipulait qu'au cas où elle surviendrait néanmoins, le contrat de location-gérance cesserait immédiatement.

En second lieu il apparaît que les parties ont entendu résoudre le conflit susceptible de ses produire en cas de résiliation du bail des locaux, compte tenu du fait que l'on ne peut transmettre plus de droits que l'on en a, en prévoyant que dans cette hypothèse, la location-gérance cesserait puisque la Brasserie Kronenbourg ne serait plus titulaire du bail commercial et qu'elle ne pourrait plus le transmettre à son locataire-gérant, étant observé bien évidemment qu'une clause doit s'interpréter et être exécutée de bonne foi, ce qui signifie que la clause litigieuse ne pouvait recevoir application que si le contrat de bail des locaux prenait fin sans fraude commise par la Brasserie Kronenbourg.

En outre, il convient d'admettre que le congé sans offre de renouvellement du propriétaire doit être assimilé à la " résiliation " stipulée dans la clause litigieuse, puisqu'elle aboutit très exactement au même résultat dans les rapports entre les parties.

III . SUR LA FRAUDE PRETENDUE

Les premiers juges ont justement énoncé que la SA Brasseries Kronenbourg avait intérêt à conservé un point de vente, que le paiement d'une indemnité d'éviction par le propriétaire était moins intéressant pour lui que la conservation d'un fonds de commerce à un emplacement stratégique certain, qu'au prix de concessions (augmentation du loyer et abandon des 1er et 2e étages) elle a pu conserver le bail des locaux et donc le fonds qui y était exploité.

Ils ont ainsi caractérisé l'intérêt de la SA Brasseries Kronenbourg à négocier un nouveau bail des locaux avec le propriétaire.

Par ailleurs M. Mengus ne fournit aucun élément permettant d'établir, voire même simplement de présumer, l'existence d'une collusion entre les époux Blajman, propriétaires des murs, et la SA Brasseries Kronenbourg.

Les époux Blajman avaient un intérêt certain à donner congé, même en offrant une indemnité d'éviction, puisqu'ainsi le bail ayant pris fin, ils pouvaient soit comme ils l'ont fait, négocier avec leur ancien locataire un nouveau bail avec augmentation du loyer et réduction de la surface louée, soit trouver un nouveau locataire à ces conditions ce qui n'aurait pas été difficile eu égard à la position stratégique du fonds.

Il apparaît ainsi que la SA Brasseries Kronenbourg s'est trouvée dans l'obligation de faire face aux exigences des propriétaires et que aucun élément du dossier ne permet de dire qu'elle aurait agi de mauvaise foi et en fraude des droits de M. Mengus.

IV . SUR LES AUTRES MOYENS INVOQUÉS PAR M. MENGUS

Dans la mesure où le contrat de location-gérance à pris fin en vertu d'une disposition contractuelle, M. Mengus n'est pas fondé à invoquer un manquement de la Brasserie Kronenbourg à ses obligations d'assurer la jouissance paisible de la chose louée à son locataire-gérant et de le garantir de toute éviction.

L'argument selon lequel la Brasserie Kronenbourg aurait essayé de lui imposé une augmentation des loyers et une réduction de la surface louée, manque en fait. En effet c(est après la signature du nouveau bail des locaux avec les époux Blajman que la Brasserie lui a proposé un nouveau contrat de location-gérance. Cette attitude n'était nullement fautive et traduisait au contraire le fait que la Brasserie n'avait aucune animosité contre M. Mengus et quelle était prête à lui donner en location-gérance par un nouveau contrat un fonds à exploiter dans les locaux, donnés en location par les époux Blajman.

Enfin le fait que M. Mengus aurait fait des investissements (ce qui reste à démontrer) ou redressé le chiffre d'affaires est inopérant, dès lors que le contrat de location-gérance a cessé en application d'une disposition contractuelle.

Pour l'ensemble de ces motifs le rejet de l'appel principal et la confirmation du jugement entrepris s'imposent, y compris en ce qui concerne le montant de l'indemnité d'occupation qui n'est pas critiqué par l'appelant et qui est justifié dès lors qu'il s'agit d'un occupant sans droit ni titre.

V . SUR LES PRÉTENTIONS DE LA SA BRASSERIES KRONENBOURG

Par voie d'appel incident la SA Brasseries Kronenbourg réclame la condamnation de M. Mengus à lui payer une indemnité de 20 000 F pour résistance abusive.

En l'espèce il convient de confirmer le jugement qui a rejeté cette prétention (fixée à 100 000 F en première instance) en estimant que la résistance de M. Mengus ne pouvait être qualifiée d'abusive, non seulement pour ce motif que la Cour adopte - puisque la clause a nécessité [la] recherche de la volonté des parties et interprétation -, mais également parce qu'elle ne justifie pas d'un préjudice particulier, l'indemnité d'occupation étant supérieure à la redevance de location-gérance.

Par contre il serait inéquitable de laisser à la charge de la SA Brasseries Kronenbourg l'intégralité des frais non répétibles exposés à hauteur de Cour.

Par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, M. Mengus doit être condamné à payer la somme de 2 500 F.

Par ces motifs : Et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, Déclare l'appel principal et l'appel incident recevables en la forme, Au fond, Confirme le jugement entrepris en toute ses dispositions, Condamne M. Mengus à payer à la SA Brasseries Kronenbourg la somme de 2 500 F (deux mille cinq cent francs) par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne M. Mengus aux dépens.